Caractéristiques
- Titre : My Life Directed by Nicolas Winding Refn
- Réalisateur(s) : Liv Corfixen
- Avec : Nicolas Winding Refn, Liv Corfixen, Alejandro Jodorowsky, Ryan Gosling
- Distributeur : Wild Side / The Jokers
- Genre : Documentaire
- Pays : Etats-Unis
- Durée : 60 minutes
- Date de sortie : 27 Avril 2016 en DVD et VOD
- Note du critique : 8/10 par 1 critique
Il est vrai que l’Histoire du cinéma oublie quasi systématiquement les femmes des réalisateurs. Bien souvent par dédain, mais aussi par manque d’intérêt pour ce qui est toutefois l’une des composantes les plus importantes de la création, de sa mécanique. La vie privée des réalisateurs a un rapport direct avec le processus artistique, que ce soit dans le choix du casting, pour des raisons croustillantes (voir la « méthode » David Lean, qui finissait quasiment chaque tournage avec une nouvelle femme issue de la distribution) ou, et c’est bien plus intéressant, dans le rapport à l’œuvre. Tim Burton avant Helena Bonham Carter, ce n’est pas pareil qu’après, les thèmes changent inexorablement. My Life Directed by Nicolas Winding Refn est justement l’occasion d’aborder ce rapport entre création et vie privée, et pour ce faire qui de mieux que la femme d’un metteur en scène : Liv Corfixen ?
My Life Directed by Nicolas Winding Refn s’intéresse à l’aventure du tournage d’Only God Forgives, de sa pré-production à sa présentation à Cannes. Et plus particulièrement le tournage homérique à Bangkok, long de six mois. Plus de 180 jours passés dans un pays méconnu par Nicolas Winding Refn… et sa famille. En effet, Liv Corfixen, la compagne du réalisateur, et leurs deux petites filles, font aussi le voyage, et la femme entreprend de filmer cet épisode d’une vie cédée en grande partie au cinéma. Partie pour résulter sur un making of, Corfixen va réussir à capter une autre substance que celle qu’elle aurait pu canaliser classiquement sur le tournage. Ici, il est question des conséquences de celui-ci sur la vie conjugale, surtout quand le mari semble être victime d’une humeur fluctuante causée par de grands doutes.
Une thérapie conjugale sous forme de making of
Il aura fallu un an et demi pour que Liv Corfixen réussisse à monter My Life Directed by Nicolas Winding Refn. Des heures et des heures passées à dérusher, à trouver le juste équilibre qui fait la grande qualité de ce documentaire cinéphile pas comme les autres. Le résultat est tout à fait étonnant, rafraîchissant, malgré un titre qui en dit peut-être un peu beaucoup. On savait Nicolas Winding Refn boulimique de vidéos, sous toutes leurs formes, et l’on savait déjà qu’un documentaire gagne, dans son sillage, beaucoup de sa personnalité quelque peu baroque. On se souvient tous de Gambler (si vous ne l’avez pas vu… foncez !), ce reportage passionnant au plus près d’un réalisateur au bord du précipice, noyé sous les dettes après le naufrage Inside Job. Pourtant, My Life Directed by Nicolas Winding Refn, s’il fait de l’auteur de l’excellente trilogie Pusher son acteur principal, s’éloigne très clairement de l’égo-trip que l’on pouvait redouter.
My Life Directed by Nicolas Winding Refn n’est pas un documentaire « à la gloire de », s’avère profondément humain et ce même si la personnalité qui l’habite est d’un caractère exceptionnel. Le film est en fait une sorte de thérapie conjugale, un témoignage objectif de ce que l’atmosphère autour d’un homme en pleine difficulté, ici créatrice, peut créer comme répercussions sur la vie privée. Il est clair que ce documentaire n’aurait pas eu la même saveur sans un sujet aussi extravagant que Refn, qui ne cesse de nous passionner dans son rapport à la création, à sa façon très torturante d’envisager son art. Et le rapport avec la cellule familiale n’aurait peut-être pas été aussi intéressant avec un autre auteur. Très vite, Liv Corfixen réussit à briser le calcul, la dose de jeu qu’a toute personne sur laquelle est braquée une caméra, notamment en n’hésitant pas à « voler » des images de Refn fragilisé, parfois à bout, se posant des questions tellement fondamentales que son intérêt pour sa famille en pâtit irrémédiablement.
Un documentaire enthousiasmant
Le personnage principale de My Life Directed by Nicolas Winging Refn n’a jamais son mot à dire sur ce qu’entreprend Liv Corfixen, hormis quelques petits conseils artistiques. Ce n’est pas non plus La Guerre des Rose. La compagne de l’auteur se donne tous les droits, y compris celui d’aborder certaines figures bien connues de l’entourage de Refn. On a évidemment le droit à une bonne dose d’Alejandro Jodorowsky, toujours aussi perché et véritable attraction sur son temps de présence à l’écran. Mais, comme toujours, sous des apparences quelque peu extravagantes, une matière est à capter quand il ose conseiller à Liv Corfixen de reconsidérer drastiquement son couple. En ce sens, la réalisatrice se met réellement en danger, opère un véritable parcours initiatique salvateur.
My Life Directed by Nicolas Winding Refn est un documentaire passionnant, qui ose montrer le quotidien parfois épuisant d’une compagne de réalisateur plus que passionné. Attention cependant, il n’est aucunement question de dénoncer l’emprise de l’auteur, ni de se lancer dans une critique exagérée d’un patriarcat qui n’a aucune existence dans ce couple danois. Il s’agit surtout d’un questionnement sur le processus créatif, et l’implication de la femme de l’auteur dans celui-ci. Évidemment, les deux petites filles font partie intégrante de la chose, on a notamment cette image incroyable du réalisateur qui, en plein repérage sur un plateau qui lui demande toute sa concentration, s’arrête de penser à la création pour se poser des questions d’intendance concernant ses enfants. Un moment surréaliste, dans le sens où le spectateur ne peut que se demander comment un esprit peut calculer autant de choses en si peu de temps. Les répercussions sur son moral, puis sur son rendement artistique mais aussi dans la sphère privée, donne un documentaire enthousiasmant, très voyeur mais utile pour mener une réflexion sur la difficulté de concilier création et vie de famille. Notons que My Life Directed by Nicolas Winding Refn est baigné d’une bande originale sublime signée Cliff Martinez, le compositeur d’Only God Forgives, de Drive, mais aussi de Spring Breakers et d’une tripotée de films signés Steven Soderbergh.