article coup de coeur

[Critique] Veronika décide de mourir — Emily Young

Caractéristiques

  • Titre : Veronika décide de mourir
  • Titre original : Veronika Decides to Die
  • Réalisateur(s) : Emily Young
  • Scénariste(s) : Larry Gross & Roberta Hanley d'après le roman de Paulo Coehlo
  • Avec : Sarah Michelle Gellar, Jonathan Tucker, David Thewlis, Erika Christensen...
  • Distributeur : Seven7 Editions (DVD français), Capelight Pictures (Blu-ray allemand)
  • Genre : Drame
  • Pays : Etats-Unis
  • Durée : 1h43
  • Date de sortie : 13 avril 2010 (DVD)
  • Note du critique : 8/10

Une adaptation réussie d’un roman difficile

L’adaptation de l’excellent roman de Paulo Coehlo, Veronika décide de mourir  est sortie directement en DVD et Blu-Ray le 13 avril 2010, de même qu’aux Etats-Unis. Les mauvaises langues diront que cela ne laisse augurer rien de bon pour un petit film indépendant au pitch mélo à souhait avec Sarah Michelle Gellar, la star de Buffy, en vedette. Ayant moi-même lu le livre de Coehlo lorsque j’étais au lycée, j’appréhendais beaucoup de voir son adaptation : le roman, intelligent et sensible est vraiment bon, cependant, l’histoire en elle-même aurait pu tomber dans le mélo et
le cliché absolus très facilement avec des sujets tels que la dépression, le suicide, la schizophrénie et le milieu psychiatrique. La fin, notamment, très étonnante (je ne vous gâcherai pas la surprise…) paraîtrait même assez grosse si l’auteur ne possédait pas une telle finesse d’écriture. Il faut dire que, ayant été interné de manière abusive à la demande de ses parents à plusieurs reprises dans les années 60 sous prétexte qu’il voulait devenir écrivain, Coehlo avait de quoi donner une vision personnelle à ce sujet.

J’espérais donc de tout cœur que la réalisatrice Emily Young (dont je n’avais pas vu les deux films précédents) ne prendrait pas le chemin de la facilité en nous présentant un film larmoyant et naïvement moralisateur.

Je viens de découvrir le film en Blu-Ray et je dois avouer que j’ai été très très agréablement surprise et qu’il a très largement dépassé mes attentes. Je me préparais à aimer mais en faisant preuve d’indulgence, or il s’agit vraiment d’un très beau film, esthétiquement superbe (moi qui m’attendais à une réalisation plate et transparente !) et surtout très sensible et très juste, qui n’en rajoute jamais. Avec, en plus, la meilleure performance de Sarah Michelle Gellar depuis la fin de Buffy. Bref, un vrai coup de coeur.

La meilleure performance de Sarah Michelle Gellar au cinéma

Veronika (Sarah Michelle Gellar) au bord de l'abyme... ou vers une nouvelle naissance?

Les critiques et une partie du public ont souvent été injustes envers l’actrice, pour la simple raison qu’elle a été la star durant sept ans de la série fantastique Buffy contre les vampires, qui est considérée de manière très inappropriée comme une série B décérébrée pour ados [Edit 2022 : ce n’est plus le cas à l’heure actuelle] alors qu’il s’agit tout simplement d’une des plus belles œuvres sur le passage à l’âge adulte, écrite et réalisée avec une grande finesse et beaucoup d’humour par Joss Whedon. Au fil des saisons, Gellar a grandi en même temps que Buffy et son jeu s’est approfondi au gré de l’évolution (de plus en plus sombre) de son personnage, superhéroïne aux multiples facettes. Il est vrai, cependant, que la plupart des films dans lesquels elle a tourné ne lui ont jamais vraiment permis de montrer toute l’étendue de son talent. Hormis l’excellent Sexe Intentions (version ado des Liaisons
Dangereuses
précurseur de la fade série à succès Gossip Girl) dans lequel elle incarnait une magnifique salope manipulatrice et camée à mille lieux
du modèle qu’est Buffy Summers, elle a principalement joué des personnages assez fades dans des films d’horreur assez passables (Souviens-toi l’été dernier, The Grudge, etc.) ou bien (avec talent) les écervelées, comme dans les deux films pour enfants Scoobidou, adaptations sympathiques (pour le premier opus du moins) du dessin animé culte d’Hanna Barbera, mais peu propices aux louanges enflammées de la critique. Ces deux dernières années, elle a néanmoins joué dans deux films intéressants (le film-choral métaphysique The Air I Breathe et l’OVNI de science-fiction Southland Tales de Richard Kelly) mais malheureusement inaboutis, ayant bénéficié d’une sortie en salles très limitée aux Etats-Unis et inexistante en France.

