[Critique] Dark Glasses : L’énième retour du Maestro

Caractéristiques

  • Titre : Dark Glasses
  • Titre original : Occhiali Neri
  • Réalisateur(s) : Dario Argento
  • Scénariste(s) : Dario Argento & Franco Ferrini
  • Avec : Ilenia Pastorelli, Asia Argento & Andrea Gherpelli
  • Genre : Horreur
  • Pays : Italie
  • Durée : 1h26
  • Note du critique : 3/10

Plus d’émotions sur scène qu’à l’écran

Le réalisateur italien Dario Argento était récemment célébré dans une grande rétrospective à la Cinémathèque française à Paris. L’occasion de revoir certaines de ses plus grandes œuvres en versions restaurées, comme Les Frissons de l’angoisse (1975) ou Suspiria (1977), mais surtout d’assister à l’avant-première de son nouveau métrage, Occhiali Neri ou Dark Glasses pour le marché international. Et ce, en présence du Maestro lui-même et de sa fille Asia Argento qui, pour l’occasion, ont semblé autant désireux de parler à cœur ouvert du film que d’eux-mêmes.

Durant ce moment d’émotion en présence du public, il est difficile d’expliquer le malaise ressenti qui pourtant fera écho au métrage diffusé ensuite. D’un côté, l’échange entre père et fille s’avère ponctué d’anecdotes tantôt amusantes (sa participation à Vortex, le dernier film de Gaspard Noé) tantôt plus intimes (Asia décrivant ses souvenirs d’enfance avec son père) et, d’un autre côté, on ne peut que constater une certaine fin d’époque tant Dario Argento (81 ans tout de même) apparaît diminué et bafouillant, au point que sa fille semble parfois obligée de le recentrer pour que la séance ne devienne pas trop brouillonne.

Malgré le respect que l’on ressent pour le génie du giallo transalpin, il faut reconnaître que cela fait de nombreuses années à présent que son cinéma tend davantage vers le navet que la virtuosité de son âge d’or. Et malheureusement, ce n’est pas Dark Glasses qui infléchira cette pente descendante, malgré une noble tentative de revenir à ses fondamentaux : le thriller gore et poétique.

Mais, comme les bonnes intentions ne suffisent pas toujours, force est de reconnaître que, si Argento nous a semblé diminué sur scène, à l’écran il s’est littéralement effondré.

andrea zhang dans dark glasses de dario argento

Un film à l’aveugle

Depuis le très décevant Mother of Tears (2007), nous sommes plutôt habitués à rester sur nos gardes lorsque Argento sort un nouveau métrage.

Chat (noir) échaudé craignant l’eau froide, on ne tient pas particulièrement à subir de nouveau un Dracula 3D (2012) de sinistre mémoire, cependant ce dernier, malgré ses très nombreux défauts, avait pour lui un côté nanardesque qui pouvait encore prêter à rire. Dans le cas de Dark Glasses, on se rapprocherait davantage du film Giallo sorti en 2009, les deux partageant cette même volonté de Dario Argento de revenir à ses heures de gloire par le biais des fondamentaux qui ont bâti sa carrière.

Malheureusement, c’est à nouveau une douche froide qui nous attend et ce, malgré une introduction plutôt réussie avec une magnifique éclipse qui préfigure le drame qui va frapper la protagoniste de l’histoire. Une héroïne jouée avec une certaine crédibilité par Llenia Pastorelli, dont la plastique aguicheuse correspond parfaitement à ce rôle de prostituée au grand cœur. En fait, c’est même le seul personnage qui ait un tant soit peu de consistance tant le reste du casting demeure transparent, que ce soit Asia Argento dans le rôle de l’amie dévouée dont la mort n’étonnera personne ou le gamin chinois dont les parents sont morts durant la même agression motorisée qui a coûté sa vue à l’héroïne.

