[Ciné – Club] Run And Kill – Billy Tang

Caractéristiques

  • Titre : Run And Kill
  • Titre original : Wu Syu
  • Réalisateur(s) : Billy Tang
  • Avec : Kent Cheng, Simon Yam, Danny Lee
  • Distributeur : Metropolitan (vidéo)
  • Genre : Thriller
  • Pays : Chine
  • Durée : 90 minutes
  • Date de sortie : 27 février 199 (HK)
  • Note du critique : 7/10

Un classique de la Category III

Cette semaine, le Ciné-Club n’est pas destiné à tous les publics. Et Culturellement Vôtre n’aura jamais autant mérité sa réputation d’explorateur de toutes les cultures. Nous allons aborder une cinéphilie de l’étranger, marginale, que d’aucun qualifierait de mauvais goût. Avant de nous plonger dans Run And Kill, il faut absolument faire un petit topo sur la Category III. Attention, l’expression est lâchée, et si vous savez déjà de qui il s’agit, alors vous êtes au courant que l’on est parti pour un tour de grand-huit bien sévère. Nous sommes à Hong Kong, l’une des places les plus fortes du cinéma asiatique. Remontons à 1986, alors que A Better Tomorrow, de John Woo, fait débat : comment un film aussi violent pouvait-il être projeté à des jeunes de plus ou moins 16 ans ? Cette question de société a tellement remué son monde qu’une décision fut prise en 1988 : intégrer, au système de classification, une catégorie pour les films ultra-violents (pas uniquement, nous y viendrons un jour). C’est ainsi qu’est née la Category III, sensée devoir stopper la folle créativité de certains réalisateurs hongkongais. Problème, la fin des années 80, ainsi que la décennie 1990, est celle de toutes les tensions pour l’île. En effet, la rétrocession à la Chine est prévue pour Juillet 1997. L’émotion est tellement forte que la population se sent pousser des ailes sanguinolentes, et se dirigent vers les salles pour découvrir des œuvres de plus en plus extrêmes, amoraux. La Category III, au lieu de décourager les spectateurs, devenaient carrément un genre à part entière…

Le phénomène fut bref. La moitié de la décennie 1990, et l’accumulation de daubes infamantes, vinrent à bout de la production qui, petit à petit, redevint marginale. Mais, pendant plus ou moins sept ans, la Category III a pu donner de sacrés morceaux bien crades et scandaleux. Vous pourrez y voir un psychopathe, qui sert au client de ses restaurant les restes de ses patrons fraîchement tué, avant qu’il n’aille attraper l’Ebola d’une bien horrible manière, et refiler sa maladie à tout Hong Kong, en crachant du sang au visage des passants (Ebola Syndrome). Vous y découvrirez les agissements d’un tueur en série, violeur et nécrophile, dont le terrain de jeu n’est autre qu’une école pour handicapés (Red To Kill). Vous y vivrez le calvaire d’un groupe de jeunes, tenus par un bien terrible secret, et qui se verra décimé, voire transformé en « Dick Head » pour l’un d’eux, par une sorcière thaïlandaise assoiffée de vengeance (Eternal Evil Of Asia). Vous pourrez admirer, enfin, le destin d’un homme dont le sexe est remplacé par celui d’un cheval, dans un film qui tient carrément du du conte coquin (Sex and Zen). En fait, ces quatre exemples sont parfaits pour caractériser la Category III. Nous avons, avec Ebola Syndrome, un fait divers réel (qui est repris dans bon nombre de films estampillée du genre), ici un homme qui fait manger les cadavres de ses victimes à ses clients. Enrobé dans une tornade foutraque, certes, mais le public hongkongais de l’époque pré-récession semblait friand de ces histoires inspirées de ce qui faisait le choc du moment. Red To Kill, quant à lui, triture les tripes du peuple de HK, en leur démontrant les lacunes d’une justice pas très bien perçue, le tout dans une intrigue incroyablement violente. Eternal Evil Of Asia présente un autre aspect de la Category III, plus fun, plus léger, mais pas moins sanguinolent et tordu. Ajoutons le cinéma érotique, sans aucune effusion d’hémoglobine, comme l’excellent Sex And Zen.

Le scénario idéal pour un film barge

image kent cheng run and kill

Maintenant que l’on a bien installé le décor, il faut peupler ce dernier. Car s’il est vrai que la Category III a vu une écrasante majorité de tâcherons s’y perdre, quelques exceptions sont à sortir du lot. De grands noms même : Ringo Lam, Kirk Wong, Johny To, Tsui Hark, ces quatre grands réalisateurs ont tous réalisé au moins un film classé III. Mais il y eu aussi de vrais spécialistes du genre, et même certains réalisateurs qui s’y sont révélé de bons faiseurs. L’exemple qui vient tout de suite en tête est évidemment Herman Yau, dont le pourtant ignoble Untold Story fut récompensé, aux Hong Kong Film Awards, en remportant le prix du Meilleur Acteur pour Anthony Wong. Parmi ceux qui se sont révélés dans ce caniveau cinématographique, on trouve Billy Tang. Ce dernier est responsable de plusieurs des Category III les plus connus (Dr. Lamb, Red To Kill, Wild, Brother Of Darkness), mais son meilleur film restera, sans conteste, Run And Kill.