Si Veronika décide de mourir nous arrive directement en vidéo à cause du manque de moyens financiers des producteurs en raison de la crise, il s’agit en tout cas de son plus beau rôle au cinéma avec Sexe Intentions. Un rôle qui, espérons-le, lui permettra de recevoir enfin des propositions à la mesure de son talent.

Une plongée mélancolique tout en finesse dans l’esprit d’une femme en pleine dépression

Veronika (Sarah Michelle Gellar) inconsciente après sa tentative de suicide

Les à priori sur le film tombent dès les premières images, très graphiques et joliment filmées. Veronika, belle jeune femme de vingt-six ans, prend le métro new-yorkais pour se rendre à son travail et pose un regard désabusé sur les personnes qui l’entourent, et décrit en voix-off son vide existentiel avec une froideur chirugicale. En quelques minutes, nous voyons en condensé une journée type de sa vie où, sans grand discours explicatif, on comprend qu’elle a priori tout pour être heureuse (un poste important dans la finance, une situation matérielle confortable…) mais que cette vie très cadrée ne lui convient pas. Elle a voulu se fondre dans un moule de normalité qui l’oppresse et la rend cynique sur son avenir : se marier, avoir des enfants, être malheureuse mais ne rien faire pour y remédier. Veronika est une jeune femme d’une passivité absolue qui regarde sa vie de l’extérieur sans parvenir à agir… sauf  pour mettre fin à ses jours en mélangeant abondamment médicaments divers et variés et whisky sur fond de Radiohead à son plus froidement pessimiste (“Everything In Its Right Place” live).

La manière très posée dont se déroule tout cela déroutera peut-être certaines personnes qui auraient aimé en savoir plus sur les raisons du mal-être de l’héroïne (la suite du film nous apportera en partie ces réponses), mais Emily Young a choisi la meilleure approche possible, refusant la facilité du pathos mais faisant preuve d’une grande sensibilité. Veronika considérant qu’elle n’a pas de vie, pas d’avenir et qu’elle n’est personne au milieu de la masse, il est en ce sens normal qu’on ne la montre pas plus longuement dans sa vie quotidienne puisque nous sommes en outre dans sa tête dès le début du
film. Son indifférence aux lieux où elle se rend tous les jours, aux autres et au temps, qui semble ici dissout dans une monotonie elliptique infernale, reflète bien son état d’esprit, cette manière froide et clinique de percevoir la réalité tout en s’y sentant étranger. A mesure que le cocktail fatal fait son effet, la réalisation se fait de plus en plus sensorielle sans tomber dans des effets cheap, montrant la jeune femme exulter de désespoir et s’agiter dans son appartement pour finir par écrire un mail absurde au magazine Village Voice pour se plaindre d’un article de mode et cracher sa haine pour le conformisme de la société et ainsi justifier son suicide. Lorsqu’elle s’effondre quelques instants plus tard, nous ignorons combien de temps s’est écoulé, mais les secours frappant à sa porte laissent supposer que le magazine a reçu son message et les a prévenus.

La séquence onirique (dont les deux images ci-dessus sont extraites) qui nous fait passer de l’appartement de la jeune femme à l’hôpital psychiatrique est de toute beauté, alternant entre quelques plans des secours transportant Veronika et la jeune femme plongée dans un décor de rêve, pieds nus en robe blanche au bord de la mer dans laquelle elle se jette et s’enfonce. Scène à l’imagerie typique vue dans de nombreux films (Requiem for a Dream et bien d’autres), mais réalisée de manière exemplaire, avec un montage et une utilisation des cadrages, des couleurs et des fondus au noir très réussie.

A mille lieux de la vision cauchemardesque de Vol au dessus d’un nid de coucous

Veronika (Sarah Michelle Gellar) rejouant du piano pour la 1ère fois sous le regard d'Edward

Lorsqu’elle reprend conscience, une infirmière et le psychiatre qui dirige les lieux lui annoncent que son overdose médicamenteuse a engendré un anévrisme inopérable à son cœur et qu’il ne lui reste que quelques semaines, voire quelques jours à vivre… ce qui la réjouit plutôt,
bien qu’elle ne supporte pas de ne pas savoir précisément à quel moment son cœur lâchera. Condamnée à passer ses derniers jours dans cet asile de luxe, elle est suivie par le Dr Blake (David Thewlis) qui tente de la faire réagir.

