Caractéristiques
- Titre : Sweet Charity
- Réalisateur(s) : Bob Fosse
- Avec : Shirley MacLaine, John McMartin, Ricardo Montalban, Sammy Davis Jr., Chita Rivera, Paula Kelly...
- Editeur : Elephant Films
- Date de sortie Blu-Ray : 24 août 2016
- Date de sortie originale en salles : 3 septembre 1969 (France)
- Durée : 2h29
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- Note : 7/10 par 1 critique
Image : 4/5
Présenté en Blu-Ray pour la première fois en France, Sweet Charity bénéficie d’un rendu stable au niveau des couleurs et des contrastes, avec une définition plus que correcte. On notera simplement une légère absence de grain, un peu trop lissé par endroits, même si ce « lifting » demeure relativement discret sur un écran plat standard.
Son : 5/5
Le film est proposé en VO sous-titrée ou VF, toutes deux en stéréo 2.0. Si l’on préfère la VO pour la voix inimitable de Shirley MacLaine, la version française s’en tire bien et les deux pistes bénéficient d’un bon mixage, sans souffle, qui permet d’apprécier la musique et les chansons à leur juste valeur, chose primordiale pour une comédie musicale.
Bonus : 4/5
Après une présentation de l’oeuvre par le critique Xavier Leherpeur, qui revient sur son contexte de création et son aspect avant-gardiste, 3 ans avant Cabaret qui plaça définitivement Bob Fosse au panthéon des meilleurs réalisateurs de comédies musicales, Elephant Films nous propose la fin alternative, finalement rejetée par les studios, ainsi que deux intéressants making-of : l’un sur l’adaptation du spectacle de Broadway au cinéma, l’autre sur les costumes du film, présenté par la légendaire costumière Edith Head (Boulevard du crépuscule, Vertigo), qui oeuvra pour les studios des années 30 à sa mort au début des années 80 et explique ici son approche. Des suppléments relativement courts mais qui constituent un véritable plus, permettant de replacer le film dans le contexte de l’époque et d’en saisir la modernité.
Synopsis
La douce et rêveuse Charity Hope Valentine exerce la profession de « taxi-dancer » dans un dancing New-yorkais. Alors qu’elle va de mésaventures en mésaventures sentimentales, elle continue de rêver du grand amour, de l’homme qui la sortira de sa vie sordide. Un soir, elle rencontre Oscar, un timide agent d’assurances…
Le film
Sorti en 1969, en pleine révolution sexuelle, Sweet Charity marque les véritables débuts derrière la caméra de Bob Fosse, alors metteur en scène et chorégraphe de théâtre reconnu qui avait seulement réalisé un épisode de la série Startime dix ans auparavant. Échec cinglant lors de sa sortie en salles, le film, adaptation très libre des Nuits de Cabiria de Fellini (1957) et de la comédie musicale du même nom dirigée par Fosse sur les planches, fut réévalué par la suite, mais demeure bien moins connu que le reste de la filmographie du cinéaste, qui dirigea des classiques comme Cabaret (1972), Lenny (1974) et Que le spectacle commence (1979) par la suite. Shirley MacLaine, dans le rôle de l’entraîneuse Charity Hope Valentine, incarne un personnage qui n’est pas sans rappeler celui qu’elle tenait déjà dans Irma la douce de Billy Wilder (1960) ou celui de Holly Golightly de Diamants sur canapé (1961).
Mais, alors que l’excentrique demi-mondaine incarnée par Audrey Hepburn fréquentait le beau monde dans un cadre idyllique tandis que son activité de call-girl n’était que finement suggérée, le travail de Charity est montré sans aucun glamour, dans son aspect le plus ingrat. L’ouverture, sur le numéro musical « Big Spender », donne le ton : on y découvre la routine des collègues de la jeune femme (absente de la scène), des danseuses plus ou moins âgées, maquillées de manière outrancière, peu flattées par la lumière des néons, appâtant le chaland d’un enthousiasme forcé qui rend la scène aussi glauque que comique. Sweet Charity oscillera ainsi en permanence entre le rire et le grincement, ce qui donnera lieu à quelques scènes particulièrement fortes, comme cette remarquable entrée en matière.
Comme Holly Golightly également, Charity Hope Valentine possède une naïveté qui contraste avec son activité, mais, contrairement à ce personnage devenu mythique, sa manière très appuyée de s’auto-dévaluer en permanence peut s’avérer gênante pour le spectateur, ce qui explique sans doute en partie que le film de Bob Fosse n’ait pas autant marqué le cinéma américain des années 60 que celui de Blake Edwards, dont le ton était différent malgré certaines similitudes. Regardé de manière (très) superficielle, en excluant sa fin mélancolique, Sweet Charity pourrait facilement être réduit à une histoire stéréotypée où une femme, non contente d’être exploitée par des hommes dans sa « profession », se dénigre tellement qu’elle fait entièrement reposer son équilibre personnel sur la quête d’un homme qui soit capable de l’aimer, même si elle ne cesse de tomber sur des salauds, trop heureux d’avoir trouvé une bonne poire, ou trop effrayés par sa condition sociale pour aller au bout de leur engagement.
