[Critique] Dieumerci : une rédemption autobiographique

Caractéristiques

  • Titre : Dieumerci
  • Réalisateur(s) : Lucien Jean-Baptiste
  • Avec : Lucien Jean-Baptiste, Baptiste Lecaplain, Delphine Théodore, Firmine Richard, Olivier Sitruk
  • Distributeur : Wild Bunch Distribution
  • Genre : Comédie
  • Pays : France
  • Durée : 95 minutes
  • Date de sortie : 9 Mars 2016
  • Note du critique : 6/10

La trajectoire de Lucien Jean-Baptiste est décidément du genre inattendue. Après avoir percé dans le milieu du cinéma sur le tard, mais avec un talent certain (notamment dans le doublage, domaine où il excelle), voilà que l’acteur est désormais metteur en scène, avec un troisième film à son actif : Dieumerci. Pourtant, l’échec de Trente Degrés Couleurs, sa précédente réalisation, aurait pu décourager le bougre, mais le voilà de retour avec, comme pour se dévoiler à nu après le naufrage, une œuvre qu’il décrit lui-même comme en grande partie autobiographique.

Dieumerci a 44 ans, il sort de prison et n’a qu’un but en tête : réaliser son rêve… devenir comédien. Alors, il force le destin et s’inscrit, non sans mal, dans un cours de théâtre qu’il finance en se mettant à l’intérim. Le chemin de Dieumerci n’est pas vierge d’embûches, et l’une d’elles prend la forme de Clément, 22 ans, du genre indécis et quelque peu « emmerdeur ». Tout oppose ces deux hommes, pourtant ils vont devoir faire équipe sur les planches et dans la vie, partager aussi bien les galères que les répétitions, et s’encourager mutuellement pour que tous les deux puissent sortir grandis de cette aventure.

Aide toi, le ciel t’aidera

image baptiste lecaplain dieumerci

Dieumerci est un film marqué par une envie de rédemption. Comme nous l’écrivions en ouverture, ce film doit faire oublier le précédent signé Lucien Jean-Baptiste, et l’on sent que ce dernier veut profiter de cette occasion en or pour s’exprimer profondément. En cela, d’ailleurs, il faut tout de suite préciser que Dieumerci n’est pas un « feel good movie », contrairement à ce que le marketing entourant l’œuvre pourrait faire croire. Le point de vue de Lucien Jean-Baptiste évite toute envie d’angélisation des situations, voire de « débilisation » des personnages, tout en leur accordant un regard raisonnablement bienveillant.

Dieumerci, c’est avant tout l’histoire d’une trajectoire. Comment exercer sur celle-ci une volonté assez forte pour lui imposer, le plus possible, notre conception des choses ? La réponse se trouve dans le but : atteindre le rêve absolu, y croire. Mais pas n’importe comment. En ayant les yeux bien ouverts, et en gardant à l’esprit que l’objectif ultime d’un être humain n’est jamais atteignable aisément. Dieumerci doit se dépatouiller de bien des situations, et doit même faire face à ce qu’il est : un homme, noir, de 44 ans. Ce qui, dans l’univers de la comédie, ne facilite pas grand chose, tant pour la couleur de peau (que c’est horrible d’écrire ça, mais on ne peut nier l’évidence) que pour l’âge qui peut paraître avancé pour les esprits obtus occupants le milieu. Le film ne nie jamais le réel, mais ne s’apitoie jamais sur le sort de son personnage principal. Et c’est là une belle réussite du film : cette volonté de s’en sortir, cette rédemption à tous niveaux, derrière et devant la caméra, donne une pêche communicative.

Garde la pêche

image lucien jean baptiste dieumerci

Car, si nous ne sommes pas face à un « feel good movie », Lucien Jean-Baptiste témoigne d’une énergie bien agréable. Sa mise en scène, et sa réalisation dans ce qu’elle a de plus formelle et technique, ne peut le cacher : son film ne profite pas d’un budget illimité. Alors il se rattrape avec des personnages adorables, comme Marie-Thérèse, la mère de Dieumerci, incarnée par la très charismatique Firmine Richard. Son rapport à la religion, sujet qui ne fait pas l’objet des moqueries gratuites habituelles, sans jamais tourner au prêche (ndlr : un traitement équilibré, quoi), et cette générosité que seule une mère, ou équivalent, peut apporter, tout imprime au métrage une belle dose d’espoirs. Les autres protagonistes font, bien entendu, l’objet d’autant d’attention, et un sujet semble tous les rapprocher : celui du rêve. Que ce soit Brigitte, jouée par une Delphine Théodore dont la fraîcheur envahit l’écran, Marc, incarné par le toujours impeccable Olivier Sitruk, ou bien évidemment Dieumerci, ils ont tous une motivation, une véritable justification dans le récit de par leur apport au thème.

Dieumerci aborde des sujets forts, et celui du racisme dans le milieu des comédiens est présent, même si Lucien Jean-Baptiste n’en fait pas des tonnes. En fait, cette xénophobie est traitée comme une des nombreuses embûches qui habitent l’inexorable marche en avant du personnage, dont la force de caractère est certes forte, mais aussi bien aidée par cette drôle de relation entre Dieumerci et Clément. Tout ne débute pas sur les meilleurs auspices entre eux, on peut même dire que leur amitié n’est pas à l’ordre du jour pendant un bon moment, tant les deux hommes cristallisent le choc des générations. Signalons que le duo, interprété par Baptiste Lecaplain et Lucien Jean-Baptiste, se devait d’atteindre un certain niveau d’excellence pour bien habiter l’œuvre, et faire oublier les faiblesses techniques évidentes. Bonne nouvelle : le but est atteint, et les deux compères sonnent assez vrais pour que Dieumerci remporte l’adhésion des spectateurs.

Au final, le film nous a fait passer un bon moment. Dieumerci, c’est aussi une comédie, parfois bien drôle. On pense surtout à tout ce qui se passe dans l’hôtel Indou, et cet employé au sourire ineffaçable, alors qu’il n’est qu’un marchand de sommeil à tendance escroc. Mais, globalement, le rire ne prend jamais le pas sur le récit, qui n’hésite pas à s’éloigner des situations attendues, des passages obligés du genre. En cela, Dieumerci est un film courageux, loin d’être dénué de défauts mais il sent tellement le travail, la volonté, et la franchise dans l’entreprise de l’autobiographie, que l’on adhère sans retenue.

Article écrit par

Mickaël Barbato est un journaliste culturel spécialisé dans le cinéma (cursus de scénariste au CLCF) et plus particulièrement le cinéma de genre, jeux vidéos, littérature. Il rejoint Culturellement Vôtre en décembre 2015 et quitte la rédaction en 2021. Il lance Jeux Vidéo Plus. Manque clairement de sommeil.

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