Caractéristiques
- Titre : Mistress America
- Réalisateur(s) : Noah Baumbach
- Avec : Greta Gerwig, Lola Kirke, Michael Chernus, Cindy Cheung, Heather Lind, Matthew Shear...
- Distributeur : Twentieth Century Fox France
- Genre : Comédie
- Pays : Etats-unis
- Durée : 84 minutes
- Date de sortie : 6 janvier 2016
- Note du critique : 7/10 par 1 critique
Deux ans après le très beau Frances Ha (2013), ode en noir et blanc à New York et à une amitié féminine contrariée, le duo Noah Baumbach et Greta Gerwig est de retour avec ce Mistress America au sujet en apparence assez proche, mais bien plus léger et déluré. Si l’amitié fusionnelle entre deux femmes constitue le coeur de cette nouvelle comédie douce-amère (bien, plus, d’ailleurs, que dans Frances Ha), Mistress America se démarque par son inépuisable verve et un aspect burlesque bien plus poussés, allant même lorgner du côté du vaudeville dans sa deuxième partie déjantée.
Le film suit le parcours de Tracy (Lola Kirke), jeune femme provinciale de 18 ans qui débarque à New-York pour intégrer la prestigieuse université Barnard et se sent complètement perdue dans ce nouvel environnement. Ayant beaucoup fantasmé la Grosse Pomme, elle ne retrouve pas la ville de ses rêves dans sa vie universitaire ennuyeuse avec des camarades incultes ou arrogants et commence à se décourager lorsque le très élitiste club littéraire de la fac refuse sa candidature. Sa mère lui suggère alors de contacter Brooke (Greta Gerwig), sa future soeur par alliance. De 12 ans son aînée et vivant à Times Square, celle-ci ne tarde pas à prendre Tracy sous son aile. Grâce à cette trentenaire fantasque, la jeune étudiante découvre enfin le « vrai » Manhattan et trouve l’inspiration pour une nouvelle, « Mistress America », basée sur la personnalité hors norme de Brooke. Mais derrière l’optimisme indécrottable de cette blonde lunaire, son assurance et son hyperactivité, se cache quelque chose de plus sombre, que ne manque pas de mettre en lumière sa cadette dans ses écrits.
Une comédie moins légère qu’il n’y paraît
Co-écrit par Noah Baumbach et Greta Gerwig et filmé il y a deux ans déjà, Mistress America est un film aussi étrange qu’attachant mettant en scène deux générations de femmes au travers de ses héroïnes, qui se tendent mutuellement un miroir révélant les failles de chacune. Si le ton est résolument léger, voire parfois outrancier, le constat qu’il dresse des bobos de la Côte Est et de la jeunesse dorée américaine est, en creux, assez implacable, à l’image de la nouvelle de Tracy, qui trahit son amie en peignant d’elle un portrait désabusé des plus cruels. Brooke, centre névralgique du film autour de laquelle tout gravite, est en effet une jeune femme créative, spontanée et hyperactive, mais résolument éparpillée, qui ne va jamais au bout de ses projets et feint d’avoir toujours 20 ans, qui veut donner l’impression de maîtriser le cours de son existence alors même que les choses lui échappent de plus en plus. La lecture de la nouvelle de Tracy en voix-off appuie sur cette face cachée que son aînée tente tant bien que mal de dissimuler et rend le film bien plus fin et complexe qu’il n’y paraît.
En effet, sans ce regard assez dur et cruel sur son héroïne, qui met également en lumière la personnalité assez cynique de Tracy derrière ses airs de jeune fille candide éblouie par son aînée, Mistress America aurait pu s’engoncer dans les travers d’un feel-good movie indé avec son lot de caricatures et d’artifices un peu faciles. Drôle mais assez bavard, le film force parfois (de manière volontaire) le trait, notamment lors de sa deuxième partie chez l’ex de Brooke, un ancien hipster ayant fait fortune, désormais marié et rangé avec la Némésis de celle-ci, qui s’est enrichie grâce à une idée de son ex- meilleure amie. Un personnage féminin secondaire aussi antipathique que Brooke, malgré son égocentrisme flagrant, est attachante. Cependant, cette peinture des bobos américains à la théâtralité assumée reste toujours lucide et c’est par ce qu’il révèle, en creux, de ses personnages, que Mistress America fait mouche et retient l’intérêt, se rapprochant ainsi, par certains aspects, de Margot va au mariage, comédie dramatique réalisée par Baumbach en 2007 et qui portait un regard à la fois sans concession et plein de tendresse sur ses protagonistes.
