[Analyse] Poupoupidou, la Marilyn de Mouthe

Poupoupidou de Gérald Hustache-Mathieu avec Sophie Quinton (2010)Un film français à l’américaine ?

“Je viens d’un milieu modeste dans lequel on ne parlait ni cinéma, ni littérature, ni musique. Je ressens souvent ce sentiment d’usurpation, je me demande parfois si je suis “légitime”, comme si je ne méritais pas ma place. Comme Candice, j’ai toujours “tellement envie d’apprendre, de me rattraper”.” Ces paroles sont de Gérald Hustache-Mathieu, le réalisateur de Poupoupidou et font écho à la quête de son héros David Rousseau, écrivain à succès décrié par la critique et à la recherche de légitimité. Une légitimité qu’il rêve d’acquérir en publiant un polar à la James Ellroy, son modèle. Dans ce film français, avec des acteurs français, mais peuplé de références au cinéma américain, où les personnages se prennent eux-mêmes pour de légendaires figures américaines, la quête de légitimité est partout et pourtant, les personnages la cherchent surtout ailleurs, dans cet idéal lointain qu’est le rêve américain, sans jamais quitter Mouthe, la France profonde.

Plutôt que de faire un polar français en reprenant, sans avoir l’air d’y toucher, les codes du cinéma américain, le réalisateur fait de ces références, de ce rêve d’Amérique assez fréquent en France, la matière même de Poupoupidou. Nous avons tous grandi avec des films américains (et avec Louis de Funès, certes) et ne sommes-nous pas nombreux, parfois, à perdre la foi en notre propre cinéma ? Rares sont par exemple les comédies françaises actuelles qui excitent ma curiosité. Entre des acteurs suremployés, des intrigues convenues et une réalisation plate, la plupart des grosses comédies me laissent indifférente. On est aujourd’hui bien loin de l’époque des Valseuses, des Bronzés (pas le 3, of course) ou de Coup de tête, pour prendre des exemples variés, où il était possible de trouver des acteurs géniaux, des répliques hilarantes et une intrigue aussi enthousiasmante qu’irrévérencieuse. Les producteurs sont-ils frileux et cyniques à ce point pour ne pas oser proposer des films qui sortent un temps soit peu de l’ordinaire ?

Le pari de Poupoupidou, finalement, était de faire un film profondément français, qui ne cherche pas à être un film américain, tout en jouant avec l’imaginaire de cette Amérique mythique, en essayant de la retrouver, de la déplacer en France. Et d’interroger par là-même notre propre identité, notre propre imaginaire.

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Vous l’aurez compris, Poupoupidou fait partie de ces comédies qui nous redonnent espoir. Cette comédie policière sur la mort suspecte d’une Marilyn Monroe version franchouillarde dans un trou paumé du Jura est une excellente surprise qui prouve qu’on peut faire un très bon film, avec une esthétique un peu recherchée (si si) sans avoir énormément de moyens.

David Rousseau (Jean-Paul Rouve) est un auteur de polars à succès aux titres improbables qui cherche l’inspiration pour écrire une œuvre qui fera de lui un écrivain reconnu. De passage à Mouthe (la ville la plus froide de France) suite au décès de son grand-père, il décide de s’isoler dans une chambre d’hôtel pour travailler loin des pressions de son éditeur. C’est à ce moment qu’il apprend aux infos la mort prématurée de Candice Lecoeur (Sophie Quinton), sex-symbol local et miss météo, retrouvée dans la neige bourrée de médicaments. Un suicide pour la police. Sauf que la jeune femme a été retrouvée dans une sorte de no man’s land, qui empêche toute investigation plus avancée. Simple coïncidence ? David Rousseau n’y croit pas et décide de mener l’enquête, qui alimentera la matière de son roman.

Un rêve d’Amérique made in Mouthe

poupoupidou3Ce qui est immédiatement enthousiasmant et touchant à la fois dans Poupoupidou, c’est cette obsession des personnages pour l’Amérique et ses mythes, dont ils rêvent pour échapper à une triste réalité et à leurs propres doutes. Le personnage de Jean-Paul Rouve se fantasme en James Ellroy donc, Candice Lecoeur en Marilyn Monroe, un jeune policier s’entraîne pour rentrer dans la police canadienne et potasse les méthodes du F.BI. tandis qu’un député régional et son frangin se prennent pour John et Bobby Kennedy. La manière même de Gérald Hustache-Mathieu de nous montrer Mouthe, petite ville continuellement ensevelie sous la neige, pleine de forêts et de cafés paumés, évoque immédiatement l’univers de Fargo des frères Coen ou de Twin Peaks, la série de David Lynch et Mark Frost. Des œuvres typiquement américaines jouant habilement avec les codes du mythe américain tel qu’il est véhiculé dans les films et séries. Le résultat est à la fois très convaincant (l’esthétique du film est très réussie) et source de nombreux gags, le côté bien franchouillard étant continuellement présent.