Un gamin censé émouvoir, mais qui ne fait qu’agacer tout au long du film. Quant au tueur, il vire au grotesque involontaire tant il s’avère prévisible et peu charismatique, ne devant au final sa capacité de nuisance qu’au fait que ses cibles sont bêtes, à l’exception d’un chien qui se révèlera plus utile à l’intrigue que ses collègues humains.

victime prête à se faire rouler dessus dans dark glasses de dario argento

Un téléfilm au cinéma

En fait, c’est au moment du premier meurtre que l’on réalise que quelque chose ne va pas (ou ne va plus). Certes, le film est graphiquement démonstratif et violent comme le veut la coutume, mais il est également plat et sans relief. Où est passé le tueur en vue subjective dont on devinait seulement la présence jusqu’à ce qu’il sorte sa lame? Celui de Dark Glasses ressemblerait davantage à un pervers lubrique bondissant d’un bosquet qu’à une menace diffuse et insaisissable. Sur le fond, le scénario comporte trop de lourdeurs pour accrocher, tandis que la féminisation presque intégrale du casting appuie grossièrement un sous-texte post#MeToo que la présence d’Asia Argento ne fait qu’accentuer davantage.

Sur la forme, il n’a jamais été rare que le cinéma transalpin affiche de menus défauts comme des raccords de montage approximatifs ou un manque de direction d’acteurs sans que cela ne gâche notre plaisir car il palliait souvent ses errances par le biais d’une belle photographie et de grandes audaces visuelles.

Dans Dark Glasses, cette photographie s’avère souvent laide à quelques exceptions près, avec les séquences dans les bois. Quant aux audaces visuelles, à part quelques plans baroques du plus bel effet, elles demeurent elles aussi plus que limitées. Ajoutons à tout cela que, bien que la partition musicale ne démérite pas, l’absence du groupe Goblin se fait cruellement ressentir et jamais aucune scène ne nous transporte comme dans Suspiria ou Phenomena (1985).

Pour résumer, on a plus souvent l’impression de visionner un téléfilm que le dernier rejeton de l’homme qui révolutionna l’angoisse au cinéma.

illenia pastorelli dans le film dark glasses de dario argento

Et après ?

A la fin de la séance, tandis que les lumières se rallument, la majorité de la salle lance une standing-ovation. Ni Dario ni Asia Argento ne sont restés jusqu’au bout du film pour l’entendre et, au moment où nous écrivons cet article, il semble clair que le film ne sortira pas dans les salles françaises, faute de distributeur.

Alors erreur de jugement de notre part ou hypocrisie généralisée d’un parterre de journalistes? Ou tout simplement une marque de respect maladroite vis-à-vis d’un cinéaste qui a tant donné au cinéma qu’il semblerait honteux de l’affliger aujourd’hui ?

Bien que la réponse appartienne à chacun, il est clair pour nous que, si Dark Glasses n’avait pas le nom de Dario Argento accolé à son titre, jamais il n’aurait eu droit à une quelconque visibilité médiatique.

Et après donc ? Devons-nous définitivement faire une croix sur le retour d’un film du Maestro qui ressuscite son talent de jadis ou continuer d’espérer ? L’espoir fait vivre et nous lui souhaitons le meilleur, mais peut-être est-il temps d’admettre que le passé est hélas révolu.

Article écrit par

Depuis toujours, je perçois le cinéma, certes comme un art et un divertissement, mais aussi et surtout comme une porte vers l'imaginaire et la création. On pourrait dire en ce sens que je partage la vision qu'en avait Georges Méliès. Avec le temps, de nombreux genres ont émergé, souvent représentatifs de leurs époques respectives et les bons films comme les mauvais deviennent ainsi les témoins de nos rêves, nos craintes ou nos désirs. J'ai fait des études de lettres et occupé divers emplois qui jamais ne m'ont éloigné de ma passion. Actuellement, sous le pseudonyme de Mark Wayne (en hommage à l'acteur John Wayne et au personnage de fiction Bruce Wayne alias Batman), je rédige des critiques pour le site "Culturellement Vôtre". Très exigeant dans ma notation des films, en particulier concernant le scénario car c'est la base sur lequel aucun bon film ne peut émerger s'il est bancal ou pour le moins en contradiction avec son sujet. Je conserve une certaine nostalgie d'une époque qui me semble (pour l'instant) révolue où le cinéma ne se faisait pas à base de remakes, intrigues photocopiées et bien-pensance. Néanmoins, rien n'entame mon amour du cinéma, et chaque film que je regarde me le rappelle, car bons ou mauvais, ils restent le reflet de notre époque.

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