Caractéristiques
- Titre : Voici le Temps des Assassins
- Réalisateur(s) : Julien Duvivier
- Avec : Jean Gabin, Danièle Delorme, Gérard Blain
- Editeur : Pathé
- Date de sortie Blu-Ray : 1er Juin 2016
- Date de sortie originale en salles : 11 avril 1956
- Durée : 95 minutes
- Note : 8/10 par 1 critique
Image : 5/5
C’est un fait établi : cette collection de classiques du cinéma français de chez Pathé est un pur plaisir pour celles et ceux qui aiment découvrir ces films dans des conditions optimales. La photographie du film, signée par le prolifique Armand Thirard (Et Dieu… créa la femme, Le Salaire de la Peur), s’en retrouve magnifiée. Ce noir et blanc, qui a son rôle dans l’ambiance très sombre du film, est un véritable plaisir pour les yeux.
Son : 4/5
Voici le Temps des Assassins est proposé en Dolby Digital 2.0, une piste claire, bien équilibrée, comme d’habitude pour cette collection. On ne le dira jamais assez : ce travail de restauration est une véritable bénédiction pour les yeux, mais aussi les oreilles des cinéphiles.
Bonus : 4/5
Un documentaire de 18 minutes fait intervenir Eric Bonnefille (auteur de « Julien Duvivier : le mal-aimant du cinéma français« ) et Hubert Niogret (auteur de « Julien Duvivier : 50 ans de cinéma« ). Un programme sérieux et très informatif.
Synopsis
À Paris, André Chatelin, restaurateur aux Halles à l’enseigne Au rendez-vous des Innocents, est un modèle d’homme droit, patron paternaliste et le cœur sur la main. Mais un beau matin, une jeune fille tout juste arrivée de Marseille se présente à son restaurant. Elle dit être Catherine, la fille de Gabrielle, première femme de Chatelin, dont il est divorcé et n’a plus de nouvelles depuis vingt ans. Selon Catherine, Gabrielle vient de mourir, et elle n’a nulle part où aller. Chatelin lui offre alors son hospitalité. Mais insidieusement, Catherine mène un jeu trouble auquel Chatelin ne voit que du feu. Elle parvient à le brouiller avec celui qu’il considère comme son fils, Gérard, un jeune étudiant en médecine sans ressources : il s’agit pour elle d’éliminer cette concurrence, Chatelin risquant d’en faire son héritier.
Le film
Voici le Temps des Assassins est un grand classique, à part dans la carrière de Julien Duvivier, voire carrément dans le cinéma français de l’époque. Tout d’abord, il faut signaler que la noirceur de cette œuvre lui a valu, à l’époque, une interdiction aux moins de 16 ans. Plus étonnant, ce grand film, peut-être le meilleur du réalisateur, fut même défendu par la Nouvelle Vague, qui comptait pourtant en sa houle des « haters » non seulement du metteur en scène, mais aussi du système (le cinéma de studio) qu’il représentait. On ne peut pourtant que comprendre ce soutien étonnant, tant Voici le Temps des Assassins s’avère passionnant.
Voici le Temps des Assassins est le film d’un réalisateur alors pas vraiment au top de sa forme. Sa femme venait de le quitter, et ses derniers films ne rencontraient pas leur public. Quand il tourne cette œuvre, on peut imaginer qu’il en a gros sur la patate car son style, éminemment pessimiste, trouve ici un point d’orgue vertigineux. L’immense Gabin incarne André Chatelin, un chef de restaurant qui ne peut se plaindre de son succès. L’atmosphère du film, très noire notamment dans la description des femmes, nous prend à la gorge petit à petit, avec une intelligence de mise en scène bluffante. On commence par découvrir les Halles de l’époque qui, alors, était une sorte de grand marché. Puis le récit de Voici le Temps des Assassins met en place ses éléments avec minutie, le rapport quasi de père et de fils qu’André entretient avec Gérard (Gérard Blain, que l’on retrouvera par la suite chez Truffaut), et l’élément qui va venir perturber tout ça : Catherine (excellente Danièle Delorme).
La femme n’a pas le beau rôle dans Voici le Temps des Assassins, c’est le moins que l’on puisse écrire. Catherine est une destructrice, une diablesse qui cache bien des choses et ira jusqu’au bout dans sa folie. La mère d’André , interprétée par Germaine Kerjean (dont vous connaissez obligatoirement la voix : elle fut celle de la reine de cœur dans Alice au Pays des Merveilles), n’est pas spécialement sympathique, notamment armée d’un fouet dans une séquence plus que puissante pour l’époque, où elle tente de « dresser » une Catherine en voie de devenir incontrôlable. Voici le Temps des Assassins n’est pourtant jamais misogyne, tant le réalisateur ne juge pas ses personnages à l’aune de leur sexe mais de leur humanité, ce qui est une constante dans son œuvre. Rien ne peut fonctionner comme prévu dans ce récit d’un nihilisme absolu, qui ne peut que se terminer par une image dramatique qui s’imprime durablement sur nos rétines.
Comme écrit plus haut, Voici le Temps des Assassins fut sans doute le film de Julien Duvivier le plus apprécié par la Nouvelle Vague. Ce qui ne veut rien dire en soit, mais tout de même l’on pouvait être étonné par une telle position. Si nous regrettons que Duvivier ait fait l’objet de critiques systématiques et très partisanes, forcé de constater que l’œuvre ici traitée est sans doute la plus marquante de son auteur. Que ce soit dans son fondamental, mais aussi côté esthétique. Le metteur en scène confirme son obsession du cadre propre, et a dorénavant les moyens technique de multiplier les mouvements de caméra, ce dont il ne se prive pas, toujours dans l’optique de mettre en valeur l’action et non par simple goût du beau. En résulte un formel justifié, plaisant car jamais m’as-tu-vu. Ainsi, Voici le Temps des Assassins est sans doute le plus conseillé des films de Duvivier, sans aucun doute son plus pessimiste, qui propulse le style de son auteur au sommet de ses capacités. Un grand film.