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[Critique] Compétition officielle : Obsessions et vanités du 7ème art

Caractéristiques

  • Titre : Compétition officielle
  • Titre original : Competencia oficial
  • Réalisateur(s) : Gastón Duprat & Mariano Cohn
  • Scénariste(s) : Gastón Duprat, Andrés Duprat & Mariano Cohn
  • Avec : Penelope Cruz, Antonio Banderas, Oscar Martínez...
  • Distributeur : Wild Bunch
  • Genre : Comédie, Satire
  • Pays : Espagne, Argentine
  • Durée : 1h54
  • Date de sortie : 1er juin 2022
  • Acheter ou réserver des places : Cliquez ici
  • Note du critique : 8/10

Le miroir aux vanités

Présenté en compétition officielle au 75ème Festival de Cannes, le bien-nommé Compétition officielle des réalisateurs argentins Gaston Duprat et Mariano Cohn (L’homme d’à côté, Citoyen d’honneur...) est l’une des plus belles surprises de 2022 (jusque-là), porté par un trio d’acteurs prestigieux (Penelope Cruz, Antonio Banderas et Oscar Martinez) et qui vient prouver encore une fois la vitalité du cinéma espagnol et argentin, qui savent se faire audacieux et grinçants.

Le film raconte la création d’un film d’auteur destiné à rafler tous les prix, de l’idée de financement par un riche et orgueilleux industriel bien décidé à laisser sa marque sur l’humanité en permettant à une œuvre d’art d’exister jusqu’à sa présentation cannoise devant un parterre de journalistes. Contrairement à La Nuit Américaine de François Truffaut, le film ne montrera jamais le tournage (on vous laisse découvrir pourquoi), mais se concentre sur les répétitions au sein de la fondation de l’investisseur. La réalisatrice multi-primée Lola Cuevas et ses deux stars (un comédien et metteur en scène de théâtre qui méprise les œuvres populaires et une star de cinéma internationale arrogante qui ne croit pas à la Méthode) ont quelques semaines pour se plonger dans l’univers du film et retirer la substantifique moelle des personnages principaux, deux frères rivaux jalousant secrètement l’autre. Une rivalité qui va bien entendu faire écho aux propres egos des deux acteurs qui vont se lancer dans une véritable compétition, tandis que l’excentrique cinéaste se dépêtre entre ses propres prétentions et la vision viscérale qui l’habite et la pousse à toutes les manipulations pour parvenir à ses fins…

penelope cruz dans le rôle de lola cuevas dans le film compétition officielle

Entre satire et réflexion sincère et irrévérencieuse sur la création

Satire sur le milieu du cinéma d’auteur/arty en particulier et du cinéma en général avec ses excentricités en toc, ses mondanités et ses vaines illusions, Compétition officielle est dans le même temps une réflexion, certes décalée et souvent déjantée, mais finalement sincère et plus subtile qu’il n’y paraît sur l’art et la création cinématographique. La presse a beaucoup relevé, lors de la présentation du film à Cannes, la critique virulente du milieu et du star-system à travers les exemples de l’intrigue les plus poussés, tirant parfois vers la caricature, mais sans toujours relever ce que le film avait d’authentique dans son approche. Compétition officielle dit en effet, au-delà des excès de ses personnages, la passion et, plus que ça, l’obsession nécessaires pour créer un bon film, un film qui vient autant du cœur que des tripes, quand bien même celui-ci aurait été financé par la mégalomanie d’un riche homme d’affaires ne pensant qu’aux honneurs et n’ayant cure ni du cinéma, ni du prix Nobel dont il a acheté les droits et commandé l’adaptation.

