Caractéristiques
- Titre : Le Roi de Coeur
- Réalisateur(s) : Philippe de Broca
- Avec : Alan Bates, Pierre Brasseur, Geneviève Bujold, Micheline Presle, Jean-Claude Brialy, Michel Serrault, Françoise Christophe, Adolfo Celi, Julien Guiomar…
- Editeur : L'Atelier d'images
- Date de sortie Blu-Ray : 24 Janvier 2017
- Date de sortie originale en salles : 21 décembre 1966
- Durée : 98 minutes
- Note : 8/10 par 1 critique
Image : 4/5
Ne le cachons pas : cette restauration et remasterisation en 4K, réalisée avec le concours du CNC, n’est pas irréprochable à 100%. En raison d’une pellicule endommagée à certains endroits, on pourra constater un peu de « neige » sur certaines séquences surexposées, relativement peu nombreuses cependant. En dehors de cela, rien à redire : les couleurs très vives de cette comédie fantasque (en Technicolor) retrouvent de leur superbe, avec de beaux contrastes et des noirs satisfaisants. La définition a été poussée à son maximum, pour un résultat immersif qui permet d’apprécier pleinement le film. Du très bon travail, donc.
Son : 4/5
Le film est proposée en version française, avec la possibilité de le découvrir en Audiovision pour les personnes malvoyantes. La piste audio, qui a également été restaurée, est d’une belle clarté et rend donc justice au travail vocal des comédiens, mais aussi à la musique de Georges Delerue. L’équilibre entre dialogues, musique et bruits ambiants est très bon. Quelques brèves saturations par moments, mais rien de bien gênant.
Bonus : 3,5/5
Le cinéphile trouvera 4 suppléments relativement courts mais éclairants afin de replacer le film dans son contexte de production et de sortie. Parmi eux, l’entretien exclusif de 10 minutes avec le directeur de la photographie Pierre Lhomme, et celui de 9mn avec son épouse Michelle de Broca sont les plus intéressants et les plus complets. Le manque de compréhension autour du film à sa sortie est notamment longuement évoqué.
Enfin, pour compléter ces bonus réalisés à l’occasion de la ressortie du film, on trouvera deux vidéos issues des archives de l’INA : l’une, de 6 minutes, donne la parole aux comédiens sur le tournage, l’autre, de 4 minutes, au réalisateur lui-même. A noter également la présence de la (longue) bande-annonce originale, elle aussi restaurée.
Synopsis
Fin 1918, les Allemands abandonnent Marville après l’avoir piégée en y cachant une bombe. Un soldat britannique, Charles Plumpick, est chargé de localiser la machine infernale et de la désamorcer. Il découvre une cité désertée par ses habitants, à l’exception des pensionnaires de l’asile de fous. Ceux-ci l’accueillent à bras ouvert, il devient alors leur « roi de coeur». Plumpick se laisse séduire par ses nouveaux compagnons, qui ont pour noms Général Géranium, Duc de Trèfle ou Monsieur Marcel, mais n’en oublie pas sa mission pour autant…
Le film
Sorti en 1966 quelques années après les succès de Cartouche, L’homme de Rio et Les tribulations d’un Chinois en Chine qui devinrent des classiques du cinéma populaire français, Le Roi de Coeur de Philippe de Broca fut un échec cinglant, boudé par le public et éreinté par la critique. Le cinéaste, qui avait mis beaucoup de lui dans cette comédie fantasque et moins absurde qu’il n’y paraît, en fut blessé, d’autant plus qu’il avait lancé sa société de production, Fildebroc, tout spécialement pour ce film. Seule consolation pour lui à l’époque : les étudiants américains, alors en pleine contestation de la guerre du Vietnam, seront touchés par cette ode pacifiste et lui réserverons un bel accueil ; le film finira d’ailleurs par être étudié comme l’une des références de cette période sombre.
Il est donc intéressant de redécouvrir et réévaluer le film aujourd’hui, alors qu’il est ressorti la semaine dernière en salles (pour obtenir la liste des cinémas où il est diffusé, cliquez ici) et vient d’être édité en DVD et Blu-Ray remasterisé chez L’Atelier d’images. A la vision de cette comédie désenchantée, un constat s’impose : on y retrouve le charme des films de Philippe de Broca, mais transposé au sein d’une oeuvre intimiste mêlant diverses influences, de La grande vadrouille pour l’ouverture, à un humour typiquement anglais pour les séquences mettant en scène l’armée écossaise, évoquant les Monty Pythons avant l’heure. Pour évoquer la fin de la Première Guerre Mondiale et sa folie, le cinéaste fait le choix de la fable fantaisiste, où un soldat britannique rejoint une communauté d’aliénés qui ont la folie joyeuse et drôlement communicative. On comprend assez vite ce qui, dans ce postulat, a pu gêner les critiques de l’époque : la « folie » y est vue de manière simpliste et assez plaisante, tandis que les séquences drôles et surréalistes mettant en scène ces personnages excentriques éclipsent très vite l’intrigue principale du film, qui devait se concentrer sur la manière dont le soldat Plumpick (Alan Bates) va parvenir à empêcher la bombe d’exploser et de tuer ces gentils fous.
Sauf que… la communauté du Roi de Coeur n’est pas tant composée de fous que d’originaux ayant préféré un exil volontaire à la barbarie du monde les entourant. D’où la séquence où le personnage du « curé »(Julien Guiomar) monte au sommet du clocher en compagnie du coiffeur Monsieur Marcel (Michel Serrault) et déclare d’un ton légèrement mélancolique : « J’ai vite compris que pour aimer le monde, il fallait s’en éloigner ». Assimilés à une troupe de cirque ambulant (la funambule, le chimpanzé, l’éléphanteau…), ce petit monde n’ignore pas forcément complètement ce qui se trame « de l’autre côté » puisqu’ils seront les premiers à tenter d’avertir Pumplick du danger qui le guette lorsque celui-ci cherchera à repartir. Le film de Philippe de Broca prend alors une tonalité douce-amère qui rend sa poésie surannée infiniment touchante. Le contexte de la guerre n’a pas d’importance (d’ailleurs, au départ, il devait s’agir de la Seconde Guerre Mondiale et non de la Première), seule compte l’absurdité de ce chaos ambiant, face auquel un esprit lucide pourrait faire voeu de perdre la raison afin de ne pas perdre espoir. Cette désillusion est ainsi exprimée, de manière faussement désinvolte, au détour d’une scène où la petite communauté, perchée au sommet d’une demeure face à la place du village, observe, interloquée, soldats allemands et britanniques se massacrer comme s’ils assistaient là à une pièce de théâtre particulièrement poussive.
Contre cette tyrannie de la violence, Philippe de Broca propose à son soldat désabusé la douceur d’un cocon où chacun peut être ce qu’il souhaite et faire tout ce dont il a envie (en cela, le film a en effet dû parler aux flower children de la révolution sexuelle), mais aussi une histoire d’amour avec la jeune et naïve Coquelicot (Geneviève Bujold dans l’un de ses premiers rôles, bien loin de l’univers de De Palma et Cronenberg), qui lui permettra de savourer l’instant présent. Dans la grâce d’instants suspendus, ce couple étrange et leur romance innocente apporte une poésie charmante au Roi de Coeur, qui achève de nous toucher par une mélancolie qui, si elle sait se faire discrète, est bel et bien présente jusque dans la dernière réplique de Jean-Claude Brialy. Un film mésestimé donc, à redécouvrir de toute urgence…
Le Roi de Coeur édition Royale, Blu-Ray, L’Atelier d’images, sortie le 24 janvier 2017. 19,99€.