Réalité de Quentin Dupieux (2015) : critique du film

réalité quentin dupieux affichePour son sixième long-métrage, Quentin Dupieux a décidé de tourner une nouvelle fois aux Etats-Unis et de s’intéresser au milieu du cinéma, pour une mise en abyme du principe de réalité. Nous commençons par suivre les aventures d’une petite fille , Réalité, qui part à la chasse avec son père et voit celui-ci tuer un sanglier. Une fois revenus chez eux, lorsque l’homme vide les entrailles de l’animal, elle aperçoit une cassette vidéo à l’intérieur de la bête, qui passe inaperçue aux  yeux du père et finit à la poubelle. Lorsque le soir elle parle de ce qu’elle a vu à ses parents, ils refusent de la croire, elle a dû imaginer tout ça.

Puis l’action s’élargit et nous faisons la connaissance de Jason (Alain Chabat), cameraman pour une émission de télé marié à une psychanalyste (Elodie Bouchez) et aspirant réalisateur qui travaille depuis plusieurs années sur une idée de long-métrage abracadabrantesque sur des téléviseurs qui tuent des humains grâce aux ondes qu’elles émettent. Coup de chance, lorsqu’il rencontre un producteur excentrique (Jonathan Lambert), celui-ci se montre intéressé par le projet. Il lui permettra de réaliser son film à une seule condition : qu’il trouve en 48 heures le gémissement ultime de film d’horreur, celui qui serait à même de marquer l’histoire du cinéma. Les choses vont alors prendre une tournure de plus en plus étrange pour Jason…

Une impression de David Lynch en version comique

REALITE_CHABAT_11Trop peu de comédies françaises se paient le luxe de nous faire rire en faisant preuve à ce point de fantaisie, en assumant leur folie douce sans sombrer dans un humour de pacotille. Quentin Dupieux, “qui ne cherche qu’à s’amuser” selon Elodie Bouchez, tout en cherchant (et réussissant) à divertir le spectateur, fait preuve ici d’une belle ambition, tant au niveau formel que sur le plan narratif et on ne manquera pas de voir une certaine filiation, dans l’esprit, avec Michel Gondry ou Charlie Kauffman. Réalité nous plonge dans un rêve éveillé où différents niveaux de réalité s’enchâssent les uns dans les autres, de sorte que plus le film avance, moins nous savons si nous sommes dans la “réalité” ou dans la tête de Jason, de la fillette voire de l’animateur de télé qui se gratte de manière obsessionnelle.

Les motifs migrent de plus en plus et nous avons l’impression de plus en plus nette de nous trouver dans un film de David Lynch en version comique. La comparaison avec Lost Highway, notamment, s’impose. Les deux films ont en commun de nous plonger dans le cauchemar d’un homme et il y a ce moment délicieux dans la dernière partie du film où le personnage du producteur, en rendez-vous avec Jason, reçoit un coup de fil de… Jason lui-même, plongé au fin fond de son cauchemar, ce qui n’est pas sans rappeler la fin de Lost Highway, où nous nous rendons compte que le fameux message de l’interphone laissé au personnage de Bill Pullman a été laissé par… Bill Pullman lui-même, prisonnier d’une boucle infernale. Dupieux joue d’ailleurs avec ces citations cinéphiliques avec brio et on s’amusera de remarquer, ici ou là, des références à différents films de genre. Difficile, ainsi, de ne pas penser à Videodrome de Cronenberg avec l’épisode de la cassette vidéo trouvée à l’intérieur du sanglier.

Un film en forme de Rubix Cube très drôle

Jonathan-Lambert-et-Alain-Chabat-dans-Realite-de-Quentin-DuMais au-delà ce côté arty (qui ne tombe jamais dans la prétention) qui sera largement commenté à n’en pas douter, il y a surtout un film très drôle avec d’excellents interprètes. Quentin Dupieux voulait travailler avec Alain Chabat et on ne peut que le féliciter pour ce choix tant l’acteur rend le personnage de Jason attachant de naïveté. Il lui donne ce côté gentiment lunaire, toujours un peu à côté, qui fait qu’on le suit avec joie dans ses aventures, sans non plus se moquer de lui comme cela était le risque vu le pitch ridicule de son scénario. Chabat incarne avec une vraie sensibilité cet homme rêveur et impressionnable et rend le personnage d’autant plus drôle. Il faut le voir décliner avec le plus grand sérieux des dizaines de gémissements tous plus ridicules les uns que les autres ou se faire houspiller par sa femme, le personnage le plus terre à terre du film, finalement. Elodie Bouchez arrive quant à elle à exister avec relativement peu de scènes et forme un duo improbable mais très drôle avec Alain Chabat.

Quant à Jonathan Lambert, habitué à travailler avec le cinéaste, il emporte véritablement le morceau avec son interprétation du producteur. Un rôle délicat car toujours sur la corde, à deux doigts du ridicule et en même temps assez inquiétant. L’acteur parvient à tirer son épingle du jeu en dévoilant les différentes facettes du personnage et forme un duo comique imparable avec Alain Chabat. Une grande partie du film repose sur leur confrontation et l’équilibre qui s’instaure entre eux est à l’origine des meilleures scènes du film.

Enfin, bien qu’il ne se prenne pas au sérieux le moins du monde, Réalité est aussi un film sur le cinéma, qui interroge la relation que nous avons aux images et aux histoires que nous voyons sur grand (et petit) écran. On y retrouve des obsessions et cauchemars de réalisateur, comme celui d’imaginer un film qui a déjà été réalisé, ce qui donne lieu à une scène drôlatique. De vrais partis pris esthétiques accompagnent cette réflexion et ce, dès les premières images du film et ses gros plans sur des animaux empaillés, faisant de Réalité un film pleinement abouti. De manière générale, le réalisateur parvient à instaurer un sentiment d’étrangeté et d’irréalité avec simplicité, sans en faire des tonnes, ce qui permet d’autant plus facilement au spectateur de rentrer dans le film et à l’humour de s’exprimer.

Bien que complexe dans sa forme, avec une intrigue en forme de Rubix Cube, il n’est guère besoin de se prendre la tête pour apprécier Réalité et le mieux est encore de se laisser porter. La grande fluidité de l’ensemble favorise d’ailleurs cet état d’esprit et, même si on ressort sans être sûr d’avoir tout compris (on peut d’ailleurs se demander s’il y a un sens défini, arrêté, plusieurs interprétations restent possibles), cela ne gâche en rien notre plaisir.

Ambitieux et maîtrisé, Réalité est un film qui devrait réconcilier les amateurs de comédies loufoques et sophistiquées et ceux de films de genre. Sans prise de tête, il nous propose une réflexion sur le cinéma et interroge la notion de réalité par l’entremise d’un récit qui prend la forme d’un rêve éveillé. Surtout, il se révèle drôle et percutant et offre de vrais partis pris de mise en scène, avec son lot de scènes phares. Une comédie comme on aimerait en voir plus souvent !

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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