Run And Kill nous présente le parcours de Cheng, gérant d’un petit garage, et père de famille dont la gentillesse bien trop prononcée semble devoir lui jouer de bien vilains tours. Alors qu’il est cocu comme personne d’autre, le malheureux surprend sa femme en plein acte, avec une désinvolture plus comique qu’autre chose. Cheng, abattu et incapable ne serait-ce que de hausser le ton, va noyer sa tristesse dans un bar, et boit une dose d’alcool à tuer un cheval. Plus du tout maître de lui-même, il se fait aborder par une jeune femme, aux allures de voyou. Après un semblant de dialogue, et alors que Cheng est parti pour perdre connaissance, il conclu un marché : un tueur professionnel ira « se charger » de sa femme. L’homme, ivre mort, s’effondre dans une allée. Le lendemain, le contrat est rempli : la femme de Cheng est tuée par une bande de dégénérés assassins, et émigrants clandestins. Ces derniers demandent leur argent, ce que le père de famille ne peut assurer. Débute alors une fuite pour sa survie, car les assassins n’ont rien à perdre. Seulement, Cheng, qui voit les cadavres s’empiler autour de lui, a, lui aussi, de moins en moins de raisons de s’enfuir. L’homme, dont l’apparence de gros nounours a fait oublier le caractère profond, va s’avérer être un survivant hors pair…

Les Looney Tunes ne sont pas loin

image simon yam run and kill

Run And Kill est l’occasion rêvée d’aborder la Category III sans trop se salir les yeux. Si le film se complaît parfois dans une violence terrible, l’histoire n’est jamais mise de côté, et nous propose une descente aux Enfers captivante. Le point de départ de celle-ci nous présente Cheng, incarné par cette bonne trogne de Kent Cheng, dépassé par une vie qui s’amuse cruellement à lui jouer bien des tours. Si tout va bien jusqu’à la séquence du bar, car même si sa femme le trompe rien n’est joué pour le futur du père de famille, tout se brise avec une fâcheuse rencontre. Que les idéalistes et ultra-humanistes se calment tout de suite, pas d’apologie de la violence conjugale dans ce film (et heureusement, est-il nécessaire de le préciser ?) : Cheng est clairement entrain de plonger dans le coma quand l’odieux contrat est passé. Pas d’excuses données à un meurtrier, ou un commanditaire, d’ailleurs ce crime est un deuxième point de départ dans Run And Kill. Un point de non-retour même, et ce qui suit ne peut être que de mal en pis.

Run And Kill n’est clairement pas un Category III comme les autres. Si le scénario ne nous épargne pas certaines folies furieuses, le spectateur se rend vite compte qu’il est, en fait, face à une sorte de Looney Tunes ultra-violent, comme si le bip-bip vivait les pires horreurs, de la part d’un coyote carrément déchainé. Celui-ci est incarné, dans Run And Kill, par inénarrable Simon Yam, encore un acteur capable de belles performances dans des films « mainstream », mais qui ne s’évite jamais quelques écarts exotiques. Yam incarne l’un des émigrants clandestins, et n’est pas du tout présenté, à la base, comme un bon gros méchant bien sanguinaire. A mi-film, alors que le rythme baisse un peu (trop), le film prend le temps de nous présenter son passif, sans non plus en faire une victime de la société. Pas de justification dans l’explication. Étrangement, pour un Category III, Run And Kill n’est pas trop caricatural avec ses personnages, d’où l’impression de voir un vrai bon film.

Kent Cheng on fire

image billy tang run and killRun And Kill est, en fait, un film noir poussé à l’extrême, passé à la moulinette Category III, à laquelle on ajoute une grosse dose de cartoon, le tout issu d’un esprit tordu juste ce qu’il faut pour assurer la grosse dose de déviance inhérente au genre. Et, on peut le dire, l’amateur de films barrés en aura pour son argent. Grand-mère balancée par la fenêtre d’un immense immeuble, petite fille brûlée vive, on en a encore les yeux écarquillés. Le ton est à la limite de la comédie cependant, voulue ou non, et l’on sent un effort de distanciation de la part de Billy Tang. Le final est parmi les plus gros morceaux de cinéma bis que l’on ait pu s’envoyer sur un écran. Cheng, apeuré à l’extrême par l’antagoniste fou furieux, se déchaîne d’une manière rarement vu autre part. On est clairement dans un dessin animé de Ça Cartoon, les personnages survivent à des choses inconcevables, le tout dans une ambiance apocalyptique tonitruante. Cheng doit payer sa gentillesse de façade, qui l’a poussé à ne pas réagir face à sa femme volage. S’il l’avait mis devant le fait accompli, s’il l’avait affronté en lui demandant le divorce, le père de famille n’aurait pas tout perdu dramatiquement. La dernière image de Run And Kill nous ramène sur Terre, après un dernier quart hautement (et très agréablement) délirant. Cheng, vainqueur, est tout de même le grand perdant de l’histoire…

Au final, si Run And Kill n’est clairement pas à montrer à tout le monde, le film est l’occasion rêvée pour découvrir la Category III sans risquer de se retrouver devant une œuvre plus que fondamentalement limite. Véritablement scénarisée, mais pas dénuée de défauts (le rythme, mi-film, n’est pas bon), l’œuvre nous surprend de toutes parts. Le casting est d’une belle solidité, on a cité les grandes stars Kent Cheng et Simon Yam, on peut ajouter Danny Lee, qu’on a vu dans le The Killer de John Woo, et qui reprend son habituel rôle d’inspecteur de police. Même l’OST n’est pas totalement ignoble, comme la plupart de celles que l’on a entendu dans les productions Category III. Alors, si vous avez l’âme aventurière, mais aussi un amour pour les films étranges, le goût douteux, et la violence cartoonesque, Run And Kill est fait pour vous…

Article écrit par

Mickaël Barbato est un journaliste culturel spécialisé dans le cinéma (cursus de scénariste au CLCF) et plus particulièrement le cinéma de genre, jeux vidéos, littérature. Il rejoint Culturellement Vôtre en décembre 2015 et quitte la rédaction en 2021. Il lance Jeux Vidéo Plus. Manque clairement de sommeil.

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