[Critique] Polina, danser sa vie : une oeuvre réaliste et incandescente

Caractéristiques

  • Réalisateur(s) : Valérie Müller, Angelin Preljocaj
  • Avec : Anastasia Shevtsova, Niels Schneider, Juliette Binoche...
  • Distributeur : UGC Distribution
  • Genre : Drame
  • Pays : France
  • Durée : 112 minutes
  • Date de sortie : 16 novembre 2016
  • Note du critique : 8/10

Critique

image scène danse anastasia shevtsova polina danser sa vie müller preljocaj
©UGC Distribution

Adaptation de la bande-dessinée très remarquée de Bastien Vivès parue en 2011 chez Casterman, Polina, danser sa vie suit le parcours, de l’enfance à l’âge adulte, d’une jeune danseuse, des barres du conservatoire en Russie jusqu’à son exil, en France puis en Belgique, où elle cherchera sa voie. Des années marquées par l’extrême rigueur de la danse classique, qui exige paradoxalement un certain lâcher prise afin d’atteindre la grâce. Le film de Valérie Müller et Angelin Preljocaj repose tout entier sur cet équilibre délicat entre maîtrise et abandon, qui semble pétrifier la jeune Polina, jusqu’à ce qu’elle découvre le monde en dehors des petits rats de l’opéra et laisse enfin émerger sa véritable personnalité.

Déroulé de cette manière, le pitch est on ne peut plus classique et pourra évoquer celui de Black Swan, la schizophrénie en moins. Cependant, malgré une évolution plus ou moins attendue, Polina, danser sa vie parvient à éviter certains poncifs que le cinéma et la télévision ont pourtant usés jusqu’à la corde. Par exemple, alors que le regard fermé et finalement assez ambigu du vieux professeur de danse ultra-strict de la jeune fille laisse craindre une tentative de séduction, le film nous détrompe et permet aux deux personnages de nouer une relation plus subtile que ce à quoi l’on aurait pu s’attendre. De même, si Polina travaillera à un moment en tant que barmaid dans un quartier un peu “chaud”, le scénario ne tombe jamais dans le misérabilisme qui lui tendait les bras : non, la jeune danseuse ne se prostituera pas.

Anastasia Shevtsova, dont c’est le premier film en tant qu’actrice, incarne cette héroïne de prime abord rigide avec une intensité qui force le respect, sans jamais tomber dans le cabotinage. Tout passe dans ses grands yeux déterminés lorsque, cherchant à garder le contrôle de ses émotions, le reste de son visage semble figé en un masque de cire. Elle rend tout à fait  convaincante l’évolution de Polina, de jeune élève appliquée mais trop tendue à la danseuse intuitive qui se dévoile dans des chorégraphies où affleurent toutes ses émotions contenues.

Des scènes dansées qui valent mieux que de longs discours

Les grandes scènes dansées du film sont finalement assez rares puisqu’on assiste surtout à des scènes de cours et de répétitions, où l’on voit l’héroïne lutter entre maîtrise de son corps, écoute de son partenaire et lâcher prise. En cela, Polina, danser sa vie ne s’apparente pas à un film musical typique, malgré une séquence dans le métro où l’imagination de la jeune femme prend le dessus et qu’elle visionne les gens en train d’effectuer quelques pas de danse à partir de quelques mouvements quotidiens. Cependant, contrairement aux comédies musicales, le film ne présente pas ces passages comme des interludes au milieu de scènes dialoguées et ne recherche pas vraiment le côté clipesque ; la fluidité serait plutôt de mise.

Si bien que les deux scènes-phares du film, chorégraphiées de manière saisissante par Angelin Preljocaj, n’en ont que plus d’impact. Dans ces séquences, Polina s’abandonne toute entière à la danse, et si les réalisateurs utilisent quelques artifices tels que le ralenti ou encore la superposition d’un paysage russe enneigé assez théâtrale pour ne pas dire un peu kitsch, l’émotion qui se dégage des images et de la performance d’Anastasia Shevtsova est réelle et agrippe immédiatement le spectateur. D’où l’excellente idée de terminer le film sur un morceau de bravoure de quinze minutes dansées, sans le moindre dialogue ; une scène qui dit le désir, l’absence et l’abandon liés à l’histoire de l’héroïne mieux que n’importe quel long discours qui n’aurait pu apparaître que convenu dans le contexte de l’histoire.

C’est d’ailleurs dans sa dimension sociale que le film se révèle plus maladroit : si montrer que tous les danseurs ne viennent pas d’un milieu bourgeois est tout à fait louable, les relations mafieuses du père, qui donnent lieu à quelques scènes mouvementées, flirtent quelque peu avec le cliché étant donné que la jeune fille, mi-géorgienne, mi-sibérienne, a grandi en Russie. Cependant, cette sous-intrigue, très peu développée, reste en arrière plan et ne nuit pas réellement au film outre mesure.

Un film organique et réaliste

Certains critiques ont également regretté les choix musicaux effectués par Valérie Müller et Angelin Preljocaj, les considérant comme peu raffinés  — ce qui fait sans doute référence à la présence de techno peu subtile lors de plusieurs scènes, notamment la première grande scène où Polina se laisse aller en dansant. Cependant, c’est faire là un faux procès au film que de lui reprocher ce parti pris : dans la scène en question, la jeune femme danse devant des jeunes d’un atelier organisé par une MJC, sur une musique qui est à la fois celle qu’ils écoutent, mais aussi celle qu’elle entend sans cesse dans le bar (pas hype du tout) dans lequel elle travaille. Sa formation classique et cet environnement qui n’est à l’origine pas le sien, mais dans lequel elle baigne, se mélangent ainsi dans cette scène très organique. Cette pulsation techno apparaît à plusieurs moments du film, et est utilisée de manière tout à fait appropriée, à défaut d’être originale, nous faisant rentrer dans l’esprit de Polina. Quant aux scènes de cours et de répétition, elles mettent l’accent sur l’effort, la rigueur et la douleur de la discipline, plutôt que sur la grâce et la flamboyance ; utiliser une musique lyrique (à l’image des variations oniriques de Clint Mansell autour du Lac des Cygnes pour Black Swan) n’aurait donc eu aucun sens.

En définitive, Polina, danser sa vie est donc une très bonne surprise. Valérie Müller, que l’on n’attendait pas avec un film de cette tonalité après Le monde de Fred (2014), filme avec son compagnon Angelin PreljocajAnastasia  Shevtsova et ces jeunes danseurs avec force et délicatesse, variant les séquences “en immersion” (en plans rapprochés) et celles jouant davantage sur l’espace, où les corps peuvent se libérer et former des figures se déployant sous les yeux du spectateur. Salué pour son adaptation dansée, remarquable de créativité, de Blanche-Neige il y a quelques années (clin d’oeil manifeste, Polina sera d’ailleurs envisagée pour ce rôle dans le film), le chorégraphe conçoit des scènes dansées organiques, qui ne sont jamais dans la simple démonstration et expriment bien plus sur les émotions des personnages que toutes les scènes dialoguées réunies. La réussite du film tient beaucoup à ce réalisme, bien loin de la vision plus lisse et aseptisée de beaucoup d’oeuvres sur le sujet. Anastasia Shevtsova, jeune danseuse du prestigieux ballet du Théâtre de Mariinsky à Saint-Pétersbourg, dont c’est la première expérience de cinéma, y apparaît en état de grâce, l’apparente froideur de son personnage dans la première moitié du film laissant transparaître un feu dont l’incandescence ne tardera pas à brûler la pellicule.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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