Plus que tout, le réalisateur nous offre là matière à réflexion : les personnages, obsédés par l’Amérique, ne font-ils pas une crise d’identité, en refusant le fait qu’il sont français ? Leur manque d’estime et de confiance en eux, évident, les oriente vers le rêve, les invite à se perdre… Chacun cherche la reconnaissance, mais une reconnaissance “américaine” en somme, bigger-than-life, inaccessible. Cela permet aussi de poser la question du film français qui cherche à se positionner par rapport au cinéma américain. Comme le disait Gérald Hustache-Mathieu en interview, “n’est-ce pas aussi la malédiction des films français de vouloir exister dans le regard des mythes et du cinéma américain ?” (interview pour Céline Cinéma) Le film, avec ses multiples références, joue avec cette lecture-là. Quelle est donc l’identité des personnages, l’identité du film, au-delà de ce rêve américain ?

Marilyn Monroe et David Lynch

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Le film, multi-référencé, est aussi un vrai plaisir de cinéphile. Gérald Hustache-Mathieu ne se contente pas d’aligner les clins d’œil, il les intègre de manière habile à l’intrigue, de manière à l’étoffer et l’enrichir. Cela lui permet également de créer un décalage, de provoquer le rire ou l’émotion. Ainsi, vous apprécierez d’autant plus Poupoupidou si vous êtes familier des films dans lesquels a tourné Marilyn Monroe (Les Désaxés, notamment) et, surtout, si vous connaissez bien l’œuvre de David Lynch. Les clins d’œil à Twin PeaksLost Highway ou Mulholland Drive sont en effet tellement nombreux qu’il serait très difficile de les énumérer de manière exhaustive.

Les plus marquants sont ceux qui font immédiatement de Candice Lecoeur une version française de Laura Palmer, blonde défunte dont le sublime cadavre est retrouvé dans le pilote de la série culte de Lynch. Le parallèle est poussé jusqu’à reproduire en partie la réalisation et les cadrages de cette scène fondatrice : le gros plan sur le visage de la morte, dévoilé par un geste de la main (le plastique soulevé dans TP, la neige retirée ici), une chevelure blonde humide dépassant de la bâche qui recouvre le corps… Sans compter la séquence onirique vers la fin (voir photo ci-dessous) où une Candice Lecoeur enfin apaisée apparaît aux côtés de David Rousseau une fois l’affaire résolue, ce qui est une référence directe à la fin du prequel ciné Twin Peaks : Fire Walk With Me (1992), lorsque la défunte Laura Palmer rejoint l’agent du FBI Dale Cooper dans la Red Room. Il y a aussi le dérèglement des néons dans l’ascenseur qui conduit Rousseau à la morgue, le vent dans les sapins, la chanson “Song to the Siren” (titre-phare de Lost Highway), le prénom Betty …

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Cette multiplicité de références lynchiennes ne surprend pas dans un film tournant autour d’un alter-ego de Marilyn Monroe : le cinéaste américain avait tout d’abord pensé adapter un roman fantasmé sur la vie de l’actrice avant d’imaginer l’univers de Twin Peaks. Il n’a d’ailleurs jamais caché que sa Laura Palmer était une version juvénile de l’icône hollywoodienne. Les termes qu’il utilise pour décrire son héroïne (“radieuse à l’extérieur, mourante à l’intérieur”) pourraient d’ailleurs facilement s’appliquer à l’actrice de Certains l’aiment chaud ou, du moins, à une certaine idée que l’on pourrait se faire d’elle au regard de ses problèmes de dépression et de sa fin tragique.

Comme Dale Cooper dans la série de Lynch, David Rousseau rencontre les proches de Candice, interroge sa psy, lit ses journaux intimes et reconstitue peu à peu la vie de la jeune femme. Alternant scènes d’investigation et flash-backs, Poupoupidou donne ainsi corps à la disparue, qui s’adresse également à nous en voix-off et hante l’écrivain au point de donner lieu à des passages complètement fantasmés.

Des personnages dépassant les stéréotypes

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Sophie Quinton, tour à tour vive, légère et mélancolique, fait de Candice un personnage convaincant et touchant plutôt qu’un simple sosie bas de gamme de Marilyn Monroe. La voir rejouer les différentes étapes de la vie et la carrière de l’actrice (de ses premières séances photos, lorsqu’elle était encore brune à sa fin tragique et voilée de mystère), est ainsi tout à fait jubilatoire.

Qu’elle fasse rebondir une balle sur une raquette (comme le personnage de Marilyn dans Les Désaxés), présente le bulletin météo en tenue légère ou se révolte contre un amant indélicat, l’actrice rayonne et apporte un charisme certain au personnage, qui n’est jamais rabaissé, même lorsque son entourage la traite en femme-objet. La scène du tournage de la pub pour le fromage est d’autant plus hilarante que Candice ne se sent paradoxalement pas humiliée et conserve toute sa dignité. Voir ensuite Jean-Paul Rouve acheter des boîtes collector de la Belle du Jura de différentes couleurs style Andy Warhol et déguster le fromage de manière religieuse renforce l’effet comique.

