[Test – Blu-Ray] La Féline – Paul Schrader

Caractéristiques

  • Titre : La Féline
  • Titre original : Cat People
  • Réalisateur(s) : Paul Schrader
  • Avec : Natassya Kinski, Malcolm McDowell, John Heard
  • Editeur : Elephant Films
  • Date de sortie Blu-Ray : 1er juin 2016
  • Date de sortie originale en salles : 8 septembre 1982
  • Durée : 118 minutes
  • Acheter : Cliquez ici
  • Note : 10/10

Image : 5/5

Comme d’habitude, Elephant Films (Le monstre de Londres) gâte les cinéphiles en leur proposant non seulement du film rare, mais surtout dans des éditions de haute volée. Ici, la propreté du master est tout bonnement bluffante, une restauration qui sauvegarde jusqu’à l’utilisation du grain. Le travail de John Bailey, directeur de la photographie de talent malheureusement égaré depuis quelques temps, est bien respecté, ce qui permet de mettre en valeur les décors fantastiques de ce film. C’est plein de couleurs, de jeu de contraste, un plaisir pour les esthètes. Un master qui tutoie la perfection, même si une poignée de plans paraissent un chouïa en-dessous. Pour les amateurs de cette rareté qu’est La Féline, c’est tout simplement un régal.

Son : 5/5

La Féline est proposé en français dans un DTS-HD Master 2.0 d’une belle profondeur. Le doublage n’est cependant pas spécialement pertinent, notamment celui de Malcolm McDowell, dès lors nous ne pouvons que vous diriger vers l’autre solution : la version originale sous-titré dans la langue de Molière. Celle-ci, proposée en DTS-D Master 5.1, est un pur plaisir pour les oreilles. Pas un pet de souffle pour cette piste qui atteint un joli degré de confort d’écoute.

Bonus : 5/5

C’est un sans faute pour cette édition de La Féline. Elephant Films s’est surpassé, et propose de quoi se régaler en nombre et en qualité. « Portrait de Paul Schrader », long de 25 minutes, fait revenir le réalisateur sur toute l’aventure du film, un document passionnant. « Entretien de plateau avec Paul Schrader » (10 minutes), est une entrevue d’époque qui nous a fasciné avant tout pour le saut dans le temps qu’il propose. Le metteur en scène est un peu mal à l’aise face à la caméra, semble ne pas vouloir trop en dire au début, puis se laisse un peu aller et dévoile même quelques lignes sur le fond de son film. Une catégorie « Interviews » rassemble des entrevues avec Paul Schrader, Natassja Kinski, Annete O’Toole, John Heard, Malcolm McDowell, Lynn Lowry et Giorgio Moroder, pour un total de de 47 minutes d’interventions ! « Sound [and Vision] partie 1 par », par Christophe Conte (8 minutes), dont la deuxième partie se trouve dans l’édition de Série noire pour une nuit blanc, met en avant le travail de David Bowie en rapport avec l’image, donc inévitablement le cinéma. Et ce n’est pas tout, car cette édition de La Féline met à disposition un commentaire audio de Paul Schrader, évidemment sous-titré en français. Un programme complet, donc, qui permet de véritablement de mieux cerner cette œuvre si particulière.

Synopsis

près la mort de ses parents, la jeune Irena Gallier retrouve son frère aîné, Paul, qui vit près de La Nouvelle-Orléans. Peu de temps après, Paul disparaît sans laisser de traces dans une maison close où une prostituée a été attaquée par une panthère. On réussit à capturer l’animal qu’on enferme dans un zoo où, le lendemain, Irena accourt. Elle se lie d’amitié avec un des zoologistes, Oliver Yates. La panthère tue un de ceux qui la soignent. Peu de temps après, Paul se réveille tout nu dans une cage du zoo et arrive à s’échapper. Il révèle à sa sœur un secret de famille : les membres de la famille ne peuvent s’accoupler qu’avec leurs propres frères ou sœurs, sous peine de se transformer en panthère, et ils ne peuvent retrouver leur forme humaine qu’après avoir tué un humain…

image natassja kinski la féline

La critique du film

Dans les années 1980, Universal se lance dans une vague de remakes de classiques du cinéma fantastique (rappelons que 1982 est aussi l’année de sortie d’un certain The Thing, de Big John). Parmi ceux-ci, La Féline s’est particulièrement démarqué, et pour cause. L’idée d’associer Paul Schrader, scénariste de génie (Taxi Driver, Obsession, Rencontre du Troisième type, Yakuza, Raging Bull, tout ces gros morceaux sont de sa plume) et quelque peu énervé, au projet de refaire un film de l’immense Jacques Tourneur, c’est le genre de concept complètement fou, mais aussi exaltant. Que pouvait-on attendre de la part de celui qui venait de signer deux réalisations aussi jusqu’au-boutistes que Hardcore (à quand une vraie édition pour cette pépite ?)  et American Gigolo ? Un film marqué par un profond questionnement sur notre rapport à la sexualité, certes, mais rien ne pouvait préparer à La Féline version 1982, qui aborde frontalement le thème de l’inceste.

