New York chamboule la musique d’Emilie Simon
après la sortie de son album Végétal. Un album presque intégralement dans la langue de Shakespeare, très inspiré de la pop déjantée des années 80 (Kate
Bush en 1er lieu comme on verra). On y retrouve encore une fois les sons électro qui font souvent partie intégrante de ses compositions décalées mais cette fois-ci, l’organicité de la
musique est plus marquée que sur ses deux précédents albums, qui comportaient déjà ce mélange entre le synthétique des sons produits sur ordinateur et l’organique de divers instruments (cordes,
piano, etc.) qui lui avaient rapidement valu son surnom de « Björk française. »La jeune femme a décidé de ne pas utiliser son ordinateur pour composer ses titres cette fois-ci et de réunir ses musiciens avant même d’avoir achevé la composition des morceaux. Dans une
interview publiée par les Inrocks début octobre, elle explique qu’elle a beaucoup joué les chansons de l’album live avec son équipe et qu’elle a affiné son écriture au
fil de ces performances. D’où un son plus direct, moins distant (moins hautain?) qu’avant, plus ancré. Dans la même interview, elle révèle qu’elle avait utilisé une base de basse et de batterie
pour la plupart des titres, auxquels s’ajoutent cuivres, piano ou synthés sur d’autres. Un mélange du meilleur effet, très assuré de la part de cette musicienne multi-diplômée.Un autre élément prépondérant, qui étonne au plus haut point sur ce troisième opus, est le travail que la chanteuse a effectué sur sa voix. Tandis que sur ses précédents disques elle affichait un
filet de voix aigu de petite fille (Vanessa Paradis puissance 5) assez particulier qui pouvait être irritant selon certaines sensibilités, ici, sa voix, bien qu’elle reste
beaucoup dans les aigus voire suraigus, prend une envergure tout à fait étonnante et elle s’amuse de toute évidence beaucoup à la tordre de manière théâtrale, à effectuer des variations. Plus de
puissance, plus de maîtrise mais également, beaucoup plus de « lâchage » pour un disque qui s’avère tout sauf policé.
Kate Bush or not Kate Bush?
Bien entendu, on ne peut pas évoquer le travail vocal effectué par Emilie Simon ici sans passer par cette comparaison évidente que 99% des journalistes et auditeurs
ont relevée (ou pointée du doigt…): Kate Bush.
Tandis que les critiques positives ont parlé d’influence, d’autres, moins flatteuses, l’ont sans détour accusée de pompage pur et simple. Il faut dire que Kate Bush,
l’excentrique et géniale Anglaise, est considérée comme l’icône pop baroque absolue des années 80 et certains journalistes et admirateurs accusent un peu vite certaines artistes féminines ayant
percé après elle de s’en être inspirée ou de l’avoir copiée sans que cela soit nécessairement pertinent. L’exemple type: Tori Amos. La pianiste rousse a percé en Angleterre en
1991 puis aux Etats-Unis en 1992 et a très tôt été comparée à Kate Bush sur la foi de trois éléments uniques: 1/ l’excentricité assumée 2/le piano 3/la chanson « Crucify » dont le
« chaaiiiins » à la fin du refrain peut rappeler, très lointainement, les vocalises de la Britannique. Et le fait, bien sûr, que les deux artistes sont classées dans la catégorie pop. Ce jeu des
étiquettes aura pour le moins collé à la peau de l’Américaine qui est toujours considérée par une partie de la critique comme une « pâle copie de Kate Bush » alors même que leurs
musiques respectives n’ont que très peu de points communs, de même que leurs voix.