Surtout, si ces références à Marilyn fonctionnent aussi bien, c’est que Gérald Hustache-Mathieu s’est intéressé au fait qu’elle était à la fois une énigme et une personne avec une faible estime d’elle-même, deux éléments qui se retrouvent au cœur du personnage de Candice. Comme le disait le réalisateur en interview, Marilyn Monroe, c’est le rêve américain, le rêve de “devenir quelqu’un” (le centre névralgique du film, au final) et “le revers de cette médaille : la tragédie, l’impossibilité d’être heureuse.” Parce-qu’elle donnait corps au fantasme des autres mais était incapable de matérialiser ses propres désirs d’amour, de maternité, de sécurité affective, Norma Jean Baker s’est perdue. A jamais, elle appartient à la foule, tout en étant insaisissable. Gérald Hustache-Mathieu déclarait ainsi dans une interview à Cinémotions, à propos de Marilyn Monroe :

Elle a beau avoir été analysée, autopsiée, scrutée, elle nous a tout montré, ses seins, ses fesses, on n’a jamais fini de chercher la face cachée de Marilyn. Elle reste et restera une énigme. A la fin de ce film, comme le titre du livre qui vient de paraître, je ne connais d’elle que des Fragments. Dans le roman qu’il lui a consacré, Marilyn dernières séances, Michel Schneider dit d’ailleurs qu’elle est “un véritable mythe, c’est à dire une surface de projection qui résiste à toutes les analyses”.

Ces fragments, nous les retrouvons ainsi au travers de ces multiples références éparpillées, éclatées, tout au long de ces flash-backs assez brefs. Candice Lecoeur, starlette locale, devient elle aussi surface de projection et elle va éclairer les motivations et les doutes de David Rousseau qui, comme dans tout film noir, en enquêtant sur elle, va finalement enquêter sur lui-même.

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L’acteur est lui aussi très convaincant dans le rôle de David Rousseau, écrivain plein de bonne volonté mais un peu à côté de la plaque qui se rêve en détective et auteur de renom. Pas discret du tout pour ce qui est de se faufiler sur la scène de crime ou chez la disparue, il donne à son personnage un côté maladroit et touchant. Très loin de l’instinct quasi-surnaturel du détective Dale Cooper de Twin Peaks, cet humble amateur fait néanmoins preuve d’intelligence et de bon sens dans son enquête, jalonnée d’obstacles divers et dépasse ainsi le stéréotype de l’enquêteur raté qui lui avait été assigné.

Etre soi-même

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Nous le disions, les personnages font une sorte de crise d’identité en se projetant dans des figures américaines légendaires. Martine devient Candice et se prend pour la réincarnation de Marilyn Monroe, David Rousseau écrit sous pseudo et voudrait être James Ellroy… Persuadés que c’est en étant quelqu’un d’autre qu’ils pourront s’accomplir, Candice et David Rousseau se sont créés une armure, un double qui les dépasse totalement, comme la créature Marilyn Monroe avait en quelque sorte échappé à Norma Jean Baker. L’écrivain interprété par Jean-Paul Rouve est devenu un personnage stéréotypé moqué par la critique dans lequel il ne se reconnaît pas. Mais à la fin, nous arrivons à une sorte de réconciliation. Le héros, peu sûr de son talent, semble accepter ses faiblesses et assume enfin le fait d’écrire sous son véritable patronyme. Parce-qu’en retraçant l’histoire de Candice il s’est confronté à lui-même, le regard des autres lui fait moins peur. Gérald Hustache-Mathieu avait cité en interview (toujours pour Cinémotions) à ce propos un texte de Dino Buzzati, un journaliste italien qui s’intéressait aux récits de la vie quotidienne et à ce qui, en leur sein, pouvait paraître étrange, fantastique… Soit précisément ce que le réalisateur fait avec Poupoupidou. Ces phrases résonnent alors comme les mots que David Rousseau pourraient se dire à lui-même et constituent en somme, la conclusion parfaite au parcours du héros :

De quoi as-tu peur, imbécile ? Des gens qui sont en train de te regarder ? Ou de la postérité par hasard ? Il suffirait d’un rien ; réussir à être toi-même, avec toutes tes faiblesses inhérentes, mais authentique, indiscutable. La sincérité absolue serait en soi un tel document ! Qui pourrait soulever des objections ? Voilà l’homme en question ! Un parmi tant d’autres, si vous voulez, mais Un ! Pour l’éternité, les autres seraient obligés d’en tenir compte, stupéfaits.

 

Article revu et corrigé pour Ouvre les yeux, d’abord publié le 7 février 2011 sur le blog CulturELLEment Vôtre de Cécile Desbrun. Republié sur culturellementvotre.fr le 2 décembre 2017.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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