Hardcore, cette histoire d’un père qui part à la recherche de sa fille disparue et la retrouve bien installée dans le milieu du X, avait déjà cette patte purement « schraderienne », qui avait le don de nous mettre mal à l’aise via un film de genre finalement assez classique dans l’utilisation de ses codes. La Féline, lui, va plus loin, tant le réalisateur semble ne pas vraiment faire attention ni au genre, ni au film d’origine pour lequel il déclare ne pas avoir de passion. Ainsi, cette version 1982, de commande il faut le rappeler histoire de bien prendre conscience de la grosse liberté que s’est accordée Paul Schrader au nez et à la barbe d’Universal, n’a pas grand chose en commun avec sa grande sœur. Les noms des personnages tout au plus, mais le reste prend soin de vivre par lui-même. Au ton clairement nihiliste de Tourneur, tout en suggestion, la version du scénariste de Taxi Driver oppose une vision plus crue, sexuée, avec même certaines poussées gore bien utilisées. De ce fait, La Féline version Schrader pourrait même être considéré comme l’inverse de celle de Tourneur, même si une pointe de fatalisme se fait sentir dans certaines séquences avec un Malcolm McDowell possédé par son rôle. Une démarcation qui se poursuit jusque dans l’esthétique de l’œuvre.

image film la féline

La Féline de 1982 est visuellement ébouriffant. La direction artistique du film sied au souhait de Paul Schrader, qui souhaitait pousser à l’extrême le travail débuté dans son American Gigolo. En résulte une folie de tous les instants, qui n’hésite pas à utiliser des techniques dangereuses pour la forme, comme l’usage du montage à l’envers, pour imposer des plans impressionnant. Les couleurs, profondes, apportent à l’ensemble un lyrisme fascinant, certainement bien aidé par un metteur en scène qui avoue avoir été complètement « défoncé » pendant le tournage, et une bande originale entêtante de Giorgio Moroder en association avec un certain David Bowie. La poésie des images, en contradiction avec un fondamental clairement malsain, créé une ambiance en tous points étranges, un malaise dans lequel le casting (certainement aussi « high » que le réalisateur pour une partie) nage comme un poisson dans l’eau. C’est une constante chez Paul Schrader, sa direction des comédiens pousse ces derniers dans leurs ultimes retranchements, et la sublime Natassja Kinski n’échappe pas à la règle. Même Malcolm McDowell, qui s’est avéré rarement juste tout au long de sa carrière (If, Orange Mécanique, C’était Demain et La Féline font office d’exceptions dans sa filmographie), est ici employé à bon escient, notamment au détour de quelques gros plans qui mettent bien en valeur ses traits pour le moins inquiétants. La Féline ose des choses, et grâce aux talents à tous les étages le film évite tout aspect cheap, kitsch. Impossible de ne pas saluer, par exemple, le formidable travail de Bruce Weintraud, dramatiquement emporté par le Sida à seulement 33 ans. Déjà à l’œuvre sur Hardcore et Blow Out, ce génie atteint ici des sommets, que la lumière de John Bailey met idéalement en valeur. Pour bien se rendre compte de la force du bonhomme, il enchaîna comme set décorator de Scarface

La Féline est une œuvre que l’on peut considérer comme culte, terriblement raillée lors de sa sortie car comparé de façon imbécile à la version de Tourneur. C’est d’ailleurs un point commun avec The Thing, autre revisite très audacieuse sortie en 1982, qui n’a pas du tout rencontré son public au profit de E.T. Comme quoi, le public était déjà allergique aux remakes, au risque de passer à côté d’œuvres de grandes qualité et réhabilité des années plus tard, quand la sagesse refait surface. Il est certain que le sujet de l’inceste, abordé frontalement, n’a pas aidé, les spectateurs de l’époque cherchant plus les bons sentiments, le succès du Spielberg en est la preuve. Gros échec au box office, La Féline est malheureusement un gros coup de frein dans la carrière du génial Paul Schrader qui, s’il arrive à tout de même enchaîner avec Mishima (son dernier coup d’éclat pour ainsi dire), ne retrouvera jamais de budgets lui permettant de s’exprimer totalement. Un fait très dommageable pour le cinéma, tant le bonhomme avait bien des choses à exprimer…

image malcolm mcdowell la féline

Article écrit par

Mickaël Barbato est un journaliste culturel spécialisé dans le cinéma (cursus de scénariste au CLCF) et plus particulièrement le cinéma de genre, jeux vidéos, littérature. Il rejoint Culturellement Vôtre en décembre 2015 et quitte la rédaction en 2021. Il lance Jeux Vidéo Plus. Manque clairement de sommeil.

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