[Critique] Somewhere de Sofia Coppola : l’art de l’épure

Caractéristiques

  • Titre : Somewhere
  • Réalisateur(s) : Sofia Coppola
  • Avec : Stephen Dorff, Elle Fanning, Chris Pontius, Michelle Monaghan, Lala Sloatman...
  • Distributeur : Pathé
  • Genre : Comédie dramatique
  • Pays : Etats-Unis
  • Durée : 1h37
  • Date de sortie : 5 janvier 2011
  • Note du critique : 7/10

Lost in Translation bis?

Quatre ans et demi se sont écoulés depuis la sortie de Marie-Antoinette, qui semblait clore ce que l’on pourrait appeler « la trilogie des jeunes filles perdues » de Sofia Coppola. C’est donc avec impatience que Somewhere était attendu. Si le film est centré autour d’un acteur à la dérive, Johnny Marco (Stephen Dorff), la bande-annonce laissait percevoir de nombreuses ressemblances avec Lost in Translation (2003), deuxième long-métrage acclamé de la réalisatrice.

Comme Bob Harris (Bill Murray), Johnny Marco passe tout son temps dans un hôtel de luxe, s’enferme dans un ennui existentiel, se prête à une promotion assez humiliante de sa carrière… On pouvait craindre que  Sofia Coppola ne s’enferme dans son cinéma, ses images, sa musique, ses thèmes comme autant de marques de fabriques de son style de it-girl adulée de la hype du ciné indépendant.

Heureusement, il n’en est rien. Si la cinéaste prolonge et décline encore une fois les mêmes thèmes, elle ne tombe pas dans la facilité de la redite et se permet même quelques écarts bienvenus, qui distinguent très clairement Somewhere de ses prédécesseurs. La musique est ainsi très peu présente et les rares morceaux qu’on entend sont principalement diégétiques, à quelques exceptions près. De manière plus remarquable, Sofia Coppola privilégie également les longs plans fixes et l’image, souvent assez sombre et dans des tons crème, ne se veut pas belle et léchée. A la différence de ses précédentes œuvres, elle ne magnifie pas les lieux filmés, bien au contraire : le Château Marmont, ce mythique hôtel niché sur
les hauteurs de Los Angeles, repaire des plus grandes stars qui s’y succèdent depuis les années 30, apparaît ainsi assez cheap.

Stephen Dorff mis à nu

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© Pathé

Isolées du soleil éclatant de la Cité des Anges, les suites ne sont pas montrées sous un angle glamour et tranchent avec le faste de l’hôtel tokyoïte de Lost in Translation. Ce qui, dans une certaine mesure, facilite l’identification du public avec Johnny Marco, superstar hollywoodienne de son état. Tout le brio de la réalisatrice est de montrer son héros comme un trentenaire paumé ordinaire vivant dans un milieu peu conventionnel. Du coup, les scènes de la tournée de promotion font ressortir le décalage entre l’image de vedette planétaire flamboyante du héros et son état d’esprit réel. Marco n’est que l’ombre de cet autre lui-même qui fait la une des magazines, mais son entourage le traite avec la même admiration
intéressée, les top-models lui courent après…

Encore plus avare en dialogues que Marie-Antoinette, le film est suspendu au visage de son héros et Stephen Dorff, belle gueule abonné aux films de seconde zone, s’en sort admirablement. La cinéaste le met à nu et il se dégage de son jeu une vulnérabilité des plus touchantes. Privé de mots, il ne peut se raccrocher à rien et la caméra enregistre avec une infinie douceur son regard vacillant, ses expressions hagardes mais subtiles.

Elle Fanning nouvelle blonde hamiltonienne

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© Pathé

Somewhere doit sa part la plus lumineuse à la solaire  Elle Fanning (petite-sœur de Dakota) dans le rôle de la fille de Johnny. Vive d’esprit et très mûre, elle oblige son père à sortir tant bien que mal de sa torpeur lorsque celui-ci doit s’occuper d’elle pendant que sa mère est partie en voyage. C’est évidemment
l’inverse qui se produit : constamment livrée à elle-même, la pré-ado débrouillarde est bien celle qui veille sur son père, prépare de bons petits plats et tente d’égayer les lieux plongés dans la pénombre.

