Caractéristiques
- Titre : Les Innocentes
- Réalisateur(s) : Anne Fontaine
- Avec : Lou de Laâge, Vincent Macaigne, Agata Buzek, Agata Kulesza...
- Editeur : TF1 Vidéo
- Date de sortie Blu-Ray : 21 Juin 2016
- Date de sortie originale en salles : 10 février 2016
- Durée : 115 minutes
- Note : 7/10 par 1 critique
Image : 5/5
Voilà un transfert qui rend justice aux qualités purement visuelles de « Les Innocentes ». La colorimétrie se devait d’être à la hauteur, notamment pour les paysages enneigés merveilleux, et le Blu-Ray ne déçoit pas. La résolution ne faiblit jamais, contrastes peut-être parfois légèrement déséquilibrés au détour d’une poignée de plan, mais dans l’ensemble on est clairement devant ce que l’on peut qualifier de très bon travail.
Son : 5/5
Une piste française en DTS-HD 5.1 qui offre tout le relief que l’on est en droit d’attendre d’un Blu-Ray. L’équilibre entre les voix et les bruitages est tout simplement parfait ce qui rend service, encore une fois, au film tant il se construit aussi beaucoup de par son ambiance sonore.
Bonus : 2/5
Un making of d’une vingtaine de minutes assez chiche en infos et en images du tournage. Signalons la présence de la copie digitale du film.
Synopsis
Pologne, décembre 1945.
Mathilde Beaulieu, une jeune interne de la Croix-Rouge chargée de soigner les rescapés français avant leur rapatriement, est appelée au secours par une religieuse polonaise.
D’abord réticente, Mathilde accepte de la suivre dans son couvent où trente Bénédictines vivent coupées du monde. Elle découvre que plusieurs d’entre elles, tombées enceintes dans des circonstances dramatiques, sont sur le point d’accoucher.
Peu à peu, se nouent entre Mathilde, athée et rationaliste, et les religieuses, attachées aux règles de leur vocation, des relations complexes que le danger va aiguiser…
C’est pourtant ensemble qu’elles retrouveront le chemin de la vie.
Le film
Premier drame historique d’Anne Fontaine, cinéaste habituée à dépeindre le milieu bourgeois, mais également toute l’ambiguïté des relations humaines dans lesquelles le désir s’immisce (Entre ses mains, Nathalie, Nettoyage à sec…) Les Innocentes mise sur une réalisation sobre et austère pour un sujet on ne peut plus sérieux : les viols comme arme de guerre. Si, de désir charnel, il n’est guère question ici face à la violence des soldats soviétiques, le fait que les victimes soient des religieuses permet à la réalisatrice de s’interroger sur la foi et ses paradoxes. A la violence indicible des crimes perpétrés par l’Armée Rouge s’ajoute la violence d’une mère supérieure en perte de repères, prête à commettre l’irréparable pour conserver la « dignité » de son couvent.
La honte que ressentent souvent les victimes de viol, la peur de parler sous peine d’être jugées, sont ici décuplées par la profession de foi des protagonistes, qui ont fait voeu de chasteté et ne savent comment concilier leur foi avec cet événement traumatique et une maternité qu’elles n’ont pas désiré et les met en danger à plus d’un titre. Ces femmes, auxquelles la jeune médecin française Mathilde (Lou de Laâge) va porter assistance dans le plus grand secret, sont prisonnières d’elles-mêmes, et c’est sans doute cela le plus douloureux dans ce film âpre et sensible à la fois, qui ne verse jamais dans le misérabilisme. Cependant, bien qu’Anne Fontaine montre comment la religion fait peser un énorme sentiment de culpabilité sur ces nonnes qui vont jusqu’à refuser de se laisser ausculter par une femme médecin, elle ne pointe jamais du doigt la foi en elle-même, traitée de manière assez fine, et qui sera l’origine d’un questionnement métaphysique de la part de Mathilde, fille de communistes athée.
On pense notamment à une très belle scène où l’héroïne demande à l’une des soeurs (Agata Buzek), si elle conserve réellement la foi après des événements aussi terribles. Celle-ci évoque alors le terrible sentiment de mise à l’épreuve et de perte d’innocence qui l’étreint : « Vous savez la foi… Au début on est comme un enfant, avec son père qui le tient par la main et qui se sent en sécurité. Un moment vient – et je pense qu’il vient toujours – où le père vous lâche la main. On est perdus, seuls dans le noir, on appelle et personne ne répond. On a beau s’y préparer, on est surpris, on est frappés en plein coeur. C’est cela la croix. Derrière toute joie, il y a la croix. » Cette approche, loin de tout manichéisme qui aurait facilement pu plomber le film (la jeune communiste libérée qui couche avec son collègue vs. les religieuses), rend l’oeuvre d’Anne Fontaine d’autant plus touchante. Loin de tout jugement, comme de toute mièvrerie, Les Innocentes décrit le chemin de croix de ces femmes et leur difficile renaissance sans jamais chercher à forcer de messages tous faits sur la condition féminine, la violence des hommes ou les errements des institutions religieuses.
