Caractéristiques
- Titre : Emprise
- Titre original : Frailty
- Réalisateur(s) : Bill Paxton
- Avec : Bill Paxton, Matthew McConaughey, Powers Boothe...
- Distributeur : CTV International
- Genre : Thriller
- Pays : Etats-Unis, Allemagne, Italie
- Durée : 100 minutes
- Date de sortie : 15 Mai 2002
- Note du critique : 5/10 par 1 critique
Au nom du père
En juillet dernier, j’ai remporté le Golden Blog du meilleur article pour ma critique/analyse de Lost Highway, et j’ai reçu en cadeau le DVD du premier film méconnu
de Bill Paxton, Emprise, dont je vous propose ici ma critique conjointement à celle des autres lauréats, qui ont également dû publier la leur
aujourd’hui. Je remercie donc chaleureusement Bruce Kraft et la bande du C.O.B.C. de m’avoir fait parvenir ce film dont je n’avais jamais entendu parler.
Bill Paxton est bien évidemment très connu en tant qu’acteur au ciné (Aliens, Apollo 13, Titanic…)
et depuis 2006 à la TV (Big Love, où il joue un chef de famille mormon polygame) et lorsqu’au début des années 2000 il veut s’essayer à la réalisation, il jette son
dévolu sur le scénario d’un thriller sombre et paranoïaque signé Brent Hanley et décide de s’offrir le rôle, sinon principal du moins central, du père de famille schizo qui se
met à massacrer son prochain, persuadé d’être le bras armé de Dieu dans sa lutte contre les démons.
L’élément sadique du scénario, c’est que les deux jeunes fils qu’il élève seul feront bien évidemment les frais de cette folie paranoïaque aiguë. Le plus âgé, Fenton, perçoit la folie cachée
derrière cette obsession mais est impuissant à l’arrêter et ne peut protéger son cadet, Adam, qui croit aveuglément leur paternel et approuve de plus en plus sa soif de justice meurtrière.
Lorsque le film débute, Fenton est adulte et se rend au siège du F.B.I. à Dallas pour révéler que son frère, qui vient de se suicider, était la Main de Dieu, un serial-killer activement
recherché. À partir de là, une longue nuit de tête-à-tête entre Fenton (Matthew McConaughey) et l’agent Wesley Doyle (Powers Boothe) commence, et tout le film
est monté en flash-back avec des allers-retour réguliers dans le présent.
Psychologiquement sadique et effrayant
Avec cette intrigue alléchante et les citations
dithyrambiques de géants du suspense sur la jaquette du DVD (Stephen King, Sam Raimi et James Cameron), je m’attendais à un film d’une intensité
à couper au couteau du début à la fin, se terminant en apothéose. Malheureusement, si les 3/4 du film tiennent toutes leurs promesses, la fin m’a grandement gâché le plaisir que j’avais pu
prendre à regarder ce thriller retors et psychologiquement éprouvant. Mais commençons déjà par les qualités (réelles et pour certaines remarquables), même si, en regard de cette fin, j’avoue
porter un regard plus distancié sur le film dans son ensemble.
Si je devais trouver une raison de vous conseiller Emprise, c’est pour le portrait effrayant qu’il dresse de la folie d’un homme qu’il transmet lentement mais sûrement à
ses fils, comme un poison qui se propage dans leurs veines et auquel ils ne pourront échapper : Adam deviendra à son tour un serial-killer tandis que Fenton restera hanté à jamais par cette
enfance traumatique. Bill Paxton, qui campe le père, est tout bonnement effrayant et il l’est d’autant plus qu’il s’agit somme toute d’un brave type qui se persuade du jour au
lendemain que Dieu lui a confié une mission. Pour lui, les choses sont d’une simplicité effarante : un ange lui soumet des noms de « démons » qu’il doit retrouver et détruire pour
purifier la Terre car c’est l’heure du Jugement Dernier.
Les démons en question sont évidemment des hommes et des femmes lambda et la façon dont il procède méthodiquement pour arriver à ses fins est des plus choquantes car il continue de se comporter
en père aimant. Par ailleurs, il ne se pose à aucun moment de questions sur le bien-fondé de cette mission ou sa santé mentale. Nous sommes toujours du côté de Fenton et voir la façon dont lui et
son frère, enfants, sont pris en otage et condamnés par la folie de leur père est l’aspect le plus terrifiant du film, bien plus que les meurtres en eux-mêmes qui sont très soft, puisqu’on ne
voit jamais rien (ce qui décevra sans doute les amateurs de gore).
Twist-over raté
La qualité d’Emprise, avant
cette fin malencontreuse, est donc de montrer le mécanisme inexorable de la folie du père et l’impact qu’elle a sur ses enfants. Simple, oui, mais diablement efficace et, pour moi, il n’y avait
pas besoin d’aller chercher beaucoup plus loin. Mais, et on s’en doute dès le début, les choses ne peuvent être aussi « simples » et c’est là que le bât blesse.
