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[Critique] A War : Tobias Lindholm ne quitte plus les sommets

Caractéristiques

  • Réalisateur(s) : Tobias Lindholm
  • Avec : Pilou Asbaek, Tuva Novotny, Dar Salim
  • Distributeur : StudioCanal
  • Genre : Guerre, Drame
  • Pays : Danemark
  • Durée : 114 minutes
  • Date de sortie : 1er juin 2016
  • Note du critique : 8/10

Le questionnement avant l’affirmation

Les années 1970 ont eu le Viêt Nam, nos années 2010 ont malheureusement l’Afghanistan. Si l’on est tout de même un peu déçu par le manque de très grands films sur le sujet, Démineurs faisant office d’exception, le cinéma américain prouvant que le talent se dérobe à eux d’année en année, il faut souligner la mobilisation des autres pays qui ont participé à ce conflit de plus ou moins près. La France a eu Ni le Ciel ni la Terre, l’Angleterre a tenté avec En Terrain Miné. C’est au tour du Danemark de rentrer en scène, avec un A War d’autant plus attendu qu’il s’agit du tout nouveau film d’un certain Tobias Lindholm. Et Tobias, ce n’est pas n’importe qui : c’est le réalisateur qui nous a mis une grosse claque avec son excellent Hijacking, et a continué à beaucoup nous plaire avec La Chasse. C’est donc avec une certaine excitation que l’on découvre son dernier effort en date, reste à savoir si elle se justifie à la fin du film.

A War raconte l’histoire du commandant Claus Petersen (Pilou Asabaek), dont les hommes sont affectés dans une province plus ou moins sensible d’Afghanistan. Il laisse derrière lui, au Danemark, sa femme Maria (Tuva Movotny), qui doit du coup élever seule ses trois enfants. Alors qu’ils ont refusé de prendre en charge une protection rapprochée de civils apeurés en ne leur ouvrant pas leur caserne pour la nuit, les soldats danois se lancent dans une mission de routine pour vérifier que rien n’est arrivé à ces afghans. Hélas, ce qu’ils découvrent est dramatique, et la patrouille tombe dans un véritable traquenard mortel. Pour sauver son unité, Claus va prendre une décision qui certes sauve la vie de ses hommes, mais qui aura de lourdes conséquences pour lui et sa famille.

C’est pas ma guerre

image film a war

A War est clairement un film qui parle de conflit armé, mais dans un but bien précis qui l’emmène finalement à se défaire des codes du genre. Plus qu’un film de guerre, la nouvelle œuvre signée Tobias Lindholm est surtout une charge contre les conséquences de celle-ci sur l’état d’esprit d’êtres humains poussés à bout, brisés par un quotidien absolument infernal dans un pays qu’ils ne connaîtront jamais réellement. L’œuvre tisse, pendant sa première partie, une toile en deux intrigues parallèles, qui se rejoignent de par l’intérêt que les personnages ont évidemment en commun. D’un côté, Claus et son vécu guerrier, âpre voire carrément dramatique quand il doit faire face à une violence aussi absurde que graphique. Les images sont dures, mais nécessaires pour bien comprendre à quel point l’humanité se perd dans ces moments, confrontés à des choses qui ne devraient jamais voir le jour. L’autre récit de cette première moitié d’A War, c’est celui de Maria, femme courageuse, qui doit éduquer ses trois enfants en l’absence de son mari, tout en se faisant un sang d’encre pour lui. Ces deux destins, tout d’abord séparés, se réunissent dans la deuxième partie, mais pas pour des raisons agréables.

En effet, Claus revient au Danemark, mais avec l’esprit loin d’être tranquille : il est relevé de ses fonctions après ce que l’État considère comme une bavure. Avant d’en arrive à ce fait, A War nous aura démontrer avec une philosophie peu commune, du moins aujourd’hui, toute l’épouvante du système militaire. Les ordres sont les ordres, les règles sont les règles, quitte à ce que ceux qui sont sensés recevoir la protection d’un camp supposé allié pour le peuple agissent en totale contradiction avec le but présumé de leur mission. On est remué par la décision inhumaine de ne pas ouvrir leur camp à cette famille de civils venus demander protection. Il leur faudra une nuit, une seule, pour être massacré. L’homme, la femme, et les enfants. Alors que certains en auraient fait des tonnes à cet instant précis, Tobias Lindholm reste toujours maître des émotions, ne pousse pas le violon, évite l’attentat lacrymogène, de sorte que le spectateur est le seul responsable de ses sentiments. A War reste digne, même en ayant l’objectif sur ce que l’humanité fait de pire en ce bas monde. Le réalisateur filme ce qui est, et c’est terrible, une banalité en zone de guerre. Alors, quand l’unité constate le massacre, elle doit aussi se prendre dans la tronche le fruit de cette décision monstrueuse qui est à l’origine des futurs tourments de Claus.

Captivant car sans pathos

image pilou asbaek a war

A War devient alors un film “de tribunal”. Le rythme baisse obligatoirement côté action, quitte la folie furieuse de l’instantané pour laisser la place à la raison. Mais, même ici, l’humain est broyé, doit faire face non seulement à ses démons intérieurs, mais aussi à l’organisation des Hommes, cette espèce si étrange qui créée des guerres puis juge ceux qu’elle a envoyé se faire canarder. Cette seconde partie devient intime, nous donne à voir ce qui ne va pas en nous. Là encore, c’est une réussite formelle et fondamentale pour Tobias Lindholm, qui nous donne une leçon de maîtrise : il évite le pathos avec bonheur et, dès lors, donne au sectateur la possibilité de s’approprier réellement les personnages et les ressentis. Alors certes, les amateurs de théâtralisation des événements pourrons regretter un manque de sentimentalisme, mais la force d’A War est justement de ne pas nous balancer une suite de plans prémâchés, genre prêt-à-penser “à la Spielberg” (et toc). Le final, en ce sens, est d’ailleurs l’une des images les plus fortes que ce metteur en scène décidément doué ait pu tourner.

Au final, A War mérite la très belle carrière qui fut la sienne dans son Danemark d’origine. On se régale de ce genre de film, loin de la bienpensance ou de la malveillance qui peuvent habiter ce genre d’habitude. Un traitement purement philosophique, plein d’une sagesse obtenue avant tout par le questionnement, et non l’affirmation. Signalons pour finir un casting solide, mais aussi une bande originale qui a le mérite de ne jamais se faire trop présente. Décidément, on est sous le charme.

Article écrit par

Mickaël Barbato est un journaliste culturel spécialisé dans le cinéma (cursus de scénariste au CLCF) et plus particulièrement le cinéma de genre, jeux vidéos, littérature. Il rejoint Culturellement Vôtre en décembre 2015 et quitte la rédaction en 2021. Il lance Jeux Vidéo Plus. Manque clairement de sommeil.

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