Sélectionné et présenté en compétition officielle au Festival international du film de Karlovy Vary 2022, le métrage Vesper Chronicles, en salles le 17 août, a impressionné par la richesse et l’étrangeté de son univers. Nous sommes allés à la rencontre des deux co-auteurs du film, Bruno Samper et Kristina Buozyte, à l’occasion d’un tête-à-tête au Club Marbeuf près des Champs-Elysées à Paris.
Déjà remarqué par leur précédent métrage de science-fiction Vanishing Waves (2012), le duo s’est avéré aussi complice et complémentaire en interview que derrière la caméra. L’échange nous a permis de découvrir que chacun possède des atouts qui lui sont propres, mais pour mieux les fusionner dans une volonté créatrice commune.
Bien que brève, cette entrevue enrichissante nous a permis de découvrir les nombreuses inspirations qui ont influencé Kristina Buozyte et Bruno Samper pour donner vie à l’univers de Vesper Chronicles.
Culturellement Vôtre : On trouve dans Vesper Chronicles un univers à la fois organique, végétal, insectoïde voire aquatique dans les mouvements des créatures. C’est extrêmement fascinant à l’écran, comment vous est venu le concept d’origine ?
Krystina Buozyte : Nous cherchions à obtenir à l’écran une mixité permanente, une sorte d’hybridation de la faune et de la flore afin que l’origine de celle-ci devienne indéterminée. C’est Bruno qui s’est principalement occupé de collecter des informations diverses par le biais de photos sur des plantes, des insectes et divers organismes aquatiques pour créer à la fin un univers unique qui ressemble à un conte de fée très sombre.
Bruno Samper : J’ai commencé de manière épisodique à travailler sur le concept du film il y a environ six ans pour, je dirais, deux ans de travail ferme. Nous voulions suivre l’idée que la technologie va évoluer, au point de s’intégrer au vivant, pour devenir totalement organique. Je me suis également inspiré d’œuvres comme La planète sauvage de René Laloux et Roland Topor ou bien encore du cinéma de Miyazaki. Le processus de création s’est fait pas à pas en fonction des informations que je collectais et le scénario a aussi été modifié au fur et à mesure. Par exemple, Jonas (Eddie Marsan) n’était pas au début l’oncle de Vesper, l’idée nous est venue par la suite.
C.V. : Vous avez choisi d’utiliser le moins possible les images de synthèse en raison du budget, mais aussi pour privilégier votre vision esthétique de l’œuvre. Quelle a été la scène la plus difficile à tourner ou la plus coûteuse ?
Krystina Buozyte : C’est vrai qu’au début nous ne voulions pas faire un film trop hollywoodien rempli d’images de synthèse et, grâce à notre expérience sur Vanishing Waves, nous étions déjà habitués à tirer le maximum de nos contraintes budgétaires, à être créatif. Néanmoins pour certaines séquences comme le jardin de Vesper, nous avons tout de même été obligés d’y recourir en partie.
Bruno Samper : Oui, c’est clairement la séquence qui fut la plus difficile à tourner. Il faut préciser qu’hormis les intérieurs de la maison de Vesper que nous avons réalisée en studio, tout le reste est du décor naturel. Les conditions de tournage en pleine forêt furent difficiles car l’hiver en Lituanie a été rigoureux et il neigeait encore deux semaines avant le tournage. Les repérages étaient impossibles et certains décors ont été validés durant les prises de vues.
Pour en revenir au jardin de Vesper, nous avons mélangé l’utilisation de diverses optiques anamorphiques et des plantes en silicones animées en images de synthèse dans plusieurs plans. Pour obtenir le résultat à l’écran, cette séquence nous a demandé près d’un an de tournage, dont quatre à cinq mois rien que pour les SFX.
C.V. : Votre chef-opérateur Feliksas Abrukauskas a fait un travail formidable sur le film, on dirait parfois des tableaux. Et votre compositeur Dan Levy a entre autres participé à l’un des courts-métrages de la série Love Death and Robots: The Tall Grass qui a beaucoup de points communs avec l’univers de Vesper Chronicles, dont l’aspect conte de fée sombre justement. Sur quelle base de réflexion avez vous réuni ces deux artistes ?
