Caractéristiques
- Titre : Les chansons que mes frères m'ont apprises
- Titre original : Song my brothers taught me
- Réalisateur(s) : Chloé Zhao
- Avec : John Reddy, Jashaun St. John, Irene Bedard
- Editeur : Diaphana
- Date de sortie Blu-Ray : 27 Janvier 2016
- Date de sortie originale en salles : 9 Septembre 2015
- Durée : 94 minutes
- Note : 9/10 par 1 critique
Image : 5/5
Voilà l’exemple d’un travail parfait sur une édition DVD. Le résultat est aussi du au travail de Joshua James Richards, le directeur de la photographie, qui a travaillé uniquement en lumière naturelle. Ainsi, les contrastes sont très marqués, et ici retranscris avec un grand soin. Un boulot d’orfèvre.
Son : 4/5
Deux pistes sont dénombrées, toutes deux en version originale sous-titrée : 5.1 et 2.0. Si le Stéréo tient toutes ses promesses, on est un peu moins conquis par le 5.1, parfois un peu fainéant en effets. La globalité, cependant, reste d’une qualité telle qu’il est impossible de bouder son plaisir, notamment avec ce zéro bruit de fond.
Bonus : 4/5
On a droit à une entrevue très intéressante avec Chloé Zhao (15 minutes), qui nous donne des éléments essentiels pour comprendre l’aventure de la production du film. On apprend, par exemple, que la réalisatrice travaille sans scénario, et donne une part très importante aux situations réelles. Toujours intéressantes, des scènes coupées, au nombre de six (10 minutes), complètent le tableau.
Synopsis
Johnny vient de terminer ses études. Lui et sa petite amie s’apprêtent à quitter la réserve indienne de Pine Ridge pour chercher du travail à Los Angeles. La disparition soudaine du père de Johnny vient bousculer ses projets. Il hésite également à laisser derrière lui Jashaun, sa petite sœur de treize ans dont il est particulièrement proche. C’est tout simplement son avenir que Johnny doit maintenant reconsidérer…
Critique du film
La plus grande force du septième art est de pouvoir donner l’occasion, aussi bien à l’artiste qu’aux spectateurs, la possibilité d’y trouver une foule de traitement. Super-héros, situations abracadabrantesques, histoires vraies, mais aussi recherche de l’authenticité, un cinéma c’est une auberge espagnole, qui se nourrie de nos passages, de nos cinéphilies. Les chansons que mes frères m’ont apprises est clairement le fruit de ce constat, s’inscrit dans le courant naturaliste, la recherche constante de la vérité.
Pour son premier film, Chloé Zhao se frotte à un sujet très délicat : le quotidien des natifs aux USA, au sein des réserves. Délicat, car la situation de ce peuple martyrisé est clairement l’une des plus grandes injustices de ce monde, sans pour autant qu’on ait le droit de le pointer du doigt. Le spectre de l’anti-américanisme plane dès que l’on ose se poser des questions ou, mieux, faire remarquer que la culture des dominants a perverti celle des soumis. Impossible de ne pas se poser de grandes et justes questions, en regardant Les chansons que mes frères m’ont apprises, mais de la plus forte des façons : philosophiquement, sans parti-pris.
Car Les chansons que mes frères m’ont apprises n’est pas qu’un film sur la condition des natif. Chloé Zhao, qui nous surprend à chaque minute de métrage par sa capacité à capter les sentiments, fait ce que peu de réalisateurs ont le courage de mettre en place : elle élève le débat. La situation qu’elle récupère, la vie dans les réserves, lui permet de se questionner sur le rapport de l’Homme à son sol, toujours en évitant toute sorte de jugement, ou plutôt de réponse didactique. Oui, le lien des amérindiens avec leur territoire peut paraître désuet, dans une ère de la mondialisation. Mais impossible, pour tout être humain sensé, de leur en tenir rigueur. Constat que nous pouvons élargir à tout peuple.
Les chansons que mes frères m’ont apprises capte tellement d’émotions qu’il est impossible de ne pas se sentir au premier plan de l’histoire. Bien aidée par une mise en scène incroyablement maîtrisée, à base de grands-angles, qui nous projette au plus près des personnages tout en gardant bien présents les superbes décors naturels des Badlands, la réalisatrice signe l’un des films les plus puissants vus depuis quelques temps. Travail d’équilibriste, car certains plans auraient pu tourner à l’impression « pub », le film réussit à se tirer de certains pièges grâce à son énorme travail sur le montage. L’alternance des séquences, avant tout dictée par le choix de mettre en avant certaines destinées (Chloé Zhao déclare avoir du mettre de côté pas mal d’histoires secondaires), permet à l’œuvre d’obtenir une cohérence qui, associée à un sens du visuel étonnant, donne un résultat si beau qu’on en a eu la larme à l’œil à plusieurs moments.
Grande réussite, Les chansons que mes frères m’ont apprises reste en mémoire bien après le visionnage. Les acteurs, presque tous amateurs, étonnent par leur performance. Les deux têtes d’affiche, John Reddy et Jashaun St. John, nous ont estomaqué. Leur histoire commune, par laquelle passe le message du film, gagne une intensité remarquable grâce à leur présence. Émouvant, leur rapport de grand-frère à petite sœur touche juste, et droit au cœur. Comme dans beaucoup de fratrie, énormément de sensations passent par une communication sacrée, qui peut se passer de toute expression sonore. Les regards, les situations, tout nous touche au plus profond. D’autres destins sont l’occasion de découvrir des âmes intéressantes, et bien incarnées, comme Irene Bedard, connue pour avoir été la voix de Pocahontas, dans le dessin-animé culte de Disney. Son personnage de mère permet à Chloé Zhao d’aborder le réel de la culture amérindienne, sa situation, son évolution.
Au final, Les chansons que mes frères m’ont apprises nous a retourné. Si l’on partait sans à-priori, impossible de voir venir une telle qualité. Bourrée d’un symbolisme qui évite toute impression pompeuse, mais aussi véritable démonstration d’un quotidien difficile dans ces réserves minées par l’alcool et la violence, et grand témoignage d’espoir tout autant que regard philosophique sur la condition de l’Homme, l’œuvre impressionne par sa maîtrise. Le tout en évitant le rendu « Sundance », parfois lourdingue. Un énorme coup de cœur, et une réalisatrice à suivre de très près.