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[Critique] Pax et le petit soldat — Sara Pennypacker

image couverture pax et le petit soldat sara pennypacker gallimard jeunesseUne histoire d’amitié dans un monde en guerre

Salué l’an dernier par la critique américaine — le Publishers Weekly lui décerna même le prix du “meilleur roman jeunesse de l’année” — Pax et le petit soldat est indiscutablement l’événement de cette rentrée de janvier chez Gallimard Jeunesse, et à raison. Cette histoire d’amitié entre un enfant de 12 ans et son renard apprivoisé dans un futur proche où l’Amérique est en guerre sur son propre sol est à la fois terriblement touchante dans ce qu’elle raconte du rapport que l’on peut entretenir avec un animal — qui n’est pas ici ce que l’on pourrait appeler véritablement un animal de compagnie — mais aussi d’une grande justesse sur la guerre et ses conséquences, le sens moral et l’engagement envers ce que l’on croit au plus profond de soi.

Une fable humaniste donc, illustrée avec brio par Jon Klassen, où les animaux autant que les enfants sont victimes de la folie des hommes. Sur ce dernier point, Sara Pennypacker, qui est déjà l’auteure d’une quinzaine de livres, dont la série Clémentine, ne fait à aucun moment preuve de manichéisme et montre aux jeunes lecteurs que les personnes s’engageant dans la guerre ne sont pas nécessairement mauvaises ou irresponsables. A travers le personnage de Vola, une ancienne femme-soldat atteinte d’un syndrome de stress post-traumatique et vivant isolée dans une maison dans les bois, elle s’attache également à montrer ce que la guerre peut faire aux adultes. “Personne ne pense être du mauvais côté dans une guerre”, dit-elle en substance à Peter, le jeune héros dont le père a dû partir rejoindre l’armée lorsqu’il lui affirme que celui-ci fait partie “des gentils”. Le conflit agitant le monde où se déroule le roman restant indéfini — on ne sait pas si nous sommes aux États-Unis ou au Canada, de quelle nationalité sont les “ennemis” du pays ni quelle sont les raisons de cette guerre —le lecteur n’est pas amené à prendre parti pour l’un ou l’autre camp. Qui et pourquoi n’a que peu d’importance ici, ce qui compte, ce sont les conséquences de la guerre sur les hommes et la nature, mais aussi ce que chacun est prêt à faire pour défendre ce qui nous semble juste.

Pour Peter, ce sera retrouver son renard, Pax, que son père l’a obligé à abandonner en pleine forêt alors que le conflit approche dangereusement. Le titre du roman, Pax et le petit soldat, fait référence à la petite figurine qui est le jouet préféré du renard, mais est aussi symbolique : l’enfant est lui-même ce petit soldat, à la détermination sans faille, prêt à tout pour retrouver son renard, même si cela implique de mettre en danger sa propre vie. Le livre alterne entre le point de vue de Peter, qui fugue et entame un long et dangereux périple, et celui de Pax, désorienté par l’absence soudaine de son “humain”, qu’il souhaite retrouver plus que tout, et vulnérable en tant qu’animal apprivoisé qui n’a jamais eu à se débrouiller seul dans la nature.

Un roman prenant et bouleversant

image peter et pax illustration de jon klassen
Peter et Pax illustrés par Jon Klassen. © Gallimard Jeunesse

Sara Pennypacker a longuement étudié le comportement des renards avant de se lancer dans l’écriture de Pax et le petit soldat, et elle décrit de manière riche et détaillée leur manière de réagir, mais aussi de communiquer entre eux. Lorsque Pax rencontre ses semblables et interagit avec eux, elle indique en italique ce qu’ils se diraient s’ils étaient doués de parole. Bien sûr, c’est aussi là que le côté fable ressurgit, pour les besoins du récit : la renarde Hérissée transmet ainsi son histoire de manière ultra-détaillée à Pax, ce que l’on imagine mal être possible par des grognements et le simple langage corporel. Mais qu’à cela ne tienne, cela rend le récit prenant, d’autant plus que le comportement des animaux reste toujours crédible.

L’auteure se révèle également être une conteuse hors pair, dont le style simple et intemporel nous plonge dès le départ dans l’histoire, de sorte que le lecteur s’identifiera facilement à Peter, autant qu’à Pax. De nombreux chapitres s’achèvent par de petits cliffhangers qui en font un véritable page-turner. Ces différents pics n’ont par ailleurs rien de facile au sens où les difficultés rencontrées par les personnages ne sont pas éludées 20 pages plus loin. Chaque rebondissement crée certes du suspense, mais permet également aux héros de se surpasser, de se confronter à des choix qui les placent face à eux-mêmes et les amènent à évoluer. Pour Peter, ce sera une véritable épreuve de force, mais aussi de patience, à laquelle l’ancienne soldate Vola le préparera à faire face. Pour Pax, il s’agira de se lier à ses semblables, qui lui étaient auparavant inconnus, testant son attachement et sa dévotion envers le petit garçon.

