Caractéristiques
- Titre : Florence Foster Jenkins
- Réalisateur(s) : Stephen Frears
- Avec : Meryl Streep, Hugh Grant, Simon Helberg, Rebecca Ferguson...
- Distributeur : Pathé Distribution
- Genre : Biopic, Comédie Dramatique
- Pays : Grande-Bretagne, France
- Durée : 110 minutes
- Date de sortie : 13 Juillet 2016
- Note du critique : 7/10 par 1 critique
Florence Foster Jenkins, riche mondaine américaine dont la fortune permis de faire vivre la scène musicale de Philadelphie de la fin des années 20 à sa mort à l’âge de 76 ans en 1944, est restée célèbre pour son manque de talent évident en tant que chanteuse lyrique, voie dans laquelle elle persista pourtant avec enthousiasme et conviction jusqu’à se produire sur la scène du prestigieux Carnegie Hall de New York, peu de temps avant sa mort, entourée d’admirateurs érudits à la recherche de son soutien financier, mais aussi de soldats venus passer du bon temps et de critiques acerbes, habituellement tenus à l’écart, et qui ne se privèrent pas pour la clouer au pilori lors de cette première grande représentation publique. Les quelques enregistrements qui subsistent (que l’on trouve aisément sur YouTube) permettent de prendre la mesure de la catastrophe et de comprendre comment elle acquis cette réputation de chanteuse aux prouesses vocales hilarantes.
Intéressé par cette figure aussi drôle que touchante, dont le chant laissait par moments poindre une certaine tristesse, le plus british des cinéastes anglais, Stephen Frears, a décidé de porter à l’écran son incroyable histoire, en se concentrant autour de la préparation de son concert au Carnegie Hall. Il confie à la grande Meryl Streep la tâche délicate d’incarner cette Castafiore plus vraie que nature, secondée par un Hugh Grant surprenant dans le rôle de son compagnon et impresario. Le choix de Streep tient à la fois de l’évidence, par sa capacité à pouvoir incarner des rôles aussi bien comiques que dramatiques, et de l’audace quand on sait qu’elle est parfaitement capable de chanter juste. Dès l’instant où son personnage se met à chanter, on comprend la pertinence de ce choix puisque l’actrice parvient à être hilarante sans que jamais le spectateur ne se moque du personnage, qui apparaît touchant dans son aveuglement même.
Deux acteurs au diapason, entre rire et émotion
Tout l’équilibre du film, entre l’humour d’une screwball comedy assumée, et l’émotion d’un élégant mélodrame, repose ainsi sur les épaules de la star et sa capacité à susciter rire et empathie, souvent dans le même temps. Hugh Grant, qui a choisi de mettre fin à sa carrière il y a quelques temps et sort ici temporairement de sa retraite anticipée, apporte également, par sa prestation où l’humour et le cynisme le disputent à la tendresse et la mélancolie, quelque chose de non moins important au film : une forme de flamboyance teintée de tristesse, et un bel hommage à tous les artistes ratés. St Clair Bayfield a beau être un mauvais acteur shakespearien tout à fait conscient de l’être, il se dévoue corps et âme pour que le rêve de sa compagne et bienfaitrice devienne réalité, même s’il doit pour cela la maintenir dans une étrange illusion que lui-même n’a pas eu la « chance » de pouvoir conserver. Le monde où vit Florence Foster Jenkins ne correspond pas à la réalité, mais, si l’on peut au départ douter des véritables intérêts de Bayfield, qui vit aux crochets de celle qu’il appelle sa « femme » tout en vivant avec une jeune maîtresse dans un appartement payé par Florence, la tendresse qu’il éprouve à son égard est réelle, et l’on devine que les aspirations naïves teintées de grandeur de la philantrope font intimement écho à ses ambitions déçues.
Hugh Grant sait très bien faire passer toute la complexité du personnage, au départ assez difficile à cerner, s’abritant souvent derrière un humour très anglais et un certain cynisme, et la tendresse qu’il manifeste à l’égard de Florence Foster Jenkins donne lieu aux scènes les plus bouleversantes du film. Entre la flamboyance de son personnage, qui brille de mille feux lors d’un numéro de danse au cours d’une fête, et la fatigue, le poids des échecs passés que l’on devine, il réussit à faire de Bayfield, ambigu par nature, un personnage véritablement attachant. Force est aussi de constater que l’acteur, aujourd’hui âgé de 55 ans, se bonifie avec le temps. Si le charme so british qui a fait craquer de millions d’admiratrices dans les années 90 et le début des années 2000 est toujours présent en filigrane, les traits du comédien sont désormais marqués et lui permettent de gagner une certaine gravité. Il trouve là l’un des plus beaux rôles de sa carrière et l’alchimie évidente entre lui et Meryl Streep est la raison pour laquelle le film, qui n’est pas exempt de défauts pour autant, fonctionne aussi bien.
Authenticité ou bons sentiments ?
Si Stephen Frears réalise une fois de plus un biopic et film historique des plus élégants, sa réalisation laisse tout de même transparaître une certaine paresse, qui peut laisser penser qu’il se repose un peu trop sur ses lauriers, sans chercher à trop bousculer les codes du genre, ni même ses habitudes. Vers la fin, il se laisse même prendre un chouïa trop au jeu d’Hollywood en poussant vers le sentimentalisme une scène qui n’en avait pas besoin. Ceci dit, si son Florence Foster Jenkins suit un déroulement balisé, et fait parfois preuve de bons sentiments lorsqu’il condamne le comportement d’un critique musical dénonçant la complaisance à l’égard de la philantrope, le film n’en est pas moins plaisant, et souvent juste par son ton. Le cinéaste, tout à fait conscient du côté involontairement hilarant du personnage, reste lucide sur son flagrant manque de talent musical et en fait même le coeur d’un certain nombre de scènes, mais il a le bon goût de ne jamais rendre cette chanteuse improvisée risible. C’est finalement lorsque les scènes comiques sont teintées d’une certaine noirceur, que le rire cède la place à une profondeur inattendue, que le film de Stephen Frears est le plus convaincant. Il n’a pour cela guère besoin des ficelles du genre, qu’il emploie de manière assez conventionnelle lorsqu’il en fait l’usage.
Débarrassé de ses artifices et de ses quelques facilités, Florence Foster Jenkins apparaît comme un bel hommage aux artistes ratés, qui semblent ici prendre leur revanche. Stephen Frears colle au plus près de ses personnages, filmant le » pas de deux » du duo Meryl Streep–Hugh Grant avec pudeur et sensibilité. Si l’actrice américaine parvient avec une facilité désarmante à faire rire les spectateurs sans jamais qu’ils ne se moquent de son personnage, l’acteur anglais, ancien jeune premier des comédies romantiques made in England, impressionne par sa performance tout en nuances d’un personnage qui aurait pu apparaître comme antipathique par certains aspects. On notera également la présence de jolis seconds rôles, dont Simon Helberg de The Big Bang Theory, parfait en pianiste un peu gauche, désarçonné par sa drôle de patronne. Si le cinéaste britannique se plie globalement aux codes du biopic et peine à susciter véritablement l’étonnement, le film dégage une émotion non feinte lorsqu’il se concentre sur le couple Streep–Grant en faisant fi des bons sentiments et autres conventions qui minent plus d’un film hollywoodien construit sur des fondations similaires.