L’Astragale de Brigitte Sy (2014) : critique du film

Caractéristiques

  • Titre : L'Astragale
  • Réalisateur(s) : Brigitte Sy
  • Avec : Leïla Bekhti, Reda Kateb, Esther Garrel, Jocelyne Desverchere, India Hair...
  • Distributeur : Alfama Films
  • Genre : Drame, Romance
  • Pays : France
  • Durée : 95 minutes
  • Date de sortie : 8 Avril 2015
  • Note du critique : 7/10

Albertine Sarrazin, 19 ans, a été emprisonnée pour un hold-up dans une boutique de vêtements. Une nuit, elle décide de s’évader et saute du mur de la prison. Dans sa chute, elle se casse un petit os du pied, l’astragale et rampe sur le bord de la route, où elle est secourue par Julien, un petit truand au coeur tendre. Il l’aide et la cache chez une amie à Paris et les deux tombent amoureux. Tandis que lui mène sa vie de malfrat en province, Albertine passe de planque en planque et se prostitue pour survivre tout en réapprenant à marcher dans les rues de Paris. Elle tient un journal intime pour tenir le coup et supporter l’absence de Julien, de plus en plus douloureuse…

Adapté du roman autobiographique d’Albertine Sarrazin, publié en 1965, L’Astragale de Brigitte Sy se concentre sur la cavale de la jeune femme, d’avril 1957 à juin 1958, date à laquelle elle est de nouveau emprisonnée pendant deux ans. Le film se concentre sur son parcours et surtout son histoire d’amour en pointillés avec Julien, absent la plupart du temps mais avec lequel elle vit un amour intense qui continuera jusqu’à la fin de sa vie (elle meurt des suites d’une opération à 29 ans en 1967). Présenté comme une histoire d’amour fou, L’Astragale a le mérite de ne jamais tomber dans le pathos et n’écarte à aucun moment la dureté des conditions de vie d’Albertine.

Une héroïne moderne

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Femme libre et libérée (elle a des liaisons homosexuelles) dans une France alors ultra-conservatrice, Albertine exerce sa liberté par la force et l’acuité de son écriture. Écrire lui sauve la vie et lui permettra à sa libération de trouver la consécration en tant qu’écrivain (elle est d’ailleurs soutenue par Simone de Beauvoir). Dans le film, cela se retrouve dans la voix-off, présente avec justesse pour dire la douleur, la rage, l’amour, la force de vie de cette femme écorchée vive et combattive. Les mots d’Albertine, aussi durs que poétiques, se superposent aux images et nous la rendent proche. Malgré la différence d’époque, son écriture apparaît toujours moderne et nous nous identifions sans peine à elle.

Brigitte Sy évite également de glamouriser la prostitution, à laquelle Albertine s’adonne par choix. Sa décision est guidée par un instinct de survie (et une certaine propension à l’auto-destruction, pour se heurter à elle-même, comme elle le révèle dans sa lettre à Julien à la fin) et non pour affirmer une quelconque liberté de moeurs. Elle ne prend aucun plaisir là-dedans, rencontre des clients parfois gentils auxquels elle est indifférente, agit en mode automatique, se protège comme elle peut de la dureté de sa condition. Enfin, pas de scènes choc ou voyeuristes, le tout est filmé avec la plus grande pudeur et le plus grand respect pour l’héroïne.

Des interprètes tout en force et fragilité

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La réalisation, classique et classieuse, magnifie Leïla Bekhti et colle au plus près des personnages. Le noir et blanc sublime la reconstitution d’époque et donne beaucoup de charme à l’ensemble. A noter également un beau travail sur la lumière. La simplicité semble être le maître mot de la cinéaste, qui n’en réalise pas moins certains plans magnifiques.

Les acteurs, enfin, donnent corps aux personnages avec une grande justesse, nous faisant rapidement oublier les interprètes. Leïla Bekhti donne force et fragilité à Albertine, mais également une certaine dureté par moments, qui la rendent infiniment complexe et attachante. Reda Kateb quant à lui apporte sa douceur et sa bienveillance à Julien, sans en gommer les aspérités. Ils forment un couple touchant, qui s’aime et se heurtent l’un à l’autre en même temps.

L’Astragale s’impose donc comme un portrait de femme sensible et moderne, sans pathos ni misérabilisme, à l’image de la personnalité hors norme d’Albertine Sarrazin. Le film a le goût du réel et ne glamourise ni la situation de son héroïne ni son histoire d’amour, forte mais emprunte de difficultés. On aurait peut-être aimé un peu plus d’émotion à la fin, lors de l’arrestation d’Albertine et de la séparation provisoire des deux amants. Ressentir un certain vertige, peut-être aussi, qui est présent dans les mots d’Albertine à Julien, mais plutôt absent du film lui-même, ce qui est dommage. En même temps, Brigitte Sy n’écrit-elle pas dans sa note d’intention que cette séparation est, au fond, « le vrai commencement de leur grande histoire d’amour » ? L’émotion est donc là, tout en retenue, dans le regard de Julien, qui l’attendra. Ils se marieront l’année suivante, pendant l’incarcération d’Albertine. Le film est en ce sens l’histoire d’une rencontre et il devrait marquer la rencontre entre l’oeuvre d’Albertine Sarrazin et un nouveau public.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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