Caractéristiques
- Titre : Where to Invade Next?
- Réalisateur(s) : Michael Moore
- Avec : Michael Moore...
- Distributeur : Chrysalis Films
- Genre : Documentaire
- Pays : Etats-Unis
- Durée : 120 minutes
- Date de sortie : 14 septembre 2016
- Note du critique : 5/10 par 1 critique
Sept ans après Capitalism : A Love Story, Michael Moore est de retour aujourd’hui avec ce documentaire avant tout destiné au public américain et proposant un tour de l’Europe proche d’un voyage au pays du Magicien d’Oz — on retrouvera d’ailleurs un extrait du film de Victor Flemming lors de la conclusion. Pour ceux — et ils sont nombreux — qui reprochent au réalisateur son côté manipulateur, n’hésitant pas à présenter des faits avérés de manière résolument orientée et subjective, ce 9e long-métrage n’arrangera rien à l’affaire, bien au contraire. Michael Moore y assume pleinement de ne prendre que les meilleurs aspects des différents pays européens, en laissant totalement de côté les problèmes qui demeurent, quitte à donner à ses pérégrinations un côté conte de fées avec lequel il joue ouvertement.
La scène d’ouverture, où il se met en scène face à des dirigeants et de hauts gradés de l’armée américaine, pose d’emblée le tableau en apportant une dimension de fable moraliste qui irriguera l’ensemble du documentaire. Parti « envahir » l’Europe afin de leur piquer leurs meilleures idées et de les ramener (comprendre importer) en Amérique, le réalisateur à l’allure débonnaire fait mine de voir un monde enchanté s’ouvrir devant lui, surjouant l’ébahissement devant des interlocuteurs amusés se prêtant au jeu de bonne grâce. L’idée centrale est la suivante : les dirigeants mentent aux Américains en prétendant faire le maximum, alors qu’un autre modèle, fondé sur une plus grande justice sociale et le bien-être des salariés, sans pour autant renier les impératifs économiques ou de productivité, est possible. Direction l’Europe donc, où se nicherait le véritable progrès, à l’inverse de la philosophie des colons américains, qui voudrait que l’Est représente le passé et l’Ouest le progrès, l’avenir.
Sans tenir compte du recul de certaines avancées sociales en cours, ou de la montée des extrêmes, Michael Moore oppose donc une Europe progressiste et toujours vaillante à une Amérique rongée par les injustices sociales, répétant à l’envie son discours sur un Rêve Américain devenu illusoire pour la majorité de ses citoyens. Pour ce faire, il n’hésite pas à se pencher sur des cas souvent exemplaires et à les faire passer pour des généralités au sein du pays qu’il compte « envahir ». Le passage dans les cantines françaises, ou bien dans les prisons norvégiennes, prêtera ainsi à sourire, bien que, dans le cas du premier, le réalisateur assume de manipuler les faits, comme en attestent la réaction théâtrale d’une fillette faisant semblant de goûter du Coca pour la première fois ou bien les déclarations du chef de cuisine prétendant ne jamais avoir goûté un hamburger de sa vie. Le réalisateur insiste sur l’équilibre et l’aspect sain des menus des cantines françaises pour mieux les opposer aux plats gras, gélatineux et peu ragoûtants des cantines américaines. Si ce soucis de l’équilibre dans les menus, conçus en relation avec un nutritionniste, est assez vrai dans l’ensemble, Moore déforme considérablement les faits en laissant entendre que les écoles ne proposant des frites que 2-3 fois dans l’année ou bien ne passant pas par des centrales représentent la norme en France.
Un traitement parfois problématique
Le cas de la Norvège est plus problématique, car il donne l’illusion que les prisons de ce pays ressemblent à des centres de loisirs fondés sur l’épanouissement des prisonniers, qui disposent ainsi des clés de leur cellule ou peuvent s’exprimer et se défouler en enregistrant des morceaux de rap en studio. Si les images tournées dans ces deux prisons (l’une présentée comme exemplaire, pour des délits moindres, l’autre comme une prison de haute sécurité ordinaire) sont véridiques, la manière de l’Américain de présenter les faits en les étendant à l’ensemble du territoire laisse assez sceptique et invite à la précaution. Par ailleurs, son traitement de l’affaire Anders Breivik se révèle des plus maladroites et risque de faire grincer quelques dents.