Enfin, il se dégage une véritable émotion de Pax et le petit soldat, d’autant plus forte que Sara Pennypacker ne la force jamais. Qu’il s’agisse de la relation que Peter noue avec Vola, ou bien le lien indéfectible qui unit le jeune adolescent à son renard, la justesse et l’humanité avec lesquelles l’auteure en parle fera facilement monter les larmes aux yeux des jeunes lecteurs, mais aussi des adultes, avant une fin tout simplement bouleversante, que l’on achève de lire la gorge nouée. Car l’auteure y parle d’un sentiment d’appartenance, du lien profond et indestructible qui peut unir deux êtres, que ceux-ci soit de la même espèce ou non, de la même famille ou bien d’une famille choisie.

La guerre et l’humanité en question

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La maison de Vola et sa grange, où se réfugie Peter par Jon Klassen. © Gallimard Jeunesse

En ce qui concerne plus spécifiquement la relation unissant Peter et Pax, la manière dont l’auteure l’aborde n’est pas sans rappeler celle de Katherine Rundell dans Coeur de loup à certains égards, notamment dans sa conclusion, où le comportement de Peter envers son renard rejoint celui de la jeune héroïne russe envers ses loups. Les deux enfants ont en commun de considérer leurs animaux comme des compagnons et non comme des animaux de compagnie. Comme les loups, Pax le renard reste un animal sauvage et la question de savoir si un être à l’âme sauvage peut être apprivoisé parcourt tout le roman… On devine que la réponse est non, mais on devine aussi que l’adolescent possède également en lui une part sauvage qui lie son âme à celle du renard. Ainsi, Sara Pennypacker établira tout au long du roman des parallèles entre Pax et Peter à mesure qu’ils cherchent à se rejoindre. Les enfants n’ont pas toujours le choix, les adultes leur imposant souvent le leur, et la détermination de Peter s’avérera essentielle pour parvenir à son but et défendre ce qu’il pense être juste, là où son père semble avoir abandonné.

C’est donc une très belle histoire, véhiculant un message humaniste, positif mais jamais niais, que propose là Sara Pennypacker aux jeunes lecteurs. L’écrivaine sait se mettre à hauteur d’enfant pour parler de la guerre et de la violence des hommes, sur lesquelles elle porte un regard lucide, parfois triste, mais en aucun cas défaitiste. Loin de tout manichéisme où les gentils et les méchants seraient distinguables au premier coup d’oeil, elle montre que la violence est un monstre qui sommeille en chacun d’entre nous, mais qu’il n’y a pas de fatalité pour autant : si la violence et le mensonge semblent inhérents à l’espèce humaine, cela ne signifie pas pour autant que tous les hommes sont destinés à être violents. Et une femme telle que Vola, qui s’est retirée du monde à cause de la culpabilité qu’elle ressent envers les actes qu’elle a commis durant la guerre, n’est pas non plus un monstre puisqu’elle a gardés intacts sa sensibilité et son sens moral. Ce sont finalement nos choix qui déterminent ce que nous deviendrons, et qui ferons de nous quelqu’un de bien… ou nous pousserons au contraire à faire preuve de lâcheté.

On relèvera également que par le biais de situations extrêmes, Sara Pennypacker aborde aussi les sentiments contradictoires qu’un enfant de l’âge de Peter peut être amené à ressentir, comme la colère, qui l’effraie car elle peut lui donner l’impression d’être une bombe sur le point d’exploser s’il est entouré d’adultes colériques, ce qui le poussera à la refouler. Cette réflexion autour des émotions et de leur acception, mais aussi de la question ô combien épineuse et complexe consistant à savoir ce qui fait de nous des humains, est développée avec une finesse extraordinaire et fait donc de Pax et le petit soldat, non seulement un futur classique de la littérature jeunesse, mais également une oeuvre pédagogique qui sera utile pour ouvrir le dialogue avec les enfants de 10 ans et plus et aborder avec eux certains sujets délicats.

Pax et le petit soldat de Sara Pennypacker, illustré par Jon Klassen, traduit de l’américain par Faustina Fiore, Gallimard Jeunesse, sortie le 12 janvier 2017, 319 pages. 13,90€. A partir de 10 ans.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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