[Critique] Le magicien sur la passerelle – Wu Ming-Yi

image le magicien sur la passerelleUne œuvre d’une belle finesse au style poétique

Connu pour être l’un des auteurs asiatiques les plus en vue du moment, Wu Ming-Yi semble faire l’unanimité, tout en étant jusqu’ici peu mis en avant en France, avec seulement deux de ses œuvres parues (trois en fait, en comptant l’ouvrage ici abordé). Un constat que l’on doit cependant revoir dès maintenant, car l’indispensable éditeur L’Asiathèque (L’art de la controverse, La tablette aux ancêtres, Halabeoji) vient de sortir, dans une édition très soignée, Le magicien sur la passerelle, un recueil de nouvelles qui constitue une très bonne porte d’entrée pour découvrir cet auteur profondément (et sincèrement) écologiste.

Le magicien sur la passerelle prend place sur le grand marché de Chunghua, en pleine ville de Taipei, capitale de l’île de Taïwan. Une passerelle impressionnante relie deux bâtiments du lieu, et c’est à cet endroit incongru que s’est installé un magicien, en plein milieu de différents artisans. Le narrateur, jeune garçon de dix ans quand l’histoire débute, tient un stand de vente de semelles, juste en face de l’illusionniste, et ce dernier fascine l’enfant ainsi que ses petits camarades. Des années plus tard, le narrateur est devenu un homme, mais il a toujours en lui les sentiments impressionnants que provoquaient les tours de magie sur le garçon qu’il était autrefois. Ainsi, il se met en tête de retrouver des gens de sa génération, qui auraient pu eux-aussi être émotionnés par ce magicien.

C’est sur ce postulat d’une belle finesse que s’appuie Wu Ming-Yi, afin de construire un recueil de nouvelles qui forment un grand tout si cohérent que l’on peut aussi le considérer comme un roman à part entière. Le magicien sur la passerelle rassemble dix récits : un au titre titre éponyme, “Le 99e étage“, “De quoi se souviennent les lions de pierre ?“, “Un éléphant sous les rais de lumière poussiéreux d’une ruelle“, “Johnny-les-rivières“, “le poisson rouge de Teresa“, “Les oiseaux“, “La boutique de costumes de monsieur T’ang“, “La lumière est comme l’eau” et “Le magicien sous l’arbre à pluie“. Si la première introduit l’univers et la cohérence de l’ensemble, les neuf autres textes sont en fait des témoignages recueillis par le narrateur, qui développent de beaucoup les bases installées.

Dix nouvelles qui forment un grand tout cohérent et subtil

En effet, si le tout début du livre utilise un ton quasi documentaire, où l’on sent très fortement que l’auteur Wu Ming-Yi se projette lui-même dans l’histoire (il est à la fois l’enfant et le magicien), Le magicien sur la passerelle devient vite un recueil à la tonalité toute autre. Brassant autant le réalisme d’une société taïwanaise bien plus complexe qu’on ne pouvait l’imaginer, avec ses différentes populations qui cohabitent sur cette île, que le fantastique le plus jovial, ce recueil offre une lecture en forme de mosaïque. Le fil rouge étant le prestidigitateur, lequel offre la possibilité à un enfant de se réfugier dans un étage imaginaire au détour d’une nouvelle (“le 99e étage“), et même lorsqu’il est absent du récit (“La boutique de costumes de monsieur T’ang“) le magicien marque tout de même le lecteur par sa simple évocation.

Au fur et à mesure de la lecture, Le magicien sur la passerelle s’impose comme une délicieuse promenade sur un marché imposant, qui rassemble certes les vendeurs mais surtout les destins. Œuvre d’un écrivain à la sensibilité à fleur de peau, ce livre délivre bien des sentiments différents, peut tout aussi bien provoquer le rire puis la mélancolie à quelques pages d’intervalle. C’est une découverte envoûtante que celle de Wu Ming-Yi, dont le style poétique, quasi onirique sur certains passages, transporte dans un univers certes citadin mais si foisonnant qu’on ne peut s’empêcher de ressentir une sorte d’échappatoire naturaliste, organique. Pour finir, il est impossible de ne pas saluer l’excellente traduction assurée par Gwennaël Gaffric, dont l’expérience sur le terrain taïwanais était nécessaire pour bien respecter le travail de l’auteur. Le traducteur assure d’ailleurs une postface de qualité, et qui clos un ouvrage qui ne l’est pas moins.

Le magicien sur la passerelle, écrit par Wu Ming-Yi, traduit par Gwennaël Gaffric. Aux éditions L’Asiathèque, collection Taiwan Fiction, 275 pages, 19.50 euros. Sortie le 15 février 2017.

Article écrit par

Mickaël Barbato est un journaliste culturel spécialisé dans le cinéma (cursus de scénariste au CLCF) et plus particulièrement le cinéma de genre, jeux vidéos, littérature. Il rejoint Culturellement Vôtre en décembre 2015 et quitte la rédaction en 2021. Il lance Jeux Vidéo Plus. Manque clairement de sommeil.

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