Caractéristiques
- Titre : Demolition
- Réalisateur(s) : Jean-Marc Vallée
- Avec : Jake Gyllenhaal, Naomi Watts, Chris Cooper, Judah Lewis...
- Distributeur : 20th Century Fox France
- Genre : Drame
- Pays : EtatsUnis
- Durée : 101 minutes
- Date de sortie : 6 Avril 2016
- Note du critique : 7/10 par 1 critique
Après Dallas Buyers Club, qui valut à ses interprètes une pluie de distinctions et Wild, qui connut un accueil plus mitigé, Jean-Marc Vallée est de retour avec une comédie dramatique sur le deuil, Demolition, avec Jake Gyllenhaal dans le rôle principal. Bien loin du pathos qui minait par moments son précédent long-métrage, le réalisateur québécois pose un regard décalé sur son héros, qui prétend ne rien ressentir et passe beaucoup de temps à écrire au service clients d’une marque de distributeurs de friandises, ou encore à démonter tout ce qui lui tombe sous la main. Le ton, inattendu pour un tel sujet, est clairement irrévérencieux, permettant au film d’échapper à des scènes vues et revues.
L’histoire est celle de Davis Mitchell, jeune loup trentenaire travaillant dans la finance dans l’entreprise de son beau-père. Un jour, il perd sa femme dans un accident de voiture et perd pied. Pas parce-qu’il serait accablé de chagrin, plutôt parce-qu’il prétend ne rien ressentir et ne donc jamais avoir aimé son épouse. N’arrivant pas à la pleurer, il commence, suite à une remarque de son beau-père qui lui dit qu’il faut parfois savoir remettre « les choses à plat » pour mieux se reconstruire, à démonter tout ce qu’il trouve sur son chemin, y compris des portes. Parallèlement, il écrit des lettres de réclamation en forme d’exutoire au service clients de distributeurs de friandises après avoir tenté en vain d’acheter quelque chose dans le couloir de l’hôpital, quelques minutes après l’annonce du décès de sa femme. Karen Moreno, qui travaille pour le service clients, touchée par son histoire, finit par le contacter et une relation se noue entre eux…
La mécanique des choses
Avant de se retrouver entre les mains de Jean-Marc Vallée, Demolition était un script de Bryan Sipe inscrit depuis plusieurs années sur la fameuse Black Liste des meilleurs scripts n’ayant pas encore trouvé de producteurs. Repéré par Fox SearchLight, le projet pu enfin prendre forme après que le réalisateur de C.R.A.Z.Y. se soit montré intéressé pour le réaliser et que Jake Gyllenhaal ait donné son aval pour interpréter Davis. Le résultat est un film au ton singulier, dans lequel on retrouve une tonalité clairement « indé », tout en se démarquant des autres films de cette catégorie. La manie particulière de Davis, qui démonte tout ce qu’il trouve, nous fait rentrer de plein pied dans la mécanique du deuil. Loin d’être un simple prétexte narratif farfelu destiné à marquer les esprits, le comportement du personnage fait tout à fait sens pour lui, bien que son beau-père n’en perçoive pas la logique. En démontant tout ces objets, Davis tente de comprendre comment ils marchent et, par extension, comment lui-même fonctionne. « Remettre à plat les choses » revient pour lui à déconstruire pour mieux reconstruire.
Le jeune homme, image du trentenaire dynamique et ambitieux qui a réussi, remet également en question tout ce sur quoi il a basé sa vie : la réussite professionnelle et matérielle, ainsi qu’une vie conjugale à laquelle il n’a peut-être pas prêté assez d’attention puisqu’il prétend au début ne pas connaître grand chose de sa défunte épouse. Le ton détaché et apathique du personnage, la franchise dont il fait preuve dans ses lettres, lues en voix-off, donnent à Demolition une tonalité particulière, assez irrévérencieuse, venant bousculer tous les poncifs du genre. Davis n’a pas le comportement que l’on attend de lui et, là où son personnage aurait pu être lisse et ennuyeux s’il avait exprimé sa souffrance de manière moins originale, il devient au contraire tout à fait digne d’intérêt et finalement attachant.
