Caractéristiques
- Titre : Bienvenue Mister Chance
- Titre original : Being There
- Réalisateur(s) : Hal Ashby
- Avec : Peter Sellers, Shirley MacLaine, Melvyn Douglas, Jack Warden, Richard Dysart...
- Distributeur : Warner Bros
- Genre : Comédie
- Pays : Etats-Unis
- Durée : 2h10
- Date de sortie : 13 août 1980 (France)
- Note du critique : 9/10 par 1 critique
Cette semaine dans le Ciné-Club, nous abordons Bienvenue Mister Chance, comédie parmi les plus grinçantes réalisées dans les années 1970. Aux commandes de cette satire politique pour le moins intéressante, on retrouve Hal Ashby, un nom connu pour avoir donné bien des films cultes, dont le plus connus reste sans aucun doute Harold et Maude. Alors qu’il vient de retourner l’Amérique avec Le Retour, premier film sur les effets destructeurs des traumatismes post-Viêt Nam à avoir été tourné, Ashby enchaîne avec ce qui s’avèrera être un film charnière. En effet, Bienvenue Mister Chance est à la fois le dernier très bon film du réalisateur, mais aussi l’ultime grand rôle de Peter Sellers…
Bienvenue Mister Chance pose son décor à Washington, capitale américaine, en pleines années 1970. Dans une résidence privée parfaitement calme, et même coupée du monde, vit un vieil homme et ses deux domestiques : Louise (Ruth Attaway) et Chance le jardinier (Peter Sellers). A la mort subite de l’employeur, une agence immobilière récupère l’endroit, et fait déguerpir les occupants. Chance, qui n’a jamais mis les pieds dehors, n’est jamais monté dans une voiture ou un ascenseur, se retrouve abandonné à lui-même. Alors qu’il ère sans autre but que de retrouver un jardin à chérir, Chance est pris en sandwich entre deux voitures. Affolée, Eve (la grande Shirley MacLaine, star notamment de Sweet Charity ), la propriétaire de l’une d’elle, propose au jardinier son aide médicale, qu’elle peut lui assurer dans son grand manoir. Le hasard faisant bien les choses, il se trouve que le lieu appartient à Benjamin Rand (Merlvyn Douglas), un vieil et riche homme en fin de vie, qui va tomber sous le charme de la simplicité de Chance. En effet, alors que Rand parle économie, Chance répond avec un vocabulaire de jardinier, ce qui donne des maximes à la justesse surprenantes dans ce contexte. Peu après, le vieil homme reçoit la visite de l’un de ses amis : le Présidents des États-Unis d’Amérique. L’ascension de Chance ne fait que commencer.
Bienvenue Mister Chance a beau avoir l’un des pitchs les plus attirants qui puisse exister, du moins pour les amateurs de satires, on ne peut pas dire que le film soit sympathique avec le spectateur. En fait, tout est fait dès le début pour bien enfermer le personnage de Chance dans un quotidien très éloigné des années 1970 telles qu’elles sont restées dans l’inconscient collectif : funs, discos, et bariolées. Ici, tout est gris, délavé, tristounet. Tout donne l’impression d’un rêve sur le déclin, ou plutôt d’un réveil difficile, genre gueule de bois après une fête finalement pas si terrible mais très enivrante. La direction artistique de Bienvenue Mister Chance ne laisse aucun doute sur les intentions de Hal Ashby : il faut que son personnage principal, venu du passé avec ses costumes vieillots, avec son existence qui l’a tenu à distance du ravage de l’enchaînement des modes, puisse non pas ressortir du lot, mais s’y fondre. Car Bienvenue Mister Chance raconte exactement ça : comment un homme simplet, sans culture autre que celle qui s’expose à la télévision, et loin d’être représentatif de son époque, peut s’avérer être tout à fait crédible, et être considéré comme un génie, au sein d’une époque en proie en doute le plus profond quant à son avenir. N’oublions pas que l’œuvre sort alors que l’ombre de Ronald Reagan plane au-dessus des États-Unis, pour finalement s’y solidifier en 1981.
Bienvenue Mister Chance est aussi bien une satire qu’une vraie critique politique. D’ailleurs, les fans du génial Peter Sellers seront surpris de vérifier à quel point le film est loin de faire rire à gorge déployée. Il provoque maintes réactions, souligne bien des dysfonctionnements, mais n’use pas d’un humour très prononcé. On pourra même dire que Bienvenue Mister Chance est un film plutôt sec, tout en retenu, tout comme le jeu de Peter Sellers, qui préfère laisser le spectateur se projeter en lui plutôt que de lui donner des signaux bien gras. Bresson serait content. Bref, le film se charge de provoquer chez le spectateur différents sentiments : l’on ressent une pointe de peine pour Chance, mais aussi de la bienveillance, puis de l’incompréhension face à une situation qui devient délicieusement improbable.
Ceci arrive au cours d’une séquence mémorable, alors que le jardinier dîne avec son hôte, son médecin attitré et Eve. Les quiproquos fusent, et le jeu de Peter Sellers atteint un niveau grandiose qui, par ailleurs, se doit d’être savouré en version originale. Cette scène est un véritable bras d’honneur à une époque tellement engoncée dans ses préoccupations politico-financières qu’elle en vient à se faire couper la chique par l’imbécilité inoffensive d’un jardinier au quotient intellectuel décrit comme bien bas. L’idiot devient le roi au pays des requins, tant son approche direct des choses provoque le respect chez ceux qui ne font que zigzaguer dans le monde des affaires.
Comme annoncer un peu plus haut, Bienvenue Mister Chance, le film ne prend pas vraiment le spectateur par la main. L’exemple de la musique est assez frappant. Elle qui, en-dehors du thème principal issu de Franz Schubert, ose mélanger les sonorités, pour accoucher de mélodies pas spécialement agréables à l’oreille. On pense à l’utilisation d’Ainsi Parlait Zarathoustra, par Richard Strauss, mélangé à un rythme funky, ce qui donne un résultat aussi peu harmonieux que très symbolique. La musique, que tout le monde connaît pour l’ouverture de 2001 l’Odyssée de l’Espace, est surtout issu d’un poème philosophique signé Friedrich Nietzche, qui parle du cheminement de l’Homme vers le Surhomme. Hors de question de se lancer dans un cours de philosophie appliquée, mais le film, sa dernière image, rapporte directement au fameux « rêveur éveillé et conscient ». Hal Ashby aborde ce sujet de façon cohérente, en donnant dans la satire. Ce n’est pas pour rien que la fameuse musique s’envole alors que, dans son errance, il s’arrête devant un poste de télévision…
Au final, si le film peut dérouter par sa mise en scène épurée mais très lisible, il est surtout étonnant par son ton politiquement incorrect. Il serait erroné de penser que Bienvenue Mister Chance est un film sur un attardé. Non, l’œuvre est d’une pertinence remarquable, parle de la futilité du monde politique, en jetant un grain de sable dans un rouage pourtant parfaitement huilé. Chance, bête comme ses pieds, élevé avec la télé, inculte, finit par être craint des services secrets, qui ne trouvent rien sur son compte. Mieux, il se voit couvé par des personnes visiblement influentes, qui verraient d’un bon œil que le destin du jardinier, dont la dimension irrationnelle éclate dans le fameux dernier plan du film, Chance imitant le Christ dans l’un de ses miracles, s’écrive du côté de la Maison Blanche. De là à faire un parallèle avec certains Présidents, il n’y a qu’un pas…