Caractéristiques
- Titre : Chacun sa vie
- Réalisateur(s) : Claude Lelouch
- Avec : Jean Dujardin, Eric Dupond-Moretti, Johnny Halliday, Christophe Lambert, Béatrice Dalle, Ramzy Bedia, Jean-Marie Bigard, Francis Huster, Gérard Darmon, Liane Foly...
- Distributeur : Metropolitan Filmexport
- Genre : Comédie
- Pays : France
- Durée : 113 minutes
- Date de sortie : 15 Mars 2017
- Note du critique : 6/10 par 1 critique
Claude Lelouch et le film choral : troisième ! Après Les uns les autres et La belle histoire, le réalisateur d’Un homme et une femme (Palme d’Or 1966) revient à cette figure de style pour le moins casse-gueule. Beaucoup s’y sont essayés et peu auront réussis à exploiter la substantifique moelle qui découle de ce genre à part entière, tant il provoque un emballement scénaristique pas toujours heureux. Avec son casting imposant et son tournage ramassé (un mois seulement), Chacun sa vie tente de relever le défi, et cette volonté est au moins partiellement couronnée de succès.
Résumer Chacun sa vie est une véritable épreuve, tant le film multiplie les scénettes qui, au final, forment un grand ensemble cohérent et pertinent. L’œuvre s’ouvre sur un monologue du président (interprété par Eric Dupond-Moretti), qui invite tout autant les jurés que les spectateurs au centre du débat : il va falloir juger l’auteur présumé un délit très grave. Seulement, bien vite on se rend compte que Chacun sa vie n’est absolument pas une enquête sur la personne incriminée, mais sur la personnalité des femmes et des hommes qui vont devoir rendre leur verdict.
Chacun sa vie est un film généreux, c’est le moins que l’on puisse écrire. Claude Lelouch le répète souvent : il est un cinéaste du chaos, qui croit en l’ordre qui, paradoxalement peut régner en son sein. L’histoire du cinéma est assez vaste pour prouver que le metteur en scène ne se trompe pas et emprunte effectivement un cheminement usité, on peut citer Tsui Hark (The Blade, Il était une fois en Chine) ou Wong Kar-Wai, réalisateurs Hong-kongais dont la particularité est de travailler en permanence dans une ambiance apparemment foutraque, mais véritablement sensée une fois la magie du montage intervenue. Chacun sa vie a été tourné notamment afin de démontrer à treize étudiants des Ateliers du cinéma (créés par Claude Lelouch, ceci explique cela) toute les possibilités offertes par la narration cinématographique. On peut imaginer que le tournage fut parfois mené en dépit de tout ordre, en tout cas c’est ce qu’on ressent, à quelques occasions, devant le résultat à l’écran.
Et du chaos naît l’ordre
Chacun sa vie enchaîne les séquences sans que le fil rouge ne soit tout le temps rappelé. C’est un choix courageux, et même judicieux : le spectateur perd pied et se retrouve au centre d’un ouragan de sentiments, un fatras de thématiques apparemment assez éloignées les unes des autres qui visent à atteindre un but ultime : démontrer la pertinence du titre de l’œuvre. L’alcoolisme et ses ravages pour l’entourage proche, l’adultère, les joies et les peines de la starification, les valeurs parfois défaillantes d’une police finalement très humaine, on passe d’un sujet à l’autre sans autre transition que des idées purement formelles. Certains sont plus insistants que d’autres, on pense évidemment au questionnement sur le bien fondé du jugement, une vision certes assez simple d’un souci à grande échelle mais qui a le mérite de soulever la question. Autre thème très présent, celui de l’importance des bonnes nouvelles dans le quotidien des gens, plus particulièrement chez les patients d’un hôpital.
Chacun sa vie n’est cependant pas un feel good movie, c’est un film beaucoup plus subtil qui refuse de tout ramener au bonheur systématique. Les différents personnages vivent parfois des crises, ou des moments heureux : il ne sont ni plus ni moins que des êtres humains dans toute l’étendue de ce qu’ils peuvent éprouver. Pour bien l’imprimer à l’écran, Claude Lelouch a fait appel à un casting tout simplement impressionnant : de Jean Dujardin (Le loup de Wall Street) à Béatrice Dalle, en passant par un Johnny Halliday convaincant, on savoure chaque rencontre. Mais le plus impressionnant est sans doute Eric Dupond-Moretti, qui porte sur ses épaules une prestation importante, et même difficile. On croise des stars en même temps que des destins, et si l’impression d’empilement peut se faire ressentir lors de certaines sous-intrigues pas très utiles (on pense à Michel Leeb et Ramzy Bedia, tous deux tout de même convaincants) la globalité reste digeste.
Chacun sa vie pourra peut-être faire ricaner sur certains choix de représentation de l’époque. Si Claude Lelouch est toujours un conteur intéressant, il a peut-être un peu plus de mal à cerner son époque. On savourera, dès lors, les quelques décalages qui se font ressentir sans que l’œuvre n’en soit nécessairement consciente, on pense notamment à cette mise en avant d’une Liane Foly certes ravissante mais plus vraiment à l’ordre du jour. Chacun sa vie est un film généreux, on ne le répétera jamais assez, on y trouve même un passage chanté un peu sorti de nulle part, pas vraiment en accord avec le reste du métrage mais se justifiant justement par cette forme de chaos qui règne sur l’œuvre. Peut-être un peu trop long, mais jamais assommant, ce nouvel effort de Claude Lelouch prouve, encore une fois, que le cinéaste n’accouche jamais d’un bébé à la forme et au fond attendus. Et c’est tant mieux.