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[Critique] Motown — Adam White

image couverture motown adam white éditions textuelSorti le 12 octobre aux éditions Textuel, Motown est un livre-événement sur la mythique maison de disques américaine qui a imposé la soul et le rythm’n’blues dans les années 60-70 avec des artistes allant des Supremes à Stevie Wonder, en passant par Smokey Robinson & the Miracles, les Jackson 5, Marvin Gaye et bien d’autres.

Le livre référence sur la Motown

Plus qu’une simple histoire des plus grands succès de la maison, Motown est un véritable livre-somme conçu par Adam White, ancien critique musical pour le magazine Billboard, avec la collaboration de Barney Ales, qui fut le bras droit du fondateur Berry Gordy durant de nombreuses années. Cet imposant ouvrage de 400 pages, présenté dans une édition cartonnée grand format de toute beauté, propose une véritable plongée dans les coulisses de la Motown, au coeur de ses rouages, de sa fondation en 1959 grâce à un chèque de 800 dollars remis à Gordy par son frère en guise de prêt, jusqu’au rachat en juin 1988, alors que le producteur visionnaire est épuisé et n’a plus rien à prouver.

Entre les deux, on découvre un homme passionné, charismatique et à l’instinct sûr, secondé d’un homme d’affaires blanc, sympathique mais autoritaire, ne lâchant rien, et des artistes depuis devenus légendaires, qui firent leurs premiers pas avec la maison de disques, avec laquelle ils entretinrent longtemps des rapports presque familiaux. Le tout rythmé par la lutte pour les droits civiques et les violentes émeutes qui soulevèrent la ville de Detroit dans les années 60, là où la Motown est née et résidera jusqu’à son déménagement à Los Angeles en 1972, qui fut considéré comme une erreur par beaucoup, pour ne pas dire le début de la fin.

Dans les coulisses d’un label mythique

Les Supremes dans leur loge à New-York, en 1965.
Les Supremes dans leur loge à New-York, en 1965.

Toutes les subtilités de la gestion d’une maison de disques (les contrats avec les artistes, les rapports avec les distributeurs, les tournées et recettes…) sont également abordées en profondeur et constituent la grande spécificité de ce Motown d’ores et déjà appelé à devenir une référence. Pour tous les passionnés de musique des années 60-70 qui ont apprécié la récente série Vinyl de HBO pour  son immersion dans le milieu des maisons indépendantes, le livre d’Adam White promet de belles heures de lecture et un regard pointu, sans compromis, sur la question.

Car si Motown retrace le parcours exemplaire d’un producteur de génie et offre le portrait d’une personnalité bigger than life, il met aussi en avant les aspects moins “sexy” et plus terre à terre de la gestion d’une maison de disques, tout en soulignant la dimension visionnaire de cette entreprise : Motown avait à coeur de séduire aussi bien le public, qu’il soit noir ou blanc, avec de la musique populaire de qualité à une époque où cela était encore loin d’être évident. Le label réussit au-delà de toutes espérances, imposant quantité de hits (parfois jusqu’à 10 simultanément) au sein des charts crossover, inspirant des artistes tels que les Beatles (qui reprirent plusieurs titres issus du catalogue Motown) ou Dusty Springfield, jusqu’à devenir, au plus fort de son succès, la plus importante société afro-américaine.

Réunir, dépasser la ségrégation

La famille Jackson réunie autour de sa piscine d'Encino, en 1971.
La famille Jackson réunie autour de sa piscine d’Encino, en 1971.

Sur ce point également la Motown était en avance sur son temps puisqu’elle engageait aussi bien des noirs que des blancs au sein de son équipe exécutive et administrative, quitte à fâcher certains militants noirs qui reprochèrent à plusieurs reprises à Berry Gordy d’avoir mis des blancs à des postes-clés. Ne pas faire de distinction de couleur était primordial pour l’homme d’affaires en cette époque troublée et sa collaboration au long cours avec Barney Ales, homme de l’ombre aussi compétent que passionné, ne souffrit jamais de la moindre tension à ce niveau. Cette philosophie, ajouté à la profonde empreinte du label sur la pop culture, fut d’ailleurs saluée (indirectement, il est vrai) par Martin Luther King lui-même dans un discours où il se réjouissait que les jeunes, qu’ils soient blancs ou noirs, écoutent à présent la même musique.

Réunir au lieu de diviser, tel était le crédo de la Motown et le message fort qu’elle envoya au monde, allant jusqu’à ouvrir une branche dédiée au rock progressif, où plusieurs artistes blancs (que les auditeurs prenaient souvent pour des noirs) furent signés. En 1964, le présentateur Dick Clark organisa son spectacle itinérant annuel Caravan of Stars avec, entre autres, des artistes de la Motown. L’équipe et les artistes furent refusés dans plusieurs hôtels américains sous le prétexte que Noirs et Blancs se trouvaient à l’intérieur du tour bus. “Soit vous nous prenez tous, soit vous n’aurez personne”, répliquait alors Clark. Celui qui restera jusqu’au bout l’artiste-phare du label, Stevie Wonder, fut aussi très impliqué sur la question des droits civiques, ce qui se traduisit par plusieurs titres engagés, tels que “Livin’ for the City” sur Innervisions, sur les mésaventures d’un jeune homme noir débarquant à New-York , ou encore “Happy Birthday”, en faveur de l’instauration d’un jour férié en l’honneur de Martin Luther King.

Un bel objet à l’iconographie somptueuse

image motown adam white smokey robinson and the miracles
Diverses pochettes de disques de Smokey Robinson and the Miracles édités chez Motown.

Mais Motown, c’est également plus de 1000 photos, souvent rares, des artistes maisons et des pochettes de vinyles, dans une qualité d’impression assez exceptionnelle qui fait du livre d’Adam White un véritable objet de collection et un cadeau idéal. Souvent présentées en pleine page voire double page, ces images nous immergent dans l’univers du label et sont accompagnées de légendes détaillées. Le livre regroupe également au fil des pages, ce qui, assemblé au sein d’un service de streaming, pourrait s’apparenter à la playlist géante ultime de la Motown. Des tous premiers titres du label aux plus grands succès, devenus des classiques, Adam White aborde la création et la sortie d’une quantité de titres, et cite également une foule d’albums et singles en plus par le biais de la riche iconographie de pochettes présentée tout au long de l’ouvrage. Découvrir ou redécouvrir tous ces titres, le casque sur les oreilles et le livre sur les genoux, est d’ailleurs fortement conseillé, même si le temps d’écoute total excèderait, bien évidemment, le temps de lecture.

Adam White réussit ainsi le pari de réaliser un ouvrage des plus complets sur la Motown qui puisse parler aussi bien aux mélomanes passionnés de soul et rythm’n’blues qu’à ceux qui connaissent cette musique et ces artistes de manière plus superficielle. Dans les deux cas de figure, le livre apporte son lot de révélations grâce aux nombreux témoignages qu’il regorge, et brille par la plume et la pertinence du regard de son auteur, qui sait replacer les choses dans leur contexte tout en approfondissant son sujet. Surtout, il propose une vision résolument vivante de ces trois décennies, des collaborateurs de l’ombre et des artistes qui firent de la maison de disques ce qu’elle est devenue aux yeux du public comme des critiques : une institution.

Motown d’Adam White, éditions Textuel, sortie le 12 octobre 2016, 400 pages. 59€

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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