Un nouvel album phénomène ?
Sorti en grandes pompes le 20 novembre dernier après près de cinq ans d’attente, 25, le troisième album studio d’Adele, a déjà battu un record historique en vendant 3,38 millions d’exemplaires aux Etats-Unis en l’espace d’une semaine. Quant au premier extrait de ce nouvel opus, « Hello », il s’est hissé au rang de single le plus vendu depuis le « Candle in the Wind » d’Elton John en 1997, chanson au départ dédiée à Marilyn Monroe et que l’artiste britannique réenregistra en hommage à Lady Di. C’est dire le raz-de-marée qu’a provoqué la jeune chanteuse de 27 ans, diva discrète à la voix d’or qui s’était principalement consacrée à sa vie de famille ces dernières années. Cependant, il n’est pas sûr que 25 connaisse le même sort que 21, son précédent disque, qui s’était vendu à (faut-il le rappeler) plus de 30 millions d’exemplaires. mais, au fond, qui le lui reprocherait ?
21, porté par les singles « Rolling in the Deep » et surtout « Someone Like You », était un disque-phénomène, qui a inscrit Adele au firmament des stars de la pop après un premier album de belle facture, 19, au charme plus discret, qui avait le mérite de s’achever par une ode bouleversante à sa ville natale, « Hometown Glory ». Loin de forcer l’émotion, ce morceau, porté par un piano magnifique et le chant tout en retenue d’Adele, montrait de quoi la jeune artiste était capable, malgré une poignée de titres plus anodins. En comparaison, 21 sortait l’artillerie lourde, que ce soit avec le mélo mais néanmoins puissant « Someone Like You » ou encore le surestimé « Set Fire to the Rain », qui témoignait déjà d’un virage vers une pop lisse et calibrée. Restait le diablement efficace « Rolling in the Deep », appelé à devenir un véritable classique de la décennie et des titres qui, s’ils ne faisaient pas nécessairement dans l’originalité, avaient au moins le mérite d’être bien écrits, bien produits, avec une interprétation sans faille de la chanteuse britannique. Bref. Sans être un chef d’oeuvre, 21 était un vrai bon album, commercial mais honnête.
Un disque lisse et convenu
Si on se doutait bien qu’après le succès titanesque de 21, Adele ne nous reviendrait pas avec un album expérimental ou, plus simplement, avec un opus qui prendrait quelques risques, nous étions au moins en droit de nous attendre à un projet d’un calibre plus ou moins équivalent. Or, passé « Hello », du pur Adele, pas déplaisant et même assez touchant au fil des écoutes, force est de constater qu’il faudra revoir nos attentes à la baisse : 25 est un disque aussi lisse que convenu, où la chanteuse ne fait que très peu dans la subtilité. Les choses se corsent dès le deuxième titre, « Send My Love (To Your New Lover) » qui commençait pourtant bien avec son rythme mid-tempo et sa guitare sèche toute simple mais efficace. La voix d’Adele est posée, assurée… Puis vient le refrain et là, catastrophe : on comprend pourquoi le titre a été produit par Max Martin, célèbre pour avoir travaillé avec Britney Spears ou Katy Perry ! En fait, la chanson semble tout droit sortie du répertoire de ces deux popstars, ni plus ni moins. Si la musique de Brit-Brit a ses mérites (on est plus dubitatifs en ce qui concerne Katy Perry), il semble légèrement incongru qu’Adele lui fasse soudain de la concurrence et ce refrain sorti de nulle part, qui aurait été au moins plus fun chanté par une autre, provoque un malaise assez immédiat. Quel est donc l’intérêt de la jeune femme de banaliser ainsi sa musique, pourtant fort différente de celle de ses consœurs ?
Le reste de l’album oscille constamment entre titres anodins, oubliés aussitôt écoutés et quelques ratages en règle. « I Miss You » appartient à la première catégorie : sur des paroles sentimentales maintes fois entendues, Adele chante son désir pour son partenaire et ses doutes. La musique n’est pas mauvaise en soi, mais sonne comme une resucée de morceaux pop éventés. On est bien en-dessous du niveau de 21. Il en est de même pour « When We Were Young », « All I Ask » et « Sweet Devotion ». « Water Under the Bridge » et « Love in the Dark », quant à eux, sont clairement les maillons faibles aux côtés de « Send My Love (To Your New Lover) ». Adele et les compositeurs réunis autour d’elle répètent à chaque fois la même erreur : après un premier couplet plutôt sobre, le refrain vient tout gâcher. « Love in the Dark », de prime abord plutôt agréable à l’oreille, verse dans un mélo insupportable dès l’arrivée du refrain, où la chanteuse s’époumone sur des arrangements sirupeux. A ce propos, il faut bien reconnaître qu’on n’avait jamais entendu l’Anglaise chanter aussi fort que sur 25. C’est bien simple : elle hurle sur près de la moitié des titres du CD. Si sa voix est toujours d’une belle maîtrise et qu’on ne peut qu’admirer son ampleur, cette constante démonstration de force a tendance à lasser l’auditeur assez rapidement. C’est d’autant plus regrettable que l’artiste est capable de faire preuve de retenue et de subtilité lorsqu’elle le souhaite.
Le problème principal auquel on se heurte à l’écoute de 25 est le suivant : les ficelles sont grosses, très grosses et le résultat semble bien fade et artificiel. Si encore cela n’était vrai que d’une poignée de titres, peut-être aurions-nous été plus cléments, mais Adele et son équipe ne cessent de répéter la même recette, comme on appliquerait une formule mathématique. Or, la subtile alchimie qui se dégage d’un morceau ne peut être obtenue de la sorte et il est regrettable de voir que l’étendue du succès de la chanteuse l’ait rendue aussi frileuse. Si ce nouvel opus est bien parti pour vendre des millions de copies, il n’est pas sûr qu’il reste au sein de la carrière d’Adele comme l’une de ses plus grandes réussites.
Néanmoins, rendons à César ce qui lui appartient : « Million Years Ago » se défend très bien et demeure LE titre à retenir avec « Hello ». Avec son charme suranné et sa douce mélancolie, cette chanson vient relever le niveau et nous plonge dans une ambiance 50’s que n’aurait pas reniée Frank Sinatra. « River Lea », quant à elle, se démarque par son originalité dans le répertoire d’Adele et un doux air de gospel, malgré un refrain en demi-teintes. On sent l’artiste sortir de sa zone de confort pour notre plus grand plaisir.
Publié près de 5 ans après la sortie de 21 en janvier 2011, 25 risque bien de diviser le public de la chanteuse. Si Adele remplit son « contrat » envers ses fans en livrant son lot de balades sentimentales mélancoliques, il manque une inspiration véritable derrière le projet et une certaine prise de risque. Le résultat aurait pu sembler acceptable si les morceaux, sans révolutionner le répertoire de l’artiste, étaient au moins du même niveau que ceux de ses précédents albums. Si, derrière la machine de guerre, on sentait un tant soit peu un cœur battre. Or, si l’émotion qui se dégage de « Hello » ou « Million Years Ago » est bien réelle, l’aspect lisse, conventionnel et calibré de l’ensemble étouffe la spontanéité de l’artiste, pour un résultat des plus ordinaires. On peut toujours espérer, cependant, que l’interprétation de ces nouveaux titres en concert viendra leur apporter un peu plus de texture. En attendant, on se consolera en réécoutant 19 et 21.