La réalisatrice fait suffisamment confiance à l’intelligence des spectateurs pour éviter de faire de son film un quelconque étendard, ce qui fait du bien à l’heure où des intentions louables poussent les scénaristes à appuyer leur message, quitte à perdre en subtilité. On comprend ici sans mal le martyr de ces femmes, et la cinéaste n’a guère besoin de faire passer tous les hommes pour des salauds ou de faire de Mathilde une sensible jeune femme en butte contre sa hiérarchie en raison de son sexe, pour nous faire comprendre la situation. Samuel, le personnage de médecin joué par Vincent Macaigne, et dont Mathilde est l’assistante et l’amante, est ainsi un Juif sensible et intègre, qui n’hésitera pas à l’assister à son tour malgré son ressentiment envers les Polonais. Quant à la jeune femme, sérieuse et professionnelle, elle est reconnue par ses collègues et supérieurs et n’est jamais rabaissée, la principale pression émanant de la Croix-Rouge étant que son unité ne s’occupe que de soldats français et qu’ils ne doivent pas prendre de risques en sortant d’une zone bien délimitée. Bien que choquée par la situation au couvent, Mathilde conserve également une attitude et un sang-froid de médecin d’un bout à l’autre.
Anne Fontaine évite donc habilement tous les pièges qui guettaient une telle histoire et, si la liaison entre Lou de Laâge et Vincent Macaigne n’est pas nécessairement la partie la plus intéressante du film, cette sous-intrigue est gérée avec suffisamment de finesse pour que cela ne créé pas de déséquilibre. Ces courts passages où la vie reprend ses droits apportent une certaine respiration à un film à l’atmosphère souvent oppressante, où le chant des religieuses désemparées s’élève du couvent isolé, entouré par une forêt enneigée et désespérément silencieuse.
Ce décor donne lieu à des scènes inspirées, comme celle, terrifiante, où l’une des nonnes, qui vient d’accoucher et s’est attachée à son enfant, s’élance à la poursuite de la mère supérieure qui s’est aventurée dans la forêt en emportant avec elle le nouveau-né. De manière générale, la réalisatrice sait tirer parti de son décor (en réalité un ancien monastère en ruine), pour insuffler une véritable force à sa mise en scène. Alternant plans larges mettant en valeur ces silhouettes voilées avançant en silence à travers des couloirs voûtés, et gros plans sur ces visages de femmes laissant percevoir une souffrance contenue, Anne Fontaine donne au film une belle intensité, malgré un rythme en apparence posé.
Inspiré d’une histoire vraie, qui fut découverte grâce au journal intime de Madeleine Pauliac, jeune médecin française en Pologne durant la Seconde Guerre Mondiale, Les Innocentes possède une issue plus lumineuse que la tragédie réelle dont il est issu, qui coûta la vie à 20 femmes. Sans jamais nier la noirceur de l’histoire, Anne Fontaine a voulu transcender la souffrance de ces religieuses polonaises. Au milieu de la guerre, malgré la mort qui rôde, le malheur qui s’abat, la vie subsiste, tenace, reprend ses droits, sans pour autant effacer le passé.
Porté par l’interprétation impressionnante des actrices polonaises, Agata Buzek et Agata Kulesza en tête, ce drame historique offre également son premier rôle adulte à Lou de Laâge, valeur montante du cinéma français révélée par le film de Mélanie Laurent, Respire (2014), également aperçue l’an dernier dans l’étrange drame italien L’attente aux côtés de Juliette Binoche. Elle apporte détermination et fermeté au rôle de Mathilde, jeune médecin qui fait face à la situation sans jamais s’épancher, malgré une empathie réelle. Un peu à l’image de ces Innocentes, qui ne tombe jamais dans le mélo malgré son sujet, tout en évitant un traitement choc ou une approche clinique. Beau et sensible, le film fait preuve de compassion envers ces femmes meurtries dans leur âme et dans leur chair, sans jamais forcer le trait d’une intrigue déjà suffisamment forte en elle-même. Surtout, en ébauchant un questionnement sur la foi transcendant tout manichéisme, Anne Fontaine donne à ce drame sobre et intense une dimension métaphysique l’élevant au-delà de la simple dénonciation de la barbarie humaine. Cette finesse fait définitivement de ce film, sorti discrètement en début d’année, une oeuvre à découvrir.
Les Innocentes d’Anne Fontaine, Blu-Ray, TF1 Vidéo. 19,99€. Également disponible en DVD.