Blonde aux yeux bleus comme Kirsten Dunst dans Virgin Suicides (1999) et Marie-Antoinette, ou encore comme Scarlett Johansson dans Lost in Tranlation, Cleo est l’archétype de la jeune fille selon Sofia Coppola, hamiltonnienne en diable et perdue dans un milieu qui ne lui correspond pas. La réalisatrice ne nie pas, d’ailleurs, qu’il s’agit toujours de la même jeune fille qu’on retrouve dans ses films, mais à des âges et des époques différents. « Si l’on mettait mes longs-métrages bout à bout, on pourrait penser qu’il s’agit toujours du même personnage, qui évolue de film en film » a-t-elle ainsi confié au magazine de Mk2 Trois Couleurs.

Plus excentré que dans ses précédents longs-métrages, plus jeune surtout, ce personnage féminin apporte beaucoup de fraîcheur et une perspective différente au récit, jusque-là dominé par le point de vue de Johnny. Exit le questionnement sur la féminité et les relations amoureuses, la cinéaste se sert de son alter-ego pour recentrer le film sur la relation père-fille et le sens profond de la vie de son héros. On peut néanmoins trouver certains échos à la relation du couple platonique Bob-Charlotte de Lost in Translation, qui avait quelque chose de filial par la différence d’âge des personnages, la lassitude de l’un et la fraîcheur apparente de l’autre.

Une histoire de vampires ?

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© Pathé

Une référence, lâchée au détour de la scène de la piscine, étonne de prime abord venant de Sofia Coppola : Johnny demande à sa fille ce qu’elle lit et le roman en question n’est autre que Twilight de Stephenie Meyer, qui n’est pas cité textuellement mais est explicitement identifiable par le résumé donné par Cleo. Si la saga est d’une piètre qualité littéraire, elle est néanmoins importante pour la génération de pré-adolescentes et adolescentes actuelles, comme l’était Fleurs Captives de
Virginia C. Andrews, autre fresque familiale romanesque initiatique en cinq tomes à laquelle la réalisatrice faisait référence dans son premier court-métrage, Lick the Star (1998), et qui a sans doute bercé sa jeunesse au début des années 80.

Elle permet aussi sans doute à Johnny de prendre conscience que ce vampire qui risque d’attirer sa bien-aimée dans son monde ténébreux, ce n’est autre que lui, s’il continue son cycle d’auto-destruction. Stephen Dorff a d’ailleurs avoué que Sofia Coppola lui avait demandé de se tenir le plus possible à l’écart du soleil avant le tournage pour qu’il ait la peau pâle et lui avait montré le court-métrage Toby Dammit de Fellini (1968), dont le héros est un acteur vedette dépressif et décadent au teint cireux vampirisé par le star-system, qui finira par se suicider à cause de sa fascination pour une petite fille diabolique.

Le parallèle, s’il n’est pas poussé plus loin que ça dans le film, est pertinent : le Château Marmont lui-même, en retrait de L.A. et à l’abri du soleil, avec son style gothique et les rumeurs qui l’entourent, pourrait très bien être un repaire de vampires. Naviguant de fêtes arrosées en filles brièvement enlacées la nuit, le héros passe ses journées à dormir et affiche un air lymphatique dès qu’il est obligé de sortir de ce cocon.

Une nouvelle étape ?

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© Pathé

C’est un portrait tout en douceur et en nuances que nous propose ici la cinéaste et, s’il ne se passe au fond pas grand chose durant les 1h37 que dure le film, l’ennui ne nous gagne jamais. Au contraire, Somewhere, après son ouverture lente et intrigante qui n’est pas sans rappeler My Own Private Idaho de Gus Van Sant dans le dispostif, nous happe de plus en plus et on a bien du mal à quitter Johnny Marco et Cleo. S’il est sans doute plus difficile d’accès et moins immédiatement fascinant que les précédents longs-métrages de Sofia Coppola, ce quatrième film n’en demeure pas moins tout aussi maîtrisé et sensible.

Il prouve aussi que la réalisatrice est capable de bousculer son style et de se remettre en question, de choisir l’approche la plus pertinente vis-à-vis d’un sujet sans se contenter de répéter ce qu’elle sait (très bien) faire. Au moment de la sortie de Marie-Antoinette, on aurait pu penser que Sofia Coppola avait peut-être tourné une page en bouclant une trilogie, qu’elle avait enfin grandi, à l’image de la souveraine (ce que ses propos laissaient également entendre). Rétrospectivement, on peut maintenant se rendre compte que Marie-Antoinette faisait écho à Virgin Suicides tandis que Somewhere fait écho à Lost in Translation. Mais son dernier film crée une ouverture vers un cinéma moins aérien, aux images moins léchées et plus réalistes et il sera intéressant de voir si la réalisatrice continuera d’explorer cette voie.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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