Le film montre en effet beaucoup les batailles d’égo qui se livrent sur un tournage comme dans le cadre de mondanités, mais n’en met pas moins en évidence le fait que, sur un plateau, on a affaire à de l’humain et à des personnalités entières (même dans ce qu’elles peuvent avoir de plus ridicule), qui sauraient difficilement être policées dans les conditions de création qu’exige une œuvre. Le film pousse bien évidemment les choses (très) loin, mais il y a malgré tout là quelque chose juste, et de véritablement provocant dans le contexte actuel où, après #MeToo par exemple, Netflix avait imposé des règles de sécurité anti-harcèlement sur ses plateaux frôlant le ridicule, comme ne pas se regarder dans les yeux plus de 7 secondes. Sur le tournage de Lola Cuevas, on est bien loin des règles de la bienséance, tant du point de vue physique que psychologique, le personnage de la réalisatrice – lesbienne, ce qui aide peut-être à mieux faire accepter son personnage, qui aurait pu davantage choquer s’il s’était agi d’un homme – obsédée par son œuvre, n’hésitant pas à malmener ses deux acteurs principaux par des subterfuges aussi extrêmes que géniaux pour les mener exactement là où elle le souhaite, ce qui donne lieu à des situations délicieusement cocasses.

Ainsi, lorsqu’à la fin du film, lors de la conférence de presse cannoise, une journaliste pose la question à la réalisatrice sur sa critique du patriarcat au sein de son œuvre, le fait que Lola la rabroue en lui disant que son positionnement importe peu et que l’on devrait considérer l’art comme quelque chose en soi plutôt que sous un angle idéologique, il apparaît assez évident que les réalisateurs adressent là un petit taquet aux travers de notre époque, où l’on exige des artistes que leurs prises de position soient claires et sans ambiguïté… Alors même que l’art, et le cinéma plus particulièrement, repose beaucoup sur le trouble et la projection de nos propres craintes et désirs. Comment la création peut-elle rester libre si l’on tente de la contraindre ainsi par tous les moyens, si la communication ou la justification du propos prend le pas sur l’histoire et la vision artistique ?

Une ode grinçante au cinéma portée par un casting de haut vol

Au-delà de cette dimension, Compétition officielle est une œuvre à la fois drôle, brillante et troublante. A travers une réalisation élégante appuyant la mise en abyme de manière assez transparente mais judicieuse – jeu autour des vitres délimitant l’espace, des miroirs qui renvoient les personnages à leur ego, dédale labyrinthique lors de la dernière répétition reproduisant la fin dramatique du roman, etc. – Compétition officielle offre une partition en or à son trio d’interprètes haut de gamme. Penelope Cruz surprend dans un rôle de cinéaste à la fois géniale et ridiculement excentrique où elle apparaît tour à tour drôle et touchante derrière les maniérismes et vanités de Lola, dans sa volonté même de chercher à se dépasser pour aller au bout de sa vision. Antonio Banderas, trois ans après Douleur et Gloire d’Almodovar, nous rappelle encore une fois à quel point il est un grand acteur, capable de passer en un claquement de doigts du registre comique au registre dramatique – là aussi, il y a bien entendu un effet miroir avec son personnage, qu’on ne prend pas au sérieux en raison de sa popularité – tandis qu’Oscar Martinez, dans son jeu plus retenu, possède une palette impressionnante dans ses subtiles nuances, qui lui permet de jouer la fausse humilité comme personne.

Au final, en dépit des apparences, les réalisateurs ne crachent pas dans la soupe et nous livrent avec Compétition officielle un film qui, derrière la satire et le burlesque, transpire l’amour du cinéma. Que les travers du milieu ou de l’époque nous agacent ou non, et peu importe la part de vanité de ses artisans, le cinéma repose avant tout sur un engagement sans limites et une foi inébranlable en l’art de raconter des histoires – ce que met d’ailleurs très bien en avant la longue séquence au cours de laquelle Lola résume l’intrigue du roman qu’elle va adapter au riche “philanthrope” qui ne l’a pas lu. Même si l’on ne verra jamais le résultat final, l’émotion qui se dégage de son regard et de sa voix lorsqu’elle en fait le récit témoigne de sa sincérité, comme son volumineux book de travail, incompréhensible de quiconque mis à part elle.

Ainsi, quand Lola/Penelope Cruz en très gros plan glamour, nous murmure face caméra lors du plan final que parfois, certains films n’ont pas de fin, elle nous rappelle à quel point le cinéma est bon quand il hante ses créateurs, mais aussi les spectateurs. Un film qui se prolonge dans notre tête et continue à raisonner bien après le générique de fin, n’est-ce pas, après tout, le signe d’une œuvre réussie ? D’après ce critère, il est évident pour nous que Compétition officielle a réussi son pari haut la main.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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