Bruno Samper : Pour ma part, j’ai rencontré Dan Levy grâce à son travail sur le film d’animation J’ai perdu mon corps de Jérémy Clapin, et Feliksas Abruskauskas est sans doute le meilleur chef opérateur en Lituanie, aucun défi ne lui résiste. L’alliance des deux a su parfaitement créer l’ambiance que nous voulions pour le film.
Kristina Buozyte : Oui, avec Feliksas, nous avons évoqué la peinture flamande pour découvrir qu’il était lui-même un grand adepte de Rembrandt. Grâce à cela, il a pu retranscrire la lumière et l’atmosphère que nous voulions pour le film, quelque chose d’organique, de vivant.
Le plus important était que l’image et la musique possèdent la même fluidité.
C’est pour cette raison que nous avons beaucoup utilisé la Steadicam et que nous avons demandé à Dan Levy d’écrire un thème musical pour chaque personnage, afin que l’alliance de l’image et de la musicalité produisent à l’écran une chorégraphie symbiotique.
C.V. : Même question pour les acteurs du film, dont certains sont littéralement à contre-emploi de leur registre habituel. Je pense notamment à l’acteur Richard Brake, qui trouve dans Vesper Chronicles un de ses rares rôles positifs depuis longtemps.
Kristina Buozyte : Ce fut en effet un vrai défi pour lui, d’autant plus qu’il joue un homme paralysé, qui ne peut par conséquent s’exprimer que par le regard ou la voix de son double robotique pour transmettre l’émotion. Il nous a avoué à la fin que son rôle s’est avéré beaucoup plus physique et difficile qu’il ne s’y attendait.
Pour ce qui est de Vesper et Camélia, nous avons eu la chance d’avoir deux jeunes actrices aussi talentueuses que Raffiela Chapman et Rosy McEwen. Elles se complétaient à merveille et dégageaient toutes les deux une véritable douceur dissimulant une forte détermination.
Bruno Samper : Ce sont deux personnages en quête d’elles-mêmes et Raffiela comme Rosy se sont beaucoup investies dans leurs rôles respectifs. Elles ont toutes les deux de belles carrières devant elles, nous en sommes convaincus.
Quant à Eddie Marsan, sa carrière parle déjà d’elle-même et il n’a plus rien à prouver. Il s’est beaucoup amusé dans le rôle du méchant de l’histoire et s’est appliqué afin de faire valoir le vieil adage selon lequel plus l’antagoniste est bon, meilleur est le film.
C.V. : Vesper Chronicles est un scénario original à l’univers riche mais encore à peine survolé. Et malgré sa noirceur, il se termine sur une note positive qui donne envie de s’y replonger. Alors, à quand la suite ? Et de quoi parlera-t-elle ?
Bruno Samper : Si ça ne tenait qu’à nous, nous serions prêts à faire encore deux voire trois épisodes supplémentaires car, comme vous l’avez dit, il reste de nombreuses questions en suspens, comme les ferrailleurs ou la citadelle, par exemple. Mais c’est le succès ou non de cet opus qui décidera de la suite des événements. Néanmoins, nous avons également d’autres projets éventuels en dehors de l’univers de Vesper Chronicles, donc nous verrons bien.
Kristina Buozyte : Pour ma part, je pense que Vesper Chronicles est déjà un récit en soi qui se suffit à lui-même. C’est un message d’espoir avec une dimension écologique dont le message pourrait être plutôt que de fuir les problèmes, il faut les affronter et les résoudre. Vesper traverse le métrage en rêvant d’une fameuse « Terre Promise » avant de réaliser qu’elle ne peut exister que là où on décide de la bâtir. Mais je suis d’accord avec Bruno qu’en cas de succès du film, cela sera un immense plaisir de se replonger dans cet univers afin d’en explorer les nombreuses possibilités.
Propos recueillis par Mark Wayne. Nous remercions chaleureusement Kristina Buozyte et Bruno Samper pour leur disponibilité et leur amabilité, ainsi que Vénicia Beaury et Sophie Saleyron pour leur accueil. Découvrez notre critique de Vesper Chronicles ici. Le film sort en salles le 17 août 2022.