[Critique] Fables, Intégrale volume 1 — Bill Willingham

Caractéristiques

  • Traducteur : Nicole Duclos
  • Auteur : Bill Willingham
  • Editeur : Urban Comics
  • Collection : Vertigo
  • Date de sortie en librairies : 19 janvier 2018
  • Format numérique disponible : Non
  • Nombre de pages : 400
  • Prix : 28€
  • Acheter : Cliquez ici
  • Note : 8/10

Au pays des contes de fées

Publié aux États-Unis de 2002 à 2015, Fables est l’un des comics fantastiques les plus aimés de ce début de XXIe siècle. A partir d’un concept simple, accrocheur, mais peu évident de base (tous les personnages de contes de fées ont dû s’exiler à New-York, dans notre réalité), Bill Willingham a su mener sa série de main de maître, et lui assurer une longévité enviable au sein du monde de l’édition. Urban Comics propose aujourd’hui à ses lecteurs une intégrale de l’oeuvre au sein de sa prestigieuse collection Vertigo, chaque volume comprenant 3 tomes “standard”. Que l’on soit déjà familier de cet univers ou bien qu’on le découvre, la lecture est un vrai plaisir tant cette édition est irréprochable du point de vue de l’impression et des couleurs que des finitions. Ce premier volume à l’épaisse couverture reliée bénéficie par ailleurs d’une préface de l’auteur, d’une nouvelle autour des origines de Bigby Wolf, de croquis et de nombreux artworks de couverture. Très complet !

Une première remarque avant de rentrer véritablement dans le coeur du sujet : on ne peut que constater le lourd tribut que doivent des séries télé telles que Grimm ou (surtout) Once Upon a Time en lisant Fables aujourd’hui. Le comics de Bill Willingham est certes plus sombre, violent et sexy que la série d’ABC, mais, du concept à certains partis pris, les fondations sont bel et bien là : une petite ville (ici un quartier de NY) des États-Unis abrite tous les personnages de contes de fées, Blanche-Neige est adjointe au maire — dans Once Upon a Time, la Méchante Reine était maire de la ville — tandis que le grand méchant loup est shérif. Gentils et méchants ont signé une trêve, et tous doivent dissimuler leur véritable identité au commun des mortels (appelés tout simplement les Communs) sous peine d’entraîner une catastrophe. A partir de là, bien entendu, le comics prend des chemins bien différents que les séries qu’il a inspirées, et c’est donc aux trois premiers tomes regroupés dans ce premier volume que nous nous intéresserons ici.

Une vision détonnante des histoires de notre enfance

image planche jack fables intégrale volume 1 urban comics
© Urban Comics

Avec Fables, Bill Willingham a souhaité moderniser les contes, les rendre adultes, plus cruels et, surtout, plus pertinents par rapport à notre époque dominée par l’argent et les cours de la Bourse. C’est ainsi que les protagonistes se retrouvent à New-York, la ville qui ne dort jamais et où se trouve bien entendu Wall Street. Bien que vivant au milieu des humains, le coeur des activités des Fables (puique c’est ainsi que se nomme leur peuple) est dirigé depuis un immeuble qui leur sert d’hôtel de ville, et où siège Blanche-Neige, chargée de recevoir les citoyens afin de les aider à régler leurs problèmes.

Tous les Fables à l’apparence non-humaine ont quant à eux dû émigrer dans une ferme dissimulée aux regards indiscrets par de puissants sortilèges afin d’éviter de provoquer la panique des Communs. Une situation qui ne leur convainc guère, même s’ils possèdent un certain confort de vie. Entre une révolution et la disparition mystérieuse de sa jeune soeur Rose Rouge, Blanche-Neige et Bigby Wolf auront donc beaucoup à faire !

Ce qui frappe dès la première lecture, c’est la liberté de ton de Bill Willingham pour nous raconter ces histoires piquantes et souvent assez sanglantes. Contrairement à d’autres oeuvres du genre, il ne se sent ainsi nullement obligé de reprendre l’histoire originelle de chaque personnage, préférant en rester à quelques références bien senties dans les dialogues ou au sein de l’intrigue. La trame narrative liée à Églantine, la Belle au Bois Dormant, est ainsi celle qui se révèle la plus proche du conte de Perrault, même si l’auteur y verse quelques facéties de son cru. Pour le reste, Willingham se plaît à dynamiter tout ce beau monde en faisant du Petit Chaperon Rouge (Rose Rouge) une adolescente rebelle et délurée, le Prince Charmant un arrogant escroc, Boucle d’Or une passionaria révolutionnaire folle furieuse et Barbe Bleue un dandy particulièrement porté sur le sexe. Ces quelques exemples suffisent à donner le ton d’un comics qui n’est vraiment pas à placer entre les mains des enfants ! Entre deux enquêtes particulièrement bien troussées, Blanche-Neige se rapproche du grand méchant loup (qui a pris forme humaine), et les Fables dangereux sont condamnés à mort par décapitation. Bref, des aventures, mais aussi pas mal de sang et de frissons !

Une oeuvre résolument pop

image planche la belle et la bête fables intégrale volume 1 urban comics
© Urban Comics

La grande qualité de ces cinq histoires (“Légendes en exil”, “La ferme des animaux”, “Sac d’os”, “Droit de réponse” et “Romance”) est de ne jamais sombrer dans la complaisance et de trouver un bel équilibre entre personnages, suspense et références aux contes. Les thèmes des différents contes sont bien repris, mais de manière très libre : l’archétype que représente chaque personnage se voit actualisé en fonction de notre époque, de manière plus ou moins évidente par rapport au conte d’origine. A travers l’histoire de Bigby Wolf par exemple, Bill Willingham a mêlé à la fois les légendes de loup-garou au conte de Madame Leprince de Beaumont, La Belle et la Bête.

Le résultat, s’il n’est pas très jungien ni même freudien — les contes de fées ont fait l’objet de nombreuses analyses sous l’angle de la psychanalyse — est attrayant, efficace et drôlement réussi. Quant au dessin de Ian Medina, Mark Buckingham et Bryan Talbot, s’il pourrait être défini comme assez “classique” pour un comics, il possède une véritable épaisseur, et un petit côté pop art 70’s à certains endroits qui le rendent particulièrement plaisant. Ainsi, le Prince Charmant aurait presque pu être dessiné par Roy Lichtenstein !

Que vous soyez déjà tombé sous le charme de Fables ou non, cette intégrale à l’édition particulièrement soignée est une bonne manière de découvrir ou redécouvrir l’oeuvre de Bill Willingham, parmi les plus influentes des vingt dernières années. Si vous avez une image mièvre des contes de fées (qui sont souvent ramenés aux versions de Disney et non à celles de Grimm ou Andersen) ou souhaitez découvrir des variations modernes pleines de sang et de fureur, ce premier volume saura vous happer. On se glisse au sein de Fableville avec d’autant plus d’aisance que la narration de Bill Willingham est incroyablement fluide et ne perd jamais le lecteur parmi ses multiples personnages et sous-intrigues. Une vision drôle, prenante et impertinente !

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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