Après avoir mis en avant le faible taux de récidive en Norvège (20%) et la clémence de la justice, qui ne garde aucun prisonnier enfermé pendant plus de 21 ans, Michael Moore met sur le tapis le cas de Breivik pour s’interroger sur la pertinence et l’efficacité de ce système dans des cas aussi extrêmes. Après avoir recueilli le témoignage du père d’une victime, qui déclare ne pas souhaiter la mort du criminel, Moore enchaîne avec la sentence de Breivik, condamné à 21 ans de réclusion avec 10 ans de sûreté et conclut sur le sens bénéfique du pardon des Norvégiens, occultant complètement la polémique, réelle au sein du pays, entourant, par exemple, les conditions de détention du criminel, considérées par certains comme un peu trop idylliques (PlayStation, XBox et lecteur DVD, 3 cellules pour un total de 31m carré), bien qu’il ait intenté — et remporté — un procès pour « traitement inhumain » en raison de sa mise à l’isolement et de la surveillance dont il fait notamment l’objet. Par ailleurs, comme dans d’autres pays, la peine maximale peut être prolongée si le sujet est encore considéré comme dangereux à la fin de sa réclusion, mais le réalisateur écarte cette donnée pour se concentrer sur la capacité des Norvégiens à réhabiliter les criminels, alors que la récidive atteint des taux records aux États-Unis.
Aller en Europe pour mieux parler de l’Amérique
En d’autres termes, le cinéaste grossit volontairement le trait, afin d’obtenir un cliché censé faciliter l’adhésion du spectateur américain à sa « démonstration ». Ce qui sauve le documentaire et le rend au demeurant assez sympathique, bien que répétitif, c’est l’humour et l’emphase ouvertement exagérée avec lesquels Michael Moore présente ses différentes incursions. Le sujet de Where to Invade Next? n’est pas tant l’Europe, finalement, que l’Amérique, dont il dresse en creux un constat alarmant. Mais, une fois encore, le plus gênant est cette ambiguïté fondamentale avec laquelle il présente certains faits, sans signaler leur exagération ou généralisation au sein du film. Il faut donc prendre ce « documentaire » (documenteur, diraient ses détracteurs) comme une fable moraliste étonnamment légère par son ton. Certains passages se distinguent plus que d’autres, comme l’interview de l’homme qui a permis la dépénalisation de la drogue au Portugal, la séquence très fine où Michael Moore explique comment bon nombre d’afro-américains se sont retrouvés privés du droit de voter, ou encore les souvenirs du réalisateur au sujet de la chute de mur de Berlin, à laquelle il a assistée, se trouvant sur place à ce moment.
La conclusion ne manquera pas d’agacer de ce côté de l’Atlantique puisque Moore, après un petit interlude Magicien d’Oz, doit donc démontrer au spectateur que « There’s nothing like home! » pour reprendre la réplique de Dorothy dans le film de Flemming, c’est-à-dire, « il n’y a rien de mieux que son chez soi ». Pour ce faire, il s’emploie à souligner qu’au sein de nombreuses bonnes idées progressistes européennes se cache… une idée d’origine américaine ! Le réalisateur n’a rien besoin de « voler » à l’Europe, puisque, en réalité, c’est l’Europe qui s’est inspirée de l’Amérique ! Pas de retour à l’Est donc, mais un retour aux « origines », en somme. Cette démonstration très rapide gêne quelque peu par sa prétention, même si le tout est réalisé avec humour et caricature, dans une certaine mesure, la tendance des Américains à penser qu’ils ont inventé l’eau chaude. Mais on peut se demander aussi si Moore n’a pas opéré ce retournement afin d’éviter d’être accusé de porter atteinte au patriotisme.
Where to Invade Next? est donc un film mineur de Michael Moore, peu subversif d’un point de vue européen et gentiment grinçant d’un point de vue américain. Survolant quantité de sujets, le réalisateur parvient à toucher juste sur certains, et à faire sourire ou amuser sur d’autres. Ceux qui attendent le regard affûté de Bowling for Columbine seront irrémédiablement déçus et les détracteurs s’en donneront à cœur joie, mais, si l’on considère ce film documentaire ouvertement mis en scène comme une fable politique légère présentant une utopie afin d’encourager un monde meilleur, le spectateur peut se laisser séduire, bien que le réalisateur s’adresse davantage, ici, à un public américain qu’aux spectateurs européens, qui pourront s’amuser de la représentation de leurs pays.