[Critique] Derrière les panneaux, il y a des hommes – Joseph Incardona

image derrière les panneaux il y a des hommesUn roman noir éprouvant qui vous hantera longtemps

Le roman noir est un genre que beaucoup d’écrivains actuels tentent de dompter, sans pour autant arriver à en tirer sa quintessence. La raison est peut-être liée à l’époque, peut-être trop anxiogène pour qu’on puisse en sentir les éléments les plus sombres. Au contraire, l’époque est au “feel good”. Feel good movies, feel good books, beaucoup d’artistes ressentent notre période comme étant une fabrique de populations en demande de sourires envers et contre tous, et ce même si ces dernières doivent se forcer plus ou moins. Une constatation qu’on ne fera pas pour de Derrière les panneaux, il y a des hommes, sans aucun doute le livre le plus éprouvant qu’on ait lu depuis un long moment.

Derrière les panneaux, il y a des hommes s’intéresse à Pierre, un homme qu’un drame terrible, la disparition de sa fille, a poussé à tout abandonner afin d’errer là où tout s’est produit : l’autoroute. Il se tient prêt, il observe, il épie, et surtout il patiente. Car il sait que, parmi tous ceux qu’il croise, camionneurs, serveurs de fast food, prostituées et autres, se trouve l’assassin. Et il le dénichera. C’est le week-end du 15 août, et les vacanciers abondent sur l’autoroute. C’est la canicule, et Pierre se la prend en plein visage. Il sue à chaudes gouttes. Mais son instinct lui donne malheureusement raison : le pédophile récidiviste fait une nouvelle victime, une jeune fille disparaît…

C’est peu dire qu’on ne sort pas indemne de Derrière les panneaux, il y a des hommes. Lecture qui laisse des traces, ce roman signé Joseph Incardona (dont on conseille aussi la découverte de Lonely Betty) sait exactement comment construire un univers suffoquant, plus noir tu meurs. La recette est habile : des personnages poussés à bout, l’autoroute comme un véritable lieu-protagoniste, et toute une galerie de portraits désespérés. Pierre est typiquement ce genre d’âme que l’on ne peut qu’essayer de comprendre tout du long de son parcours, pas spécialement en s’identifiant à lui, mais surtout grâce à sa caractérisation construite avec une maîtrise absolue. Cet homme désespéré, victime d’une époque mais aussi d’un concept, ici chosifié sous les apparences d’une autoroute, est une sorte de Mad Max en moins outrancier, donc en plus crédible.

Pierre qui roule…

Plus on avance dans la lecture, plus ce personnage principal est entouré par un univers d’une noirceur terrifiante. Derrière les panneaux, il y a des hommes peint un cosmos totalement à part, sorte D’État dans l’État : l’autoroute. On ne vous dévoile rien de ces protagonistes que l’on croise tout du long, mais sachez que tous vous laisseront une véritable cicatrice. De la prostituée au détrousseur, en passant par la voyante errante, tous ont un passif, une histoire qu’ils se trimballent dans leur propre coffre. Et, au milieu de cela, il y a ce tueur. Ce pédophile qui refait surface. Son méfait plus qu’abject met la police en mouvement, et bientôt Pierre considérera ces agents comme ses concurrents. Car lui aussi veut retrouver le monstre de l’autoroute, mais pas pour l’arrêter. Là, le roman devient parfois suffocant, et le style de l’auteur n’est pas du tout étranger à ce fait.

Derrière les panneaux, il y a des hommes a remporté le Grand Prix de littérature policière 2015, et c’est amplement mérité. Le style de Joseph Incardona, tout en phrases très courtes, chacune frappant aux tripes avec une force assez contenue pour ne pas non plus tomber dans l’excès, fonctionne au-delà de toute attente. On a dévoré cet ouvrage de 334 pages en une demie-journée, sans voir le temps passer, tant le rythme soutenu ne semble jamais devoir faiblir. Pourtant, on ne peut pas dire que Derrière les panneaux, il y a des hommes donne dans le divertissement à tout prix : on a là de bonnes réflexions sur l’humanité, ce qui la fait et la défait. Aussi, la narration ne tente jamais d’être “lecteur-friendly”, et la violence décrite pourra parfois choquer. On pense notamment aux quelques descriptions d’actes sexuels, pas vraiment du genre à figurer dans le premier roman Bit-lit venu. Soyez averti : cet ouvrage est dur, très dur, vous embarque dans un cycle de machine à laver section essorage. Mais vous en sortirez en étant sûrs d’avoir lu là une véritable pépite à l’éclat indéniable.

Derrière les panneaux, il y a des hommes, un roman écrit par Joseph Incardona. Aux éditions Pocket, 336 pages, 7.40 euros. Sortie le 9 février 2017.

Article écrit par

Mickaël Barbato est un journaliste culturel spécialisé dans le cinéma (cursus de scénariste au CLCF) et plus particulièrement le cinéma de genre, jeux vidéos, littérature. Il rejoint Culturellement Vôtre en décembre 2015 et quitte la rédaction en 2021. Il lance Jeux Vidéo Plus. Manque clairement de sommeil.

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