Caractéristiques
- Titre : Night Fare
- Réalisateur(s) : Julien Seri
- Avec : Jonathan Howard, Jonathan Demurger, Fanny Valette, Jess Liaudin
- Editeur : Universal
- Date de sortie Blu-Ray : 17 Mai 2016
- Date de sortie originale en salles : 13 janvier 2016
- Durée : 77 minutes
- Note : 9/10 par 1 critique
Image : 5/5
Un master de toute beauté qui rend hommage au travail pourtant difficile (car sans grands moyens et nocturne en quasi permanence) de Jacques Ballard. Même si la haute-définition est réservée au Blu-ray, le DVD s’en sort royalement avec une définition constamment au plus haut, et avec un jeu de contrastes assez phénoménal. On n’a pas remarqué une seule baisse de régime, et le travail du directeur de la photographie est tel que l’on est encore sous le choc en pensant au prix qu’a pu coûter l’œuvre. C’est parfait.
Son : 5/5
Night Fare est une véritable réussite pour ce qui est de son passage par la vidéo, et côté audio le résultat est aussi au niveau. La piste originale est proposée en Dolby Digital 2.0 et 5.1, et nous procure une satisfaction de tous les instants. L’équilibre est nickel, exemplairement dynamique. On sent que l’équipe technique a mis un point d’honneur à signer un master audio de grande qualité. Ils doivent être heureux de savoir que c’est le cas au final.
Bonus : 4/5
Décidément, cette édition de Night Fare fait un sans-faute. La matière dans le dossier des bonus forme un repas aussi succulent que consistant. Un making of (14 minutes) qui nous présente notamment des images du tournage. On l’aurait aimé plus long, mais on s’en contente. Le programme « Les origines expliquées » (10 minutes) revient spécialement sur la partie animée en faisant intervenir le dessinateur Stéphane Levallois. Le module sur la présentation du film au Max Linder Panorama (6 minutes) montre l’équipe du film répondre aux questions de journalistes. Enfin, le gros morceau c’est le commentaire audio de Julien Seri, tout simplement excellent, dans lequel le réalisateur s’ouvre assez pour dévoiler certains détails passionnants. Pour finir, la liste complète des donateurs à la campagne Ulule est disponible, et essayez de trouver le logo de Daigoro Films : vous ne serez pas déçu…
Synopsis
Luc et Chris, son ami anglais, montent dans un taxi pour rentrer chez eux après une soirée parisienne bien arrosée. Arrivés à destination, ils s’enfuient sans payer la course. Ils sont tombés sur le mauvais chauffeur… Le taxi va se mettre en chasse toute la nuit. Mais, est-ce vraiment l’argent qu’il veut ?
Le film
Le monde du cinéma est parfois cruel, bien loin de « la grande famille » que certains aiment à nous décrire au premier festival venu. Julien Seri, réalisateur très axé sur le genre, s’en est rendu compte pendant quelques années avant de sortir son Night Fare. Lui qui se voyait pousser des ailes après avoir réglé les cascades de Yamakasi, grand succès populaire, s’est ensuite retrouvé aux commandes de projets pas spécialement couronnés de succès. Il faut dire que son premier film en tant que réalisateur, Les Fils du Vent (la suite de Yamakasi) fut un sacré échec commercial ainsi qu’une œuvre de qualité très moyenne. Et son Scorpion, film de combats avec Clovis Cornillac, était plus travaillé esthétiquement mais n’a malheureusement pas attiré les foules. Ensuite, il passe par la télé avec du téléfilm obscur, et surtout le premier épisode de la deuxième saison de Sable Noir, une anthologie de courts-métrages français plutôt sympathique. De projets annulés en difficultés à monter quoi que ce soit, Julien Seri n’avait plus qu’une carte à jouer : celle de la production minimaliste, faisant appel notamment à ses propres économies, mais aussi à une campagne sur Ulule. Le budget final de Night Fare s’élève tout de même à quasiment un million d’euros, une somme minuscule dans le monde de la production audiovisuelle.
La première remarque que l’on se fait en regardant Night Fare est que, malgré ses limites financières donc matérielles, Julien Seri rend un travail d’un sérieux formel assez hallucinant. On ne parle pas du style (on reviendra plus tard sur celui-ci), mais bien de la matière brute des plans : c’est un plaisir à regarder bien plus prononcé que certaines productions beaucoup plus friquées. C’est sans doute ce que l’on appelle le supplément d’âme, tant on sent que le réalisateur est sur le qui-vive, ose faire des choses que l’on a du mal à envisager tant les tourner avec une telle restriction de moyens a dû épuiser les corps et les esprits. Night Fare fait preuve d’une maîtrise des « production values » qui force le respect, a compris qu’il lui fallait avoir recours à des décors fonctionnels et atypiques, ce qui est le cas tout du long. On regrette peut-être une exploitation trop peu marquées des décors de La Défense, de ses alentours, qui font par ailleurs les passages les plus beaux du film.
