Sortir les femmes de l’oubli
Après avoir exposé La Vie Tumultueuse des Producteurs (éditions Séguier, 2013), Yonnick Flot s’attaque aux productrices qui ont aussi fait l’Histoire du cinéma. Accompagné par sa fille Christine Beauchemin-Flot, dont le talent d’exploitante en salle a fait la belle réputation, l’auteur se met en tête de faire la lumière sur toute une partie des figures les plus importantes qui ont façonné cet art, sans pour autant en récupérer des lauriers dignes de ce nom.
Longtemps, la création cinématographique a été résumée au travail des hommes. Même si nous ne participons pas à l’ambiance du moment, qui tend à faire des femmes des éternelles victimes d’une société qui n’a plus grand chose de patriarcale, force est de constater que le septième art est victime d’une sorte de chape de plomb, alors que cet art n’est pas le dernier à nous donner des œuvres féministes engagées. Hypocrisie de fond bien sûr, qui accouche de nombreuses injustices que Yonnick Flot et Christine Beauchemin-Flot tentent de réparer avec cette Vie des Productrices.
Ce voyage de presque 400 pages au pays de l’oubli débute par celle qui est pourtant l’un des personnages les plus importants de toute l’Histoire du cinéma : la très prolifique Alice Guy. Celle que les auteurs de La Vie des Productrices considèrent comme la première cinéaste, dont la carrière a connu des hauts mais aussi d’incroyables bas, est abordée avec un intérêt qui dépasse peut-être la démarche factuelle. Yonnick Flot et Christine Beauchemin-Flot ne sont pas que des historiens du septième art pour les besoin de ce livre, qui ont d’ailleurs vu de près ce milieu évoluer, ils sont aussi des féministes dont la subjectivité ne peut s’empêcher de surgir ici ou là. Et ce n’est jamais désagréable, tant il est indéniable que le traitement de ces femmes fut et continue d’être assez sous-traité.
Un ouvrage qui remet les choses en place
La Vie des Productrices divise celles-ci en neuf catégories : les pionnières, les oubliées, les scandaleuses, les combattantes, les politiques, les généreuses, « d’autres aussi », les belles américaines et la belle relève. Au total, c’est une trentaine de femmes qui sont évoquées, avec un traitement qui va de la biographie factuelle au travail plus fondamental. Yonnick Flot, que la carrière a baladé de l’AFP au Film Français, en passant par France Inter, a côtoyé ce milieu et nous le comprenons à différents moments où, sans le signifier, il nous donne à lire des souvenirs lui appartenant. Cela donne certes un déséquilibre de traitement : Margaret Ménégoz fait l’objet de plus d’attention que Marie-Louise Iribe par exemple, mais l’on aurait tort d’en vouloir à cet ouvrage qui préfère présenter une globalité plutôt qu’une matière choisie.
La Vie des Productrices est un livre qui se veut fidèle à la ligne dictée jusque dans son titre. Les auteurs nous embarquent dans leur volonté d’intéresser le lecteur au destin de ces femmes méconnues, qui trouvent ici l’occasion d’être enfin dans le focus. Comme signifié très justement dans les premiers mots de l’ouvrage, le septième art est aussi féminin. Et si nous ne participons pas à l’ambiance « guerre des sexes » (du moins au temps qui est le nôtre), on ne peut que rejoindre celles et ceux qui s’étonnent de voir le milieu du cinéma glorifier les stars féminines d’un côté, et faire oublier les artistes féminines. Le meilleur exemple est évidemment Musidora, la première « vamp », qui a excité les libidos grâce à son aspect « femme fatale » lors de ses travaux d’actrice, mais qui a beaucoup moins été soutenue quand elle se lança dans une carrière plus proche du processus créatif. La Vie des Productrices réussit bien à pointer du doigt cette incohérence.
La Vie des Productrices évolue bien, jusqu’à finir avec une Julie Gayet visiblement très appréciée par Yonnick Flot et Cristine Beauchemin-Flot, avec des envolées lyriques que nous ne sommes pas obligés de partager. Le travail était compliqué, et le duo s’en sort bien, en livrant un ouvrage parfois captivant et riche en détails, dont l’intérêt est indéniable aussi bien pour les amateurs de cinéma que pour les citoyens en recherche d’équité de traitement. La Vie des Productrices est utile sur différents plans, mission réussie.
La Vie des Productrices, écrit par Yonnick Flot et Christine Beauchemin-Flot. Aux éditions Séguier, 392 pages, 22 euros. Sortie le 3 mars 2016.