Jake Gyllenhaal : un jeu sobre et subtil
Le processus de deuil puis de reconstruction de Davis se fera en plusieurs étapes et Karen Moreno (Naomi Watts) et son fils Chris (Judah Lewis) joueront un rôle non négligeable dans cette période délicate de sa vie. C’est cependant là que le bat blesse un peu : si elle est toujours aussi convaincante, on regrettera quelque peu que le personnage de Naomi Watts ne soit pas davantage développé. Mère de famille sympathique et un peu farfelue, Karen est en somme un personnage typique du cinéma indé. Le problème, c’est qu’elle n’a qu’assez peu de consistance, n’existant qu’à travers sa relation avec son fils et Davis. La partie de l’intrigue nous montrant leur relation amicale nous laisse ainsi quelque peu sur notre faim car on sent qu’elle aurait pu avoir plus d’intensité si le rôle de Karen avait été plus fouillé.
Jake Gyllenhaal est quant à lui fort convaincant dans le rôle de ce jeune veuf qui tente de se reconnecter à ses émotions et ses aspirations véritables. Livrant une prestation subtile, il réussit à faire passer beaucoup de choses. Davis est un personnage assez excentrique, qui aurait pu paraître antipathique ou froid par certains aspects, mais l’acteur, sans jamais en gommer les aspérités, parvient à nous rendre son désarroi palpable sans jamais en rajouter. Assez neutre dans ses expressions malgré son entreprise de démontage puis démolissage en règle, Gyllenhaal n’est jamais lisse, apportant un côté brut au personnage qui lui sied bien. La relation qui se noue entre Davis et le fils de Karen (excellent Judah Lewis) est touchante, même si l’intrigue propre à ce personnage secondaire est au final assez peu développée.
Un film sans pathos
La réalisation de Jean-Marc Vallée, quant à elle, ne fait pas dans l’esbroufe. Collant au plus près à son personnage principal, le réalisateur insère de-ci de-là quelques flash-backs, mais ne tombe jamais dans la mièvrerie. Le début du film est même assez brutal, avec les traces de sang sur le sol de l’hôpital juste après l’annonce du décès de Julia (Heather Lind), la femme de Davis, dont on ne verra jamais le corps. Le réalisateur laisse l’émotion émerger, au fil du cheminement de Davis, sans jamais chercher à la forcer. Vallée réussit également à insuffler une certaine liberté de ton au film, à mesure que son héros se libère de son passé. Si certaines scènes un peu décalées n’échappent pas tout à fait aux travers du cinéma indé (la visite au dealer de Karen, par exemple), qui cherche parfois l’originalité à tout prix mais finit par instaurer de nouveaux poncifs, l’ensemble est plaisant et très souvent juste, le personnage principal étant véritablement le moteur de l’histoire.
Au final, Demolition se révèle un film atypique, à la fois sur le sujet délicat du deuil, qui est traité ici sans le moindre pathos et sur la désormais typique crise de la trentaine. Porté par un Jake Gyllenhaal subtil, oscillant entre apathie, cynisme et une certaine jubilation lors de ses « séances » de démolition en règle, cette jolie comédie dramatique laisse toute la place à son intriguant personnage principal et réserve quelques surprises aux spectateurs. Si dénoncer les faux semblants d’une réussite de façade dans une société qui a tendance à anesthésier ses sujets n’est guère original après des films tels que Fight Club, le film de Jean-Marc Vallée vaut surtout le détour par le traitement original de ce thème, vu à travers le prisme du deuil, sans jamais alourdir le propos. S’il n’attirera probablement pas autant l’attention que Dallas Buyers Club, au sujet plus « choc », Demolition mérite en tout cas d’être vu pour la finesse qui s’en dégage et son acteur principal, en osmose avec son personnage.