Là se trouve tout l’enjeu du film : la proximité de la mort peut-elle être l’occasion pour Veronika de prendre conscience de la beauté de la vie ? La description du milieu psychiatrique est à mille lieux de films tels que Vol au-dessus d’un nid de coucous (1975) ou Une vie volée (1999). Non seulement le personnel est compréhensif et sensible (le directeur étant connu pour son approche non-conventionnelle, mais aucunement sadique) mais en plus les patients n’ont rien d’aliénés hystériques grimaçants. Dans cet environnement rassurant et apaisant, les dépressifs, schizophrènes et autres catatoniques se croisent sans faire de vagues et lorsque Veronika gifle un homme atteint de démence qui l’a agacée avec son charabia, il s’agit presque d’un événement.

Là encore l’approche est convaincante et le côté calme et imperturbable de l’environnement, son aspect anonyme également (on ne connaît que quelques
bribes de l’histoire de certains personnages) contraste avec la rage rentrée de Veronika et lui permet peu à peu de laisser jaillir sa soif de vivre et de ne plus se cacher. Une évolution progressive qui s’effectue de manière nuancée et sensible, de manière autrement plus intéressante et moins attendue que si elle s’était retrouvée dans un environnement hostile, attachée à son lit, soumise à des séances d’électrochocs et entourée de psychopathes.

Un retour à la vie d’une simplicité bouleversante

Veronika (Sarah Michelle Gellar) se met à nu face à Edward

Le retour à la vie de la jeune femme s’effectue par le biais d’un jeune homme catatonique et plus ou moins schizophrène, Edward (Jonathan Tucker) qui n’a plus prononcé un mot depuis l’accident de voiture qui a causé la mort de sa fiancée, d’une ancienne avocate neurasthénique et d’un piano, son ancienne passion, qu’elle a rejeté par manque de confiance en elle. Je ne peux ici m’empêcher de parler de deux des scènes centrales du film, tout simplement magnifiques.

Après s’être disputée avec ses parents qui lui ont rappelé à quel point elle aimait jouer du piano plus jeune, Veronika passe devant la salle de musique où se trouve l’instrument. Hésitante, elle s’assied face au clavier et commence par le frapper à pleines mains avec rage, produisant des sons discordants avant d’esquisser peu à peu une mélodie mélancolique qui prend tranquillement de l’ampleur et semble soudain lui redonner vie et l’apaiser tandis qu’Edward dehors, la regarde par la fenêtre, fasciné. La réalisation, d’une grande simplicité (gros plans visage, gros plans mains majoritairement ), met en avant Sarah Michelle Gellar, épatante. Le silence, uniquement rompu par le piano, permet à l’émotion de monter en nous en même temps qu’elle s’empare de la jeune femme.

La deuxième scène, plus longue et étonnante, nous montre de nouveau Veronika jouant du piano, Edward se trouvant cette fois juste derrière celui-ci. La musique est plus intense et le désir perce dans le regard des deux protagonistes en dépit du mutisme du jeune homme. Une fois son morceau achevé, elle se déshabille calmement sous ses yeux et l’invite sans un mot à la rejoindre. Face à son manque de réaction, elle laisse glisser sa main sur son corps et se met à se masturber face à lui jusqu’à jouir dans un abandon libérateur.

Ce qu’il y a de profondément émouvant et étonnant dans cette scène, c’est la sensibilité et la pudeur qui s’en dégage. Il n’y a pas le moindre sentiment de voyeurisme (la caméra reste sur un plan rapproché épaule de la jeune femme et ne la montre jamais nue) ou de provocation, il s’agit simplement d’un moment d’intimité et d’abandon absolu où la vie jaillit de manière irrésistible, marquant la remontée vers la lumière des deux héros. Pas un seul mot n’est échangé et Sarah Michelle Gellar est exceptionnelle, laissant passer sur son visage mille pensées et émotions lors de longs plans qui auraient pu être délicats. Cette scène est sans conteste le sommet du film et ravira les fans de l’actrice frustrés par le manque d’envergure de ses rôles ces
dernières années (et bien évidemment fera taire ceux qui ne lui trouvaient aucun charisme).

Veronika (Sarah Michelle Gellar) et Edward (Jonathan Tucker) heureux mais pour combien de temps?

Voici donc un film remarquable du début à la fin, toujours simple et juste, qui rend merveilleusement justice au roman de Paulo Coehlo (qui est pour moi son meilleur, loin devant L’Alchimiste qui ne m’avait pas plus marquée que ça). Hymne à la vie de toute beauté sans maniérisme et beau discours, il saura vous toucher, je l’espère, autant que moi. Ne vous laissez pas intimider par la jacquette kitchissime du DVD ou le fait que ce film n’est pas sorti en salles, il mérite vraiment d’être loué ou acheté. Il ne s’agit pas nécessairement d’un chef-d’œuvre au sens où il ne révolutionne rien de particulier et n’a pas non plus l’ampleur d’un classique, mais il s’agit en tout cas d’un très bon film, qui laisse le même sentiment de sérénité et de foi en la vie que le roman. A recommander donc.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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