La scène d’ouverture au commissariat, par la situation qu’elle instaure, m’a rappelé un certain classique des années 90 que je ne nommerai pas pour ne pas vendre la mèche et qui avait la
particularité de se terminer par un twist-over. À partir de là et des éléments présentés, je me suis dit « ça se trouve… » et j’ai fait trois suppositions, juste comme ça,
comme on le fait souvent quand on essaie de voir où un thriller de ce type pourrait aller… Deux se sont avérées justes et pourtant, très vite, une fois que l’intrigue avait bien démarré, je me
suis dit que le scénariste n’oserait pas aller dans cette direction, à moins d’amener la chose avec beaucoup d’habileté et surtout, en développant vraiment ce parti pris.
C’est-à-dire, pas en se contentant de nous donner les éléments narratifs qui nous permettent de recoller les morceaux d’un point de vue logique avant de balancer le générique, mais en continuant
le récit pendant au minimum vingt minutes afin que l’on ait un vrai point de vue et ressenti sur la chose, notamment sur les implications morales que cela suppose. Évidemment, certains thrillers
se terminent par un twist-over coup de poing qui nous est révélé dans les dix dernières minutes et ça fonctionne parfaitement (les exemples ne manquent pas), mais dans ce cas précis, je
pense vraiment que le film aurait mérité de faire 2h au lieu d’1h40.
J’ai vraiment eu l’impression très désagréable (confirmée par le commentaire audio) que la finalité de l’intrigue, en fin de compte, tenait uniquement dans ce twist final très mal négocié alors
que le reste du film est bien plus simple, mais a le mérite de nous plonger dans une tension et une angoisse permanentes. Le scénariste devait penser que le spectateur serait scotché par cette
fin, mais le problème c’est que, même si Bill Paxton ne commet pas de maladresse particulière qui nous vendrait la mèche dès le départ, par le principe et la construction même
sur lesquels repose le film, on peut très facilement penser à des œuvres similaires (et une en particulier, donc) et ainsi deviner la majeure partie du retournement final.
Facilité, quand tu nous tiens…
Cela n’aurait pas été gênant si cela avait été bien
amené… après tout, comme je le disais, même si on peut se douter de quelque chose au début, on l’oublie bien assez vite car l’histoire et l’atmosphère sont très prenantes. Mais le scénariste et
Bill Paxton semblent ne pas avoir voulu trop faire traîner les choses en longueur et le moment où passé et présent se rejoignent est abrupt, bâclé et maladroit. Pour le
coup, autant le film était auparavant subtil, autant les ficelles sont grosses ici. Du coup, non seulement la surprise n’est pas au rendez-vous, mais en plus, le seul élément de surprise
véritable est lâché comme ça et semble avoir été imaginé pour le seul effet (raté) qu’il produirait. Quant au deuxième élément que j’avais envisagé au départ, le plus délicat puisqu’il prend le
spectateur à rebrousse-poil en changeant encore plus radicalement la donne que le retournement « principal », on peut en dire la même chose : il est utilisé pour son simple effet
et les implications qu’il suggère ne sont absolument pas explorées puisque le film s’achève moins de cinq minutes plus tard.
En gros, c’est comme si on passait d’un monde à l’autre, mais que l’on refusait de nous donner le moindre aperçu de ce deuxième monde, qui reste abstrait et théorique alors que l’univers
diégétique dans lequel nous avons baigné pendant 1h20 possédait une atmosphère et une force véritables. Et j’ai vraiment du mal à comprendre comment Brent Hanley et Bill
Paxton ont pu ne pas s’en apercevoir. Il y a vraiment une facilité navrante au sens où on ne répond à aucune des questions que cette fin appelle. Certes, on a bien les éléments narratifs
pour reconfigurer le puzzle, mais je trouve personnellement que la sauce ne prend pas et que ça fait plus « fin de petit malin » qu’autre chose. Il aurait vraiment fallu continuer
l’histoire pour qu’Emprise acquière la dimension nouvelle impliquée par ce retournement et ne se limite pas à ce simple « ça t’en bouche un coin » téléphoné.
Le pire, c’est qu’il aurait été très facile d’aller dans cette direction : les années 2000 nous l’ont prouvé. Encore, je ne peux pas développer en donnant d’exemples sous peine de vendre la
mèche.
Au final, j’ai un avis très mitigé sur ce premier essai de Bill Paxton : si la réalisation est la plupart du temps convaincante et que la majeure partie du film brille par
la tension psychologique tout à fait sadique qui s’en dégage et le jeu habité de l’acteur réalisateur et des gamins, la fin gâche malheureusement presque tout et donne à
Emprise des allures de château de sable. Avec les atouts et les qualités qui étaient les siens, ce thriller méritait largement mieux.
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