Le sujet principal du film, finalement, n’est ni l’amitié féminine, ni les bourgeois bohèmes, mais la part d’inachevé que comporte la vie de chacun, ainsi que la peur de l’échec. Tracy renvoie à Brooke le souvenir de ses années post-lycée, quand tout était encore à faire, tandis que cette dernière voit en Brooke tout autant ce qu’elle aimerait être que ce qu’elle souhaiterait éviter. Quant à Dylan, l’ex de cette « mistress America » peu commune, la présence de la jeune femme ravive en lui le hipster fourmillant de projets plus marginaux. S’intéressant aux névroses évidentes de leurs personnages, Noah Baumbach et Greta Gerwig lorgnent là encore du côté de Woody Allen, que ce soit dans les répliques efficaces de Brooke ou la voix-off de Tracy et, évidemment, la peinture d’un New-York sublimé, dont la dureté n’est jamais niée. Par la présence de la jeune Tracy, incarnée par une Lola Kirke toujours très juste et la musique aérienne aux accents new wave résolument 80’s composée par Dean Wareham et Britta Philips, le cinéaste penche également du côté de Sofia Coppola, autre égérie indé dont l’oeuvre a marqué les années 2000. Tout cela concourt à faire de Mistress America un film des plus sympathiques, attachant d’un bout à l’autre malgré quelques maladresses et la présence de certains gags un peu répétitifs.
Greta Gerwig, une Woody Allen au féminin
Enfin, il y a Greta Gerwig, dont la personnalité, la grâce et la clownerie illuminaient déjà Frances Ha, le film qui la fit vraiment connaître en dehors du cercle des amateurs de mumblecore, ce genre très récent du cinéma indé qui désigne les films d’aspect un peu fauchés s’intéressant aux relations entre jeunes de 20 à 30 ans et mettant en scène des acteurs souvent non-professionnels qui improvisent en partie leurs dialogues. Rôle complexe et assez casse-gueule, idéalisé au départ avant d’être descendu de son piédestal, Brooke trouve l’interprète idéale en la personne de Greta Gerwig, mélange de grâce et de maladresse qui en fait toute la singularité dans le paysage cinématographique actuel. Avec son débit mitraillette et son énergie débordante, elle fait de Brooke une Woody Allen au féminin, un personnage solaire, charismatique, parfois un peu ridicule, mais toujours positif malgré ses défauts.
Noah Baumbach sait sublimer celle qui est sa compagne à la ville tout en la plaçant, à certains moments, dans des situations inconfortables. Les admirateurs de l’actrice seront comblés, tandis que ses détracteurs grinceront des dents devant ce bel abattage qui frôle parfois la surenchère. Mais (cela est utile de le préciser), ce dernier élément est une caractéristique centrale du personnage, qui est toujours dans l’hyperbole et ce côté over the top très américain. Cette perpétuelle mise en danger force le respect car, interprétée par une autre, Brooke aurait pu se révéler fort irritante. Malgré le naturel apparent dont fait preuve l’actrice, son interprétation a tout d’un numéro de funambule, faisant preuve d’une grande maîtrise pour conserver un équilibre aussi parfait que précaire. Mistress America lui doit évidemment beaucoup et elle forme avec Lola Kirke un duo complémentaire qui fonctionne très bien à l’écran.
En définitive, Mistress America est un portrait tendre, lucide et parfois cruel de deux femmes, incarnations d’une certaine Amérique branchée, dont les aspirations les dépassent parfois mais, finalement, les portent. Une philosophie typiquement américaine, que finit par encenser le film malgré le regard sans concession porté sur ses personnages. Noah Baumbach réalise ainsi un feel-good movie des plus plaisants, moins insouciant qu’il n’y paraît. Greta Gerwig confirme quant à elle son statut d’égérie du cinéma indé tandis que Lola Kirke apparaît, après Gone Girl, comme une valeur montante du cinéma américain.