Une nuit en très bonne compagnie
Vous êtes du genre à ne pas louper les rendez-vous incontournables de la cinéphilie un peu déviante ? Alors vous avez sûrement entendu parler de feu la Nuit Excentrique, événement majeur pour les adeptes d’un cinéma différent, sympathiquement mauvais. Rassurez-vous, cette aventure annuelle a en fait changé de nom, et a récemment accouché de son second millésime. Déplacée de la Cinémathèque française au Grand Rex depuis quelques éditions, la Nuit Nanarland 2 fut une sacrée expérience. Le samedi 23 septembre, nous avons découvert quatre films, entrecoupés d’extraits plus qu’insolites, de bandes annonces improbables, de jeux faisant participer le public, et ce de 20h à plus de 7h. Autant vous confier qu’on l’a senti passer (surtout en cette période très chargée), mais qu’on a pris un sacré pied… et souvent dans la gueule.
Tout d’abord, quelques mots sur l’organisation de cette Nuit Nanarland 2, au Grand Rex. Vous le savez, la grande salle est certainement la plus belle de France, en terme de décoration et d’atmosphère. Plus compliqués, les sièges de sont pas des plus confortables, et l’on s’en rend mieux compte en fin de parcours. Mais soit, l’endroit est sauvegardé, c’est un choix qui se comprend aisément, surtout quand on pénètre dans ce cinéma pour le moins impressionnant. Une bonne heure avant le début de la première projection, le Grand Rex a accueilli le public, qui a pu se ruer sur les boissons et autres collations. Rien de bien original : pour vous offrir une bière (indispensable pour bien débuter la nuit, qu’on se le dise), il a fallut débourser 8 euros. Cher, mais pas plus qu’un verre dans un bar des environs. Étaient aussi au programme, de petits sandwichs triangulaires, au tarif raisonnable de 3 euros, et les incontournables sucreries. Signalons que les spectateurs ont aussi pu rentrer avec leurs propres casses-croûte et liquides, on a pu s’en rendre compte grâce aux poubelles, qui débordaient de canettes de boissons énergisantes… Tout comme pour L’Étrange Festival, un vendeur de DVD, Blu-ray et autres livres rares assurait le point vente, créant une certaine émulsion. Enfin, pour les plus courageux, un petit déjeuner fut offert à 7h30, avec croissants et café, ce qui est toujours très bien perçu.
Dangerous Men a tout pour devenir l’un des mètres étalon du nanar
La Nuit Nanarland 2, ce fut avant tout quatre films, et la programmation de cette année avait de quoi séduire à l’avance. Les genres donnaient dans l’éclectisme (et pas dans l’athlétisme), avec du vigilante flick, de l’action, du péplum et de l’horreur. Le tout à la sauce nanar bien évidemment. Celui qui a ouvert le bal, c’est le très, très étonnant Dangerous Men, qui a tout pour devenir l’un des portes-étendards des mauvais films sympathiques. La production de cet objet filmique non identifié est déjà toute une histoire. Débutée en 1985, par un réalisateur, John S. Rad, (de son vrai nom Jahangir Salehi Yeganehrad), ayant fui la révolution iranienne de 1979, l’aventure va très vite se compliquer. L’actrice principal n’a pas de bol : elle se casse la jambe et, comme elle n’est pas assurée, elle doit quitter le tournage définitivement. Mais le metteur en scène, producteur, scénariste et compositeur (!) ne va pas lâcher l’affaire. Pendant 20 ans (jusqu’en 2005, donc), il va continuer à tourner des bouts de séquences, en retravaillant le script. Ce qui va créé l’un des bordel filmé les plus drôles vus sur grand écran.
Dangerous Men ne ressemble à rien. L’intrigue débute comme un presque rape and revenge, avec Mina, une femme dont le futur mari se fait zigouiller par un biker. Maline, la pauvre victime joue les excitées par la violence, et s’acoquine avec le meurtrier, dans une composition à se tordre de rire. Elle finira par rendre la monnaie de sa pièce à l’odieux motard (grâce à un couteau planqué dans la raie de son fondement, ça ne s’invente pas), puis se lancera dans un élan de justice aveugle : l’homme va devoir payer (Christine Angot, calmez-vous) ! C’est à ce moment précis que le fil se coupe, et le scénario en profite pour devenir totalement décousu. Le frère de la victime du biker va rentrer dans l’affaire, et enquêter sur la bande de bikers. Il se met sur la piste de Black Pepper, un type qui chapeaute tout ça. Vous ne comprenez rien ? C’est bien normal. La salle, hilare, a arrêté d’essayer de suivre très vite, pour mettre en avant les sublimes éléments nanardesques de cette œuvre. Musique au synthé digne d’un porno sordide des années 1970. Comédiens qui, parfois, nous rappellent quelqu’un : Black Pepper ressemble fichtrement à Michel Polnareff, et le chef des forces de l’ordre est la copie sidérante de Stan Lee. Les deux auront leur moment de gloire lors d’une course poursuite à en défoncer les zygomatiques. Aussi, le rythme côtoie le sublime (à la sauce nanar, n’est-ce pas), avec des cassures qui ressemblent à certaines séquences de Virus Cannibale. Oui, ça danse sans trop qu’on sache pourquoi. Tout ça se termine dans un freeze frame succulent : vous regardez cette image, et vous vous demandez son rapport avec le tout début du métrage. Mindfuck garanti.
Du classique, et un péplum turque délicieusement craignos
Ensuite, ce fut au tour d’un classique du nanar : Megaforce, que vous connaissez peut-être pour sa séquence culte du vol en moto. On a pu le voir en entier (dans une copie un peu rouge), et vérifier ce qui se disait : ce film est parfois loin d’être seulement sympathique. Il faut tout d’abord remonter en 1982, quand l’œuvre sort sur les écrans. Pour l’époque, il s’agit d’une production importante, budgétée à 20 millions de dollars (tout de même). Soutenu par une campagne marketing imposante, un peu comme nos mauvais films actