Une pièce sur le deuil sensible et vivante
Parler de deuil au théâtre avec justesse et sans pesanteur, à travers un monologue d’1h15 n’a rien d’évident sur le papier. C’est aussi faire le pari que les spectateurs ne se laisseront pas effrayer par un sujet grave et sensible, alors qu’on a souvent tendance à supposer que ceux-ci préfèrent assister à des divertissements légers leur permettant de se changer les idées après une longue journée ou semaine de travail. Ainsi, ce n’est sans doute pas tout à fait un hasard si le tract du spectacle met en avant l’accroche suivante : « Un seule en scène décapant, drôle et bouleversant sur le deuil ».
Cependant, en ressortant de la première du spectacle Le cri de anges, écrit et interprété par Amélie Cornu, il est évident que la comédienne et le metteur en scène Jean Barlerin ont réussi ce pari difficile haut la main. La pièce de la compagnie Licorne de Brume, qui se joue au Théâtre de l’Essaïon dans le 4e arrondissement parisien jusqu’au 18 juin 2017, possède cette qualité rare que l’on recherche tant lorsque nous nous rendons au théâtre : celle de voir un spectacle véritablement vivant, incarné, où texte, interprétation, mise en scène et musique sont à l’unisson pour créer un ensemble organique, nous emportant d’un bout à l’autre sans jamais forcer l’émotion.
Un spectacle où chacun pourra se reconnaître
Amélie Cornu, dont il s’agit ici de la deuxième pièce en tant qu’auteure et interprète après Tri(s) Sélectif(s) en 2011, porte le spectacle sur ses épaules et fait de son personnage un être lumineux, solaire, habité par un puissant instinct de vie malgré la gravité de sa situation et les émotions extrêmes qu’elle traverse. L’histoire est donc celle d’Ally, jeune femme équilibrée à qui tout semble sourire jusqu’au jour où son compagnon, Hugo, se retrouve plongé dans un coma végétatif suite à un terrible accident, autrement dit, en état de mort cérébrale. Le choc, le déni, l’espoir, le découragement, la colère… Ally va traverser toutes ces phases afin de réussir à faire son deuil, deuil d’autant plus difficile qu’Hugo, bien qu’inconscient, ne soit pas mort. Le médecin qui lui annonce la terrible nouvelle a beau lui expliquer que les chances de réveil sont de l’ordre de 10%, elle s’accroche à cet infime espoir de guérison, guettant la moindre réaction, le moindre signe de vie de ce corps inanimé, toujours plus méconnaissable de jour en jour, mettant ainsi son existence en suspens, jusqu’à ce que la vie, peu à peu, reprenne ses droits avec une force irrépressible…
Tour à tour simple, direct ou davantage poétique, ciselé, le texte d’Amélie Cornu s’exprime sur l’amour et la mort avec force et nuance, permettant à chacun d’y accoler son propre vécu, que notre expérience soit aussi tragique que celle d’Ally ou non. Il n’est en effet guère besoin d’avoir côtoyé la mort d’aussi près pour s’identifier au personnage et ce qu’elle exprime à travers ce long monologue intérieur : nous vivons tous avec cette peur viscérale de perdre l’être aimé, que cette séparation soit due à la mort ou à une rupture. Si, dans ce second cas, la situation n’est pas la même d’un point de vue « technique » puisque l’autre continue sa vie, il s’agit également, là encore, de faire le « deuil de quelqu’un de vivant » tout en conservant les aspects positifs de l’histoire vécue, afin d’entamer un nouveau chapitre. Comme le souligne la comédienne dans le dossier de presse du spectacle, il y a « différentes formes de deuil », et cet aspect protéiforme, qu’elle a souhaité représenter au sein du spectacle, donne à ce Cri des anges une belle force d’évocation.
Une pulsion de vie irrésistible
La mise en scène, simple et épurée (juste une chaise sur scène avec la comédienne, des éclairages et déplacements sur scène utilisés de manière pertinente) renforce la proximité émotionnelle avec le personnage, au-delà de la proximité spatiale avec la comédienne au sein de cette toute petite salle, où elle se tient à seulement quelques mètres de nous et peut ainsi discerner clairement les visages des spectateurs. Et puis, comme le souligne l’accroche, il y a cet humour très présent, par lequel la vie entre de tous les côtés, tirant l’héroïne de sa souffrance et sa solitude. Un humour en forme d’exutoire donc, qui ne s’embarrasse pas des convenances et donne lieu à quelques scènes très drôles, notamment lorsque Ally décide de s’enivrer au cours d’une soirée où elle ne se sent pas à sa place. Mais, et là réside l’un des atouts majeurs de la pièce, le rire peut céder aux larmes avec une facilité déconcertante, que ce soit lorsque la jeune femme laisse enfin sortir ce qu’elle ressent face à ses amis stupéfaits ou à la toute fin, mélange d’émotion brute et d’ode à la vie alors même que celle-ci s’éclipse à pas de velours de l’être aimé.
Le thème de l’euthanasie a beaucoup été mis en avant dans la communication autour de la pièce et celui-ci est bel et bien présent, notamment lors de la dernière partie du spectacle, cependant, il ne s’agit pas à proprement parler du thème principal. Le terme n’est ainsi jamais prononcé, ce qui permet à Amélie Cornu de jouer aussi bien sur les dimensions pragmatiques et symboliques de la mort et du deuil. Les personnes ayant été confrontées à cette situation difficile de débrancher ou non un proche plongé dans le coma pourront s’y retrouver, mais Le cri des anges ne propose pas de « cours magistral » sur le sujet, en dépit de nombreux détails très réalistes qui ressortent tout au long de la pièce. Le spectacle s’attache avant tout à suivre le parcours d’Ally, son cheminement intérieur vers la lumière alors qu’elle pensait que tout était irrémédiablement brisé en elle.
Cette résilience, essentielle, apparaît peu à peu et s’exprime par cette pulsion de vie, parfois compulsive, et de plus en plus viscérale, qui surgit chez le personnage, cette faim inassouvie et inextinguible qui la poussent à sortir d’elle-même, à chercher le mouvement de la vie là où, dans cette chambre d’hôpital à la froideur toute clinique, tout est désespérément figé. Tout ressentir intensément, ne surtout pas rester dans l’engourdissement de l’apathie, avancer, reculer, pour finalement parvenir à se relever, avoir enfin de nouveau tout l’avenir devant soi…
Le cri des anges est un spectacle intense, bouleversant, un cri du coeur où l’émotion n’est jamais forcée, le spectateur jamais « pris en otage » face à des confessions douloureuses, mais au contraire en osmose parfaite avec le personnage, avec lequel il rit et pleure, parfois à chaudes larmes, comme on a pu le constater dans la salle ce soir-là. Mais, même lorsque l’émotion prend le dessus, celle-ci n’est jamais « plombante » et se révèle plutôt libératrice. Plutôt qu’un spectacle sur la mort ou la « fin de vie », la pièce d’Amélie Cornu et Jean Barlerin est donc en premier lieu une ode à la vie et une célébration de l’amour, tout aussi douloureux soit-il.
Le cri des anges, un spectacle écrit et interprété par Amélie Cornu, mis en scène par Jean Barlerin, musique de Nicolas Dessenne. Représentations du 8 mars au 18 juin 2017 tous les mercredis à 19h45 au Théâtre de l’Essaïon, 6 rue Pierre au lard, 75004 Paris. Tarif plein : 20€. Tarif réduit : 15€. Réservations en ligne sur le site du Théâtre de l’Essaïon, ou sur Billetreduc.