Des amis prestigieux et une autre vision de l’art et l’amitié
Fille de Francine Weisweiller, mécène française disparue en 2003, Carole Weisweiller, 74 ans, a rapidement suivi la contagieuse passion pour les arts de sa famille et s’est tournée vers le cinéma et le théâtre, où elle s’est notamment illustrée en tant que productrice.
Elevée dans un hôtel particulier parisien, où des artistes tels qu’Alain Delon, Marlene Dietrich, Picasso et de nombreux autres défilaient, cousine des Rotschild, Carole a eu une jeunesse dorée, mais, au-delà de cette situation privilégiée, elle a surtout été marquée par ces grandes figures du monde de l’art qu’elle a eu la chance de côtoyer dès son plus jeune âge, et qui pour elle n’étaient pas de lointaines personnalités, mais constituaient sa famille de coeur. Une famille qui lui a inculquée une vision noble de l’art, mais aussi des valeurs de générosité, de loyauté, dont elle regrette aujourd’hui qu’ils ne soient plus les maîtres mots, remplacés par les intérêts du dieu argent.
C’est afin de rendre hommage à ces grands artistes, dont beaucoup sont aujourd’hui disparus, et à ce qu’ils lui ont apporté, que Carole Weisweiller a écrit Ma famille de coeur, publié aux Éditions Michel de Maule. Déjà auteure de plusieurs livres autour de Jean Cocteau et Jean Marais, des amis de sa famille dont elle est restée proche jusqu’à leur mort, la productrice partage à travers ce court essai autobiographique ses souvenirs personnels, personnalité par personnalité. L’occasion de revenir sur des figures essentielles du XXe siècle telles que Jean Cocteau et Jean Marais donc, mais aussi Pablo Picasso, Coco Chanel, Yves Saint Laurent… Parmi les personnalités encore en vie, on trouvera le dramaturge Peter Brooks, Nana Mouskouri ou encore Pierre Cardin.
Une vision personnelle et touchante de grands artistes
Divisé entre ceux qu’elle appelle ses frères d’adoption et ses rencontres, Ma famille de coeur ne possède pas de structure réelle — ce que l’on pourrait d’ailleurs lui reprocher — et se présente avant tout comme une somme de souvenirs, composant les contours d’une époque révolue. Surtout, l’intérêt de ce petit livre réside dans ce qu’il montre de ces artistes, dont Carole Weisweiller connaissait également, pour beaucoup, la personnalité privée, au-delà de la simple persona publique. On sera donc ému ou surpris de découvrir certaines facettes que l’on ignorait, ou des anecdotes confirmant au contraire l’image que l’on se faisait de certains.
Les deux parties dédiées à Jean Cocteau et Jean Marais sont sans doute les plus belles et émouvantes du livre. Le poète et homme de théâtre avait ainsi décoré les murs de la villa Santo Sospir, achetée par le père de Carole Weisweiller pour sa mère en 1946, alors qu’il était en vacances chez la famille et s’ennuyait. Une fresque murale, d’une valeur inestimable, que la productrice s’efforcera de protéger à la mort de ses parents, bien qu’elle dû se résoudre à vendre la maison en raison des importants frais engendrés, Elle se souvient de sa relation avec Cocteau, du regard empreint d’admiration qu’elle lui portait à 8 ans, et plus encore des liens étroits qui la lièrent au compagnon de celui-ci, Jean Marais, dont elle resta proche jusqu’à sa disparition à la fin des années 90. L’amour que l’acteur porta à Cocteau bien au-delà sa disparition, ainsi que son humilité, sont particulièrement touchantes et montrent un homme qui se consacra à son art et aux siens jusqu’à la fin, malgré la maladie qui le rongeait de plus en plus.
Un livre nostalgique, davantage réservé aux admirateurs des artistes évoqués
S’ils ne sont pas particulièrement connus ou appréciés de la jeune génération, à laquelle Carole Weisweiller aimerait faire découvrir ces artistes, les chapitres consacrés à Jean-Claude Brialy et Nana Mouskouri sont également centraux puisque la productrice demeure proche de la seconde et fut l’une des meilleures amies du grand acteur français, disparu il y a près de 10 ans. On aura également plaisir à découvrir certaines personnalités bien moins connues de nos jours, comme Raymond Gérôme. Certains chapitres sont plus courts ( celui sur Picasso, par exemple, ou sur les grands couturiers), mais contiennent malgré tout une vision personnelle, comme un instantané figé dans le temps. Pour chacun d’entre eux, on sent l’influence qu’ils ont eue sur l’auteure, qui partage également certains de ses souvenirs de ses débuts au théâtre.
Si la volonté de l’auteure de laisser un témoignage sur ces personnalités et une époque qu’ils n’ont pas connue est louable, on peut douter que le livre intéresse suffisamment les plus jeunes lecteurs qui ne les connaîtraient que très peu, voire pas du tout, puisque Carole Weisweiller n’en retrace pas vraiment la carrière. Cependant, pour ceux qui sont déjà familiers de l’oeuvre d’au moins une partie d’entre eux, Ma famille de coeur se révèlera une lecture, sinon véritablement éclairante, du moins intéressante et touchante sur des artistes importants, aux personnalités différentes, issus du cinéma, du théâtre, de la musique, la mode ou la peinture. Un livre à la nostalgie tenace, jusque dans les quelques vers de Carole Weisweiller qui clôturent ce court volume.
Ma famille de coeur de Carole Weisweiller, Éditions Michel de Maule, sortie le 12 décembre 2016, 110 pages. 17€.