Bien vite, on se plonge dans Night Fare et l’on ne peut s’empêcher de se dire que Julien Seri aime le cinéma que, nous-même chez Culturellement Vôtre, apprécions particulièrement. Cette façon de construire son croquemitaine, nous rappelle évidemment le Michael Myers de Carpenter, surtout quand la menace est motorisée. Dans sa voiture, celui qui peut être comparé à un boogeyman peut apparaître n’importe où, tout le temps, défiant sciemment la logique du montage pour mieux donner une impression de menace quasiment surnaturelle. On ne sait pas grand chose des motivations du chauffeur tatoué, à part qu’il semble ne pas apprécier la racaille, tout en laissant plutôt tranquille celles et ceux qu’il juge ne pas en être. On est en plein slasher en fait, Night Fare s’inscrit totalement dans ce genre horrifique de par sa trame, les codes qu’il utilise et les mises en situations bien violentes (mais trop peu nombreuses) de son bad guy.
Night Fare est évidemment loin d’être exempt de tout reproches, notamment dans des choix de mise en scène parfois un peu lourdingues. On pense notamment à l’usage des ralentis, parfois pertinents mais un peu trop systématiques, au risque de dénaturer certaines séquences. L’exemple le plus frappant est celui du flashback, qui nous décrit une situation dramatiquement chargée, mais un peu allégée par ce ralenti injustifié en rapport avec le sentiment recherché à cet instant précis. On pense évidemment à Kubrick, la séquence culte d’Orange Mécanique. Mais là où ce film fait le pari d’un rendu rude, qui s’imprime directement dans l’âme de par la gratuité et le sadisme primitif, barbare, Night Fare fait celui d’une mise en image plus stylisée par le moyen de tournage, comme si le réalisateur n’avait pas totalement confiance en la force de ce qui se tramait sous sa caméra. Pour être tout à fait juste, cette envie d’esthétisme est loin de tout le temps être un frein au ressenti, puisque sur certains passages on peut même dire qu’il forme un acteur à part entière. On a déjà parlé de la façon de filmer les alentours de La défense, mais d’autres endroits sont aussi le lieu de scènes de toute beauté, et le spectateur de Night Fare peut se rincer la rétine tout en étant interloqué par cette histoire, ce boogeyman.
Kubrick et Carpenter ne sont pas les seuls metteurs en scène à être cités, c’est aussi le cas de Park Chan Wook pour un final que nous ne vous dévoilerons pas, évidemment. Du reste, prendre appui sur ces trois réalisateurs démontre un véritable amour du cinéma de genre, qui se retrouve tout au long de l’histoire de Night Fare. Slasher à tendance « errance nocturne », ce film dévoile une trame finalement minimaliste, mais pas du tout désagréable à suivre. Si l’on n’est pas choqué par aucun manquement, on ne peut pas dire non plus que l’œuvre fait dans l’audacieux, mais l’équilibre est tel que ça fonctionne bien, et ce jusqu’à un final en forme de gros tournant. La solution à l’énigme du whodunit n’est pas liée à l’identité physique du croquemitaine, mais à ses motivations, et celles-ci ont à la fois de quoi plaire par cette soudaine poussée d’audace, mais aussi par la mythologie qu’elles mettent en place. On ne vous dira rien d’autre, à part qu’une suite à Night Fare est ardemment désirée car pas capillotractée…
Au final, Night Fare est, avec Elle, ce qu’on a vu de plus rafraichissant dans le film de genre à la française depuis quelques temps. Pas dénuée de défauts, l’œuvre de Julien Seri n’était tout de même pas attendu à ce niveau de qualité, et l’amour du film d’horreur qui s’en dégage est indéniable (on n’est pas dans le cynisme répugnant à la Wes Craven, donc) et rafraichissant. Nous vous conseillons fortement de vous procurer Night Fare, car il s’agit d’un véritable geste militant : vous êtes au courant des imperfections, mais il faut encourager le bon film de genre et récompenser ce type de production qui, vous excuserez votre humble serviteur, pose ses couilles sur la table.