Caractéristiques
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Test effectué sur :
- Nintendo Switch
- Xbox One
- PC
- Développeur : Phobia Game Studio
- Editeur : Devolver Digital
- Date de sortie : 23 juillet 2020
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- Note : 7/10 par 1 critique
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Carrion va au bout de sa bonne idée
On l’a vu assez récemment, à l’occasion de notre test de Dungeons 3 Complete Collection : les créateurs depuis un moment compris qu’il fallait parfois changer de point de vue afin de presque entièrement renouveler une expérience. Si, au fond, un jeu de gestion reste un jeu de gestion, même quand on incarne de Diable lui-même, et l’exemple peut se prolonger avec le jeu d’action pour Splatterhouse, reste que l’ambiance change évidemment radicalement. Et c’est une bonne chose, cela démontre que le jeu vidéo est bel et bien ce genre d’art qui joue avec la perspective, tout comme le cinéma ou la littérature. Pour ce test, nous abordons une nouvelle itération de ce mouvement mettant en scène le vilain de l’histoire : Carrion. Un titre que nous attendions depuis son annonce par le fringant éditeur Devolver Digital, tant son univers nous parle.
Dans Carrion, l’histoire n’est pas à sous-estimer. Si elle se raconte par le biais d’une narration plutôt minimaliste, elle n’est absolument pas futile pour autant. Le joueur incarne… une expérience qui a mal tourné. Habilement, le jeu nous propose de prendre les commandes de l’abomination indicible dès sa venue au monde. On brise notre petit enclos, l’on se déverse à même le sol. Et là, stupéfaction : l’avatar est clairement répugnant. Les développeurs de Phobia Game Studio ont été au bout de la démarche, contrairement à d’autres expérience qui nous font incarner un méchant pas trop vilain. Là, on est dans une sorte d’hommage au Blob et à l’imagerie lovecrafienne, hideusement sanguinolente, pleine de tentacules, de dents et de chairs viciées. Miam miam, et en plus le tout sous-titré en français.
Suite à cette naissance qui n’a rien d’un heureux événement, Carrion va ensuite finement jouer le coup d’une narration éclatée. Si l’on passe le plus clair de notre temps à faire régner une délicieuse terreur, on aura aussi droit à des phases plus calmes, où l’on incarne un scientifique dont la mission est de faire la lumière sur la catastrophe. Voilà qui est bien exécuté : on ne ressent jamais la moindre impression d’être ralenti par un récit intrusif. Aussi, on ne peut que noter le très évident amour de Phobia Game Studio pour ce qu’on appelle « le genre ». On sent des références solides, de lecteurs, joueurs et cinéphiles. Cela se remarque évidemment dans la direction artistique anxiogène, mais aussi dans le level design, qui nous donne constamment l’impression d’évoluer dans un univers à la Alien.
Ambiance soigné et gameplay en partie intelligent
On incarne donc une sorte de Yog-Sothot, et il fallait que cela se ressente dans le gameplay. Là encore, c’est réussit, mêm si tout n’est pas totalement abouti. Carrion peut très bien se définir comme un Metroidvania : axe en 2D, et une dose de backtracking liée à l’obtention de nouvelles capacités. Tout autour, Phobia Game Studio a brodé de quoi véritablement se sentir méchant. La bêbête repoussante se déplace avec une agilité incroyable. Elle se faufile dans le moindre recoin, son corps gluant et malléable permettant les plus improbables des cascades. On virevolte avec un vrai plaisir, un très bon feeling au stick analogique. Qui dit monstre dit attaques, et là aussi c’est bonnard. On peut se servir d’un tentacule pour agripper des éléments du décor, histoire de se frayer un chemin ou d’activer un levier. Et, bien sûr, afin de faire bien du mal aux bipèdes qui nous font face. Là, c’est un chouïa plus compliqué dans les sensations : comme il faut activer le mouvement avec une gâchette après avoir visé, on a parfois tendance à tapoter un peu n’importe comment, alors que certaines situations demandent de la précision, et de la rapidité d’exécution. Dommage, même si le joueur gagne évidemment en maitrise au fil du temps.
Carrion met le paquet sur les pouvoirs terrorisants de sa créature : on lance une sorte de toile pour emprisonner la cible (ou atteindre un élément hors de portée), on se protège de pics vicieusement affûtés, on devient invisible etc. Car l’adversité humaine n’est pas non plus de l’ordre de l’expiatoire. Si certains scientifiques sont clairement là pour nous rassasier, d’autres opposent une résistance lourdement armée, et leurs dégâts peuvent vite vous réduire à néant. On apprendra donc à ne pas se jeter bêtement dans les combats, il faut d’abord s’assurer d’afficher une masse corporelle bien renforcée. Ce qui n’est possible qu’en dévorant goulument les cadavres démembrés, ou en se rechargeant aux diverses points de sauvegarde. Tout cela fonctionne bien, malheureusement on se doit d’émettre deux réserves. Tout d’abord, l’absence d’une carte est certes justifiée par notre condition de monstre, mais elle se ressent grandement dès que le level design se fait labyrinthique. Ainsi, on peut parfois tourner en rond, très et trop longtemps. Ensuite, on regrette que le cheminement soit lié à une répétition du même schéma : prendre le contrôle d’un endroit en y laissant de la masse afin d’ouvrir l’un des verrous d’une porte à ouvrir. Il y avait tellement plus diversifié à proposer…
Carrion reste un plaisir à jouer, et ce pendant tout le long des cinq heures nécessaires pour en voir la fin. Oui, c’est peu, mais amplement suffisant. Plus fâcheux : la rejouabilité est aux abonnées absentes, c’est bien dommage. Côté technique, le soft est un régal : fluide, sans la moindre trace d’un quelconque bug. La direction artistique, comme nous l’écrivions plus haut, est aussi très satisfaisante dans son rendu horrifique. Par contre, on relève que les environnements se renouvellent si peu. Espérons une suite, histoire peut-être d’ouvrir les perspectives à des décors de la vie de tous les jours, plus citadins… Quant à l’ambiance sonore, elle est là encore l’un des gros points forts du titre. Ce n’est pas une surprise, puisque le compositeur n’est autre que l’excellent Cris Velasco, connu notamment pour ses énormes travaux sur Bloodborne ou Resident Evil 7. Il évite habilement le trip chiptune et distille des plages bien glauques et inquiétantes, sombres au possible, lesquelles jouent un grand rôle dans les bonnes sensations laissées par ce jeu, tout comme les cris désespérées des victimes de notre avatar glouton.
Note : 15/20
Carrion est l’une des belles sorties de cet été 2020, l’un des jeux qui se doit de retenir votre attention. Si vous désirez sortir des grosses productions à budget exponentiel, histoire de découvrir un univers horrifique parmi les plus soignés que l’on ait vu depuis un moment, alors ce jeu est fait pour vous. Il faudra tout de même accepter la courte durée de vie (cinq heures pour en voir la fin), et quelques regrets comme une absence de carte remarquée. Mais rien qui doive faire oublier cette ambiance glauque, ce respect indéniable des développeurs pour l’épouvante, ces sensations grisantes dans le contrôle de l’avatar. Voilà l’une des meilleures expériences du genre « incarnez l’antagoniste », l’une des plus jusqu’au-boutistes à ce jour.