Mais force est de constater que lorsqu’on parle d’artistes féminines, pour une partie de la critique, il ne peut y en avoir qu’une (alors que plusieurs artistes masculins, dans le rock notamment,
peuvent être considérés comme des génies par un même critique) et la plus jeune aura toujours tort. Les auteurs-compositrices-interprètes ayant émergé à partir du milieu des années 90 et ayant
pour instrument le piano ou ayant un brin de « provoc » ou « rebel » touch ont ainsi toutes été comparées à Tori Amos: Alanis Morissette, Fiona
Apple, Vanessa Carlton, Natasha Khan de Bat for Lashes…
Alors, misogynes et hypocrites, les critiques avec le dernier opus d’Emilie Simon, 31 ans? Disons les choses sans détour: la ressemblance vocale est en effet telle que si vous
passiez une chanson de The Big Machine à quelqu’un familier de la voix de Kate Bush (comme « Nothing to Do With You » ou « The Cycle », confondants) en la
lui présentant comme le nouveau single de l’Anglaise, le pauvre bougre n’y verrait que du feu. Sur les 12 titres qui composent l’album, 9 présentent une similitude vocale frappante, que ce soit
au niveau de la tessiture de la voix ou de la manière dont la Française l’utilise, très semblables à Bush. Ceci dit, peut-on blâmer Emilie Simon et bouder cet
excellent album sur ce seul argument? Après tout elle avoue volontiers cette influence, comme dans cette interview pour Ptitblog.com: « Je
crois que Kate Bush est la première femme que j’ai découverte enfant. Elle est réalisatrice, très créative, avec une réelle liberté. Moi, je me suis amusée et il y a des
trucs qui sont ressortis comme des trucs d’enfance, des premiers disques que j’ai aimés. Je l’ai fait avec tout mon coeur. On vient tous de quelque part. C’est moi à 100% mais il y a des
références qui sont ressorties avec lesquelles je m’amuse et que j’assume complètement. » Et, lorsque le résultat est aussi réussi, avec notamment des arrangements excellents qui n’ont pas
nécessairement grand chose à voir avec la pop de l’Anglaise (sauf sur certains titres), comment nier à Emilie Simon le talent qui est de toute évidence le sien?
Un virage réussi pour un album pop déluré et addictif
Car The Big Machine regorge de merveilles pop colorées sans jamais être artificielles et témoigne d’une ambition certaine de la part d’une
artiste dont ce disque marque, mine de rien, un virage musical assez radical. La jeune femme avait peur de se reposer sur ses lauriers et de se répéter et a cherché à faire quelque chose de
différent (en terme de composition et d’enregistrement notamment) pour se développer en tant que compositrice et artiste tout simplement, avait-elle déclaré aux Inrocks.
L’équilibre entre électronique et accoustique est parfait et ce son plus direct, plus live, lui attirera sans doute de nouveaux auditeurs tandis que la langue anglaise semble l’avoir libérée de
rimes trop policées qui, notamment sur son album éponyme, relevaient presque de la prétention involontaire (« Les vers de Lise se lisent autour d’un verre »…).
Et puis, peu importe la ressemblance avec Kate Bush, sa voix est on ne peut plus enthousiasmante et les divers registres vocaux qu’elle emploie ici
(très 50’s sur l’excellent « Rocket to the Moon », plus proche de sa voix « naturelle » avec plus de coffre cependant sur le magnifique « Fools Like Us » …) montrent qu’elle ne cède pas à la facilité
et témoignent d’un beau travail sur sa voix. The Big Machine est un album musicalement riche et plein d’imagination, qui devient vite addictif et peut se targuer de
rendre en partie hommage à la pop des années 80 sans tomber dans un son ou des arrangements datés. Parmi les perles du disque, on peut citer: « Rainbow », le single « Dreamland », « Chinatown »,
« Ballad of the Big Machine », « Rocket to the Moon », « Fools Like Us » ou encore le très beau final mêlant synthés très électro, percussions et choeurs, « This is Your World. »
Au final, The Big Machine se révèle être un des meilleurs albums de l’année et il sera sans doute très intéressant de voir quelle
influence ce disque aura sur les travaux ultérieurs d’Emilie Simon.