Caractéristiques
- Titre : Justin de Marseille
- Réalisateur(s) : Maurice Tourneur
- Avec : Antoine Berval, Pierre Larquey, Alexandre Rignault
- Editeur : Pathé
- Date de sortie Blu-Ray : 1er Juin 2016
- Date de sortie originale en salles : 5 avril 1935
- Durée : 95 minutes
- Note : 9/10 par 1 critique
Image : 5/5
On n’arrête plus Pathé et ses versions restaurées de chefs-d’œuvre du cinéma français plus ou moins oubliés. On peut dire que le travail effectué sur Justin de Marseille atteint le niveau d’excellence habituel pour cette collection de grands films, avec un master issu d’une numérisation 2K du négatif original. Si quelques plans n’ont pas pu être sauvés, gardent des traces de l’usure du temps, il est aussi clair que personne n’a vu le film dans une aussi belle édition que depuis la sortie du film, en 1934. Une belle définition qui permet, par ailleurs, d’admirer à sa juste valeur l’impressionnante photographie du film. Du grand art.
Son : 4/5
Côté son, cette restauration de Justin de Marseille s’en tire aussi très bien, même si le résultat souffre évidemment de la technique de prise de son pour le moins sommaire de l’époque de tournage. Mais tout de même, la piste Dolby Digital 2.0 s’en tire avec plus que les honneurs, notamment en atténuant presque totalement le souffle inévitable. Il en reste de petits résidus ici ou là, mais dans l’ensemble c’est du très bon travail. Signalons des sous-titres pour sourds et malentendants.
Bonus : 5/5
Pathé gâte les cinéphiles, avec trois bonus, tous d’une belle utilité. Bertrand Tavernier apparaît dans chacun des trois, et sa passion pour le sujet s’avère communicative. On commence avec une rétrospective de la carrière de Maurice Tourneur, grand cinéaste qui a même le droit à son étoile sur le célèbre Walk of Fame d’Hollywood. Une trentaine de minutes passionnantes, qui nous dessinent un personnage singulier, entouré d’ombre tant il n’aimait pas se répandre dans les médias. On continue avec une présentation de Justin de Marseille, longue de seize minutes, que l’on recommande tout de même pour après le visionnage. Pour finir on a le droit à une discussion de quatorze minutes, détendue mais pas inintéressante, autour du film entre Bertrand Tavernier et Philippe Meyer, que l’on connaît notamment pour son émission L’Esprit Public sur France Culture.
Synopsis
Marseille, sa vie, ses habitants, son port. Lors du débarquement du bateau Le Mauritanie éclate un incident. Une bande de malfrats s’empare d’une cargaison d’opium cachée dans le siège d’un passager invalide et l’emporte sous le feu nourri des douaniers. L’évènement crée l’émoi dans la presse et dans le milieu car la marchandise était destinée à la mafia chinoise. Justin, figure notoire du tout Marseille, lui-même chef de gang, n’apprécie pas ce coup d’éclat qui fait des vagues et désorganise le marché de la contrebande. Il apprend bien vite que l’auteur du vol est Esposito, ambitieux parrain napolitain, et prend sur lui de le remettre à sa place.
Le film
Tourneur est un nom qui doit forcément vous dire quelque chose, et si ce n’est pas le cas alors heureux qui comme vous fera de bien belles découvertes. Celui qui nous intéresse aujourd’hui, c’est Maurice Tourneur (on abordera obligatoirement son fils Jacques un jour ou l’autre), cinéaste à la réputation française bien moindre que celle qu’il a pu se forger aux États-Unis (où il tourne pas moins d’une cinquantaine de films !), contrée dans laquelle il est carrément considéré comme l’un des artistes les plus importants de l’histoire du septième art. Nul n’est prophète en son pays, surtout quand une partie de celui-ci a décidé aujourd’hui que le cinéma français n’a jamais rien réalisé de bon, cependant à son retour dans l’hexagone Maurice Tourneur va franchir le pas du parlant et donner encore quelques œuvres importantes. Justin de Marseille est clairement de celles-ci.