Cependant, même si les dialogues en rajoutent en effet un peu trop dans l’auto-dénigrement du personnage, qui va jusqu’à se placer en position d’infériorité de manière ô combien gênante face à un acteur qui s’intéresse à elle, le film ne pose à aucun moment de regard condescendant sur Charity, qui ne s’apitoie jamais très longtemps sur son sort grâce à une foi en l’amour chevillée au corps. Là où la prostituée du film de Fellini apparaissait comme un peu bébête, l’optimisme de l’héroïne de Bob Fosse est considéré avec respect et lui donne une certaine pureté qui contraste fortement avec le cynisme des uns et la lâcheté des autres. Shirley MacLaine apporte également au personnage un mélange de panache, d’auto-dérision et de mélancolie qui lui donne épaisseur et nuance. La formidable gamme d’émotions qui traversent le visage de l’actrice lors d’un superbe plan de la scène finale, lorsque des flower children lui tendent des marguerites, fait définitivement partie des meilleurs moments de sa carrière et émeut au-delà des mots.
Sweet Charity aurait pu être un simple mélodrame outrageusement pathétique, mais Bob Fosse, malgré les quelques petites lourdeurs du script, se refuse à ce premier degré et s’intéresse bien davantage aux doutes du personnage, dont la vulnérabilité assumée n’est jamais vue comme une faiblesse, et qui, fidèle à la philosophie américaine, continue d’avancer coûte que coûte. Tomber sept fois, se relever huit, dit le proverbe chinois, que Charity, mais aussi la culture américaine, pourraient reprendre à leur compte, puisque celle-ci est portée par l’idée que la volonté est plus importante que ses origines sociales pour atteindre son but. L’Amérique, rappelons-le, a tout de même été bâtie en partie par des putes, des bagnards et des émigrés persécutés, tous ces indésirables déportés contre leur gré car ils n’avaient rien à perdre et qui ont participé de leurs mains à l’expansion des colonies, dans des conditions hostiles et loin de chez eux. Ces fondements du Rêve Américain, la littérature et le cinéma ne les ont jamais oubliés : leur imaginaire est peuplé de ces personnages de losers magnifiques qui n’abandonnent jamais, même au fond du trou. Bob Fosse a de toute évidence beaucoup de tendresse pour Charity, et cela se ressent dans son film, qui ne méprise par ailleurs jamais les entraîneuses au teint blafard qu’elle côtoie.
Et, bien évidemment, il y a la mise en scène du cinéaste, d’une modernité étourdissante, qui met en valeur les chorégraphies conçues par cet ancien danseur avec un sens du rythme et de l’image tout à fait étonnants pour un réalisateur débutant issu du monde du théâtre — même si, précisons-le, Bob Fosse était déjà apparu en tant que danseur devant les caméras d’Hollywood dans les années 50. Insérés de manière fluide au sein du récit, en évitant toute juxtaposition superficielle avec les scènes dialoguées, mais en s’autorisant quelques enchaînements audacieux, les numéros musicaux démontrent une véritable maîtrise de l’outil cinématographique, tant au niveau du cadre que du découpage.
Si le réalisateur ne renie jamais ses origines et apporte même une touche volontairement théâtrale aux scènes chorégraphiées, notamment au niveau de l’éclairage, Sweet Charity est un pur film de cinéma, une comédie musicale dans toute sa splendeur, dont la modernité de la mise en scène compense largement des chansons peu mémorables, à quelques exceptions près, et de réelles longueurs. Il faut voir, outre l’ouverture du film, le numéro au Club Pompéii (« Rich Man’s Frug »), sorte de pastiche débridé de revue musicale, pour comprendre la dimension avant-gardiste de la réalisation de Fosse, qui compose ici sa séquence à la manière d’un tableau en mouvement. S’il a beaucoup été question, à travers ces lignes, des numéros musicaux, les séquences parlées, d’apparence plus classiques, ne déméritent pas pour autant et le réalisateur se révèle un excellent directeur d’acteurs, tirant le meilleur de la pétillante Shirley MacLaine et des nombreux personnages secondaires marquants.
Autant de raisons qui justifient de redécouvrir aujourd’hui ce film trop souvent négligé parmi les comédies musicales des années 60, peut-être en raison de sa mélancolie et de son apparente contradiction avec le climat de l’époque. En effet, si Diamants sur canapé annonçait en 1961 la révolution sexuelle à venir en montrant une héroïne indépendante, sexuellement libre, qui quitte promptement le lit de son amant après une nuit d’amour, tout en offrant une fin sentimentalement satisfaisante, Sweet Charity offre un contraste saisissant avec l’atmosphère de libération sexuelle qui régnait en 1969, puisqu’il montre une femme qui travaille comme entraîneuse par nécessité et non par choix. La liberté pour elle consistera alors à s’affranchir de cette exploitation consentie mais pas assumée, tout en regagnant une certaine estime d’elle-même. La conclusion douce-amère fait alors dévier le film de la trajectoire plus conventionnelle qu’il aurait pu emprunter, lui donnant une portée émotionnelle d’autant plus forte.