[Critique] Secret Show – Clive Barker

image secret showLa Dark Fantasy selon Clive Barker

En regardant de plus près, la carrière de Clive Barker est en fait assez mal connue de la part du grand public qui, pourtant, connaît quasi-intimement son nom. L’écrivain (dont vous pouvez retrouver la critique de ses Évangiles Écarlates sur notre site) a certes fait l’objet d’une grosse poignée d’adaptations au cinéma, voire même s’est essayé directement à la réalisation, et pour faire simple tout le monde connaît Hellraiser, ou encore Candyman, au moins de par leurs titres. Seulement, Barker a encore plus à offrir à qui veut bien gratter son œuvre, et Bragelonne l’a très bien compris en se lançant dans la réédition de certains de ses ouvrages. Aujourd’hui, l’éditeur sort Secret Show, loin d’être le bouquin le plus célèbre de son auteur, et pourtant d’une certaine importance : il débute une trilogie inachevée à ce jour.

Secret Show débute aux côté de Randolf Jaffe, un homme sans histoires, simple employé dans un bureau de poste perdu au fin fond du Nebraska. Préposé aux “lettres abandonnées”, de celles qui n’arriveront jamais à leur destinataire faute d’adresse justifiée, ou de nom effacé, Randolf a la prérogative de se débarrasser de celles qui ne peuvent être livrées. Seulement, même sans passion l’homme n’en reste pas moins un minimum curieux, et se surprend au plaisir d’ouvrir ces bouteilles à la mer perdues à jamais. Il en lit une, puis deux, puis plusieurs, et se prend au jeu : lettres de déséquilibrés, messages étrangement alambiqués, propos complètement farfelus… Randolf n’est pas rassuré, car il se fait vite la remarque que toutes ont en commun d’être sacrément tordue, et ont un sujet qui revient sans cesse : une société secrète du nom d’Art. L’employé du bureau de poste est, sans le savoir, entrain de découvrir un secret qui va tout bouleverser, car ce n’est que le commencement d’une terrible bataille onirique.

Un récit d’une densité hallucinante

Résumer Secret Show est un exercice périlleux, tant la matière qui s’y exprime est foisonnante à l’extrême. Le premier élément qui domine en fin de lecture, c’est l’impression d’avoir vécu une histoire en constante évolution, d’une densité rarement aperçue dans un bouquin de genre. Tout commence avec Randolf Jaffe certes, mais certains personnages interviennent pour donner au récit de fréquentes évolutions, de sorte que l’on n’est jamais engoncé dans nos convictions. La première rencontre, Kissoon, qui donne par ailleurs lieu à l’un des passages les plus brillants de Secret Show, fait rentrer l’ouvrage dans un onirisme lovecraftien, qui rappelle clairement ce que l’auteur de Dagon a pu écrire en terme de poésie macabre. On découvre l’existence de Quiddity, l’océan aux rivages des rêves que l’humanité visite à certaines occasions, sans même s’en rendre compte.

Secret Show évolue encore quand intervient le scientifique Richard Fletcher, qui conçoit le Nuncio : un moyen d’atteindre sciemment Quiddity. Seulement, rien ne se passe comme prévu car Jaffe et Fletcher accèdent à une forme d’existence qui en font les représentants de forces contraires : Le Bon Fletcher et Jaffe Le Maléfique. La guerre est déclarée, et elle se déroulera sur Terre, par le biais des enfants de ces deux entités, procréés par le biais de quatre jeunes filles. Secret Show devient alors un récit de combats titanesques, dans lequel la plume de Barker nage comme un poisson dans l’eau. Très touffue, l’intrigue du roman peut faire peur de prime abord, voire lors d’une première lecture qui demande peut-être une seconde, cependant on retrouve bel et bien le talent de conteur de l’écrivain. On aborde de multiples thèmes, des mythes à la science en passant évidemment par les religions, la descendance et même… le milieu du show business, qui se prend quelques petits taquets derrière les oreilles. Secret Show est le genre d’œuvre très vaste, tellement qu’il faut se préparer à quelques moments d’égarement, de digressions pas inutiles pour l’ensemble mais qui pourront peut-être surprendre.

Exigeant et terriblement fascinant

Car Secret Show n’est pas un simple roman d’épouvante. D’ailleurs, pour être précis, il n’en n’est pas un ! On pourrait plutôt le qualifier de “Dark Fantasy”, même si les amateurs de Barker doivent être rassurés sur l’impact toujours aussi hallucinant des passages horrifiques. L’auteur excelle toujours dans ces séquences parfois insoutenables, il est décidément celui qui réussit le mieux à mettre mal à l’aise en jouant avec nos peurs les plus basiques. Ce mélange d’envolées lyriques et de descriptions terrifiantes fonctionne très bien dans la narration, même si l’on a tendance à vouloir avertir sur le caractère moins facile d’accès de ce Secret Show. Clairement, on n’est pas dans Les Livres de Sang (recueils de nouvelles fascinantes dont on vous parlera un jour prochain) et le trip ici proposé par Barker demande à ce que le lecteur soit dévoué corps et âme au livre. Oubliez, donc, l’envie de vous plonger dans cette histoire au cours d’un voyage en transports, vous passeriez à côté de la substantifique moelle de ce bouquin.

Secret Show est une œuvre viscérale, qui prouve de bout en bout le gigantesque talent de Clive Barker qui n’a rien à envier, on se lance, à un Stephen King (dans un autre courant). S’il est clair que les lecteurs qui recherchent un récit simple, basiquement porté sur l’horreur, peuvent passer leur tour, celles et ceux qui veulent découvrir un univers, ou carrément une mythologie, rentreront très largement dans leurs frais. N’ayant pas son pareil pour le malsain (ah, le passage du chien…), l’auteur sait aussi nous couper la chique, nous laisser à genoux, avec cinquante dernières pages que l’on qualifie tranquillement de cultes tant le ccrescendo est brillant. Secret Show est certes un ouvrage qui ne se donne pas facilement, mais s’y accrocher permet de découvrir une œuvre éminemment épique, parfois sensuelle et intimiste, qui préfère jouer avec les attentes du lecteur plutôt que se donner à lui trop facilement. Du coup, on a hâte de découvrir le deuxième tome de cette trilogie inachevée : Everville.

Secret Show, un roman de Clive Barker, traduit de l’anglais par Jean-Daniel Brèque. Aux éditions Bragelonne, 600 pages, 25 euros. Paru le 25 mai 2016.

Article écrit par

Mickaël Barbato est un journaliste culturel spécialisé dans le cinéma (cursus de scénariste au CLCF) et plus particulièrement le cinéma de genre, jeux vidéos, littérature. Il rejoint Culturellement Vôtre en décembre 2015 et quitte la rédaction en 2021. Il lance Jeux Vidéo Plus. Manque clairement de sommeil.

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