L’ouverture de Justin de Marseille, comme celle de beaucoup de grands films, donne bien des clés de ce qui sera l’oeuvre non pas dans son récit, mais dans sa forme. On y trouve déjà cette réalisation de Tourneur en deux temps, presque un « deux films dans le film ». Tout d’abord, il y a cette description réaliste non seulement de Marseille, mais aussi de ses habitants, avec une caméra qui prouve qu’elle n’a pas attendu la Nouvelle-Vague pour sortir des studios pour capter le vrai, le réel. Les cadres se font souvent en rapproché épaule, voire en gros plan, histoire de bien coller à la vie, aux visages à ce qui faisait la beauté de cette ville à l’époque du tournage. Que ce soit dans les chants des enfants, le travail des femmes au marché (eh oui, les femmes ont toujours travaillé, du moins les prolétaires), ou encore la valse des bateaux du Vieux Port, le réalisateur de Justin de Marseille capte une substantifique moelle différente de chez Pagnol, peut-être moins romancée (encore que), plus intime, en tout cas tout aussi touchante.
Le « deuxième film », qui cohabite fort bien avec l’autre et donne d’ailleurs son titre à Justin de Marseille, est évidemment celui qu’impose le récit. La réalisation se fait alors légèrement plus spectaculaire, même si Maurice Tourneur n’est pas du genre à se laisser aller à des plans inutilement alambiqués. Tout, chez lui, n’est que maîtrise de son art, et seule l’action à l’écran justifie certains des mouvements de caméras les plus balèzes du cinéma français des années 30, pourtant pas avare en talents. On retient un plan séquence tout simplement hallucinant, pas bien long mais d’une fluidité étonnante pour l’époque, qui rappelle d’ailleurs ce que peut imaginer un Martin Scrosese dans cet exercice de style : un personnage qui passe d’un décors à l’autre, motivé par une problématique. Autre plan magistral, un « atterrissage » dans la foule, tout en douceur, qui démontre à quel point ce réalisateur était en avance sur son temps.
Justin de Marseille est un vrai film de pègre, qui préfigure ce que pourra donner le cinéma français des années 1960-1970 dans le genre, et plus particulièrement dans le traitement de cette figure du gangster chez Jean-Pierre Melville. Si l’ambiance est moins sombre chez Maurice Tourneur, on est tout de même face à un film qui aborde la criminalité avec un point de vue pour le moins courageux à l’époque. Celle d’aujourd’hui, qui fait de Booba une sorte de héros populaire, aurait beaucoup à apprendre de personnages comme Justin, qui nous fait penser à ces malfrats embarqués dans de telles affaires qu’ils avaientt tout intérêt à ce que son territoire soit traversé de bonne humeur. Bad boy au grand cœur, le personnage interprété par le très charismatique Antoine Berval s’attire la sympathie des habitants, ce qui peut construire une sorte d’image négative de la ville, de son rapport à la criminalité… du moins quand on en a un regarde extérieur. Dès le début, et ce succulent dialogue entre un marseillais et un journaliste parisien triste comme la pluie, Justin de Marseille valide ce que tout le monde sait : non, dans la cité phocéenne on n’a pas les mêmes mœurs que dans la capitale (encore que, rappelons que les plus grands criminels de France sont tous basés à Paris, capables de lancer des guerres, des massacres, à l’autre bout du monde). C’est un fait : ce film nous montre une ville belle, pleine de charme, dangereuse certes pour les gangsters mais bourrée de spécificités, comme cette ouverture aux autres cultures que le metteur en scène prend plaisir à démontrer
Justin de Marseille est un grand film, que seul un tout petit regret pour un final un peu forcé vient à peine effleuré. Décidément, Maurice Tourneur n’était pas un professionnel du sentimentalisme. Mais le casting, l’écriture par un Carlo Rim qui signe ici son meilleur scénario, le rythme et le caractère osé d’une réalisation d’une maîtrise absolue, tout nous fait dire que l’on fait face à l’une des plus belle découverte cinéphile que l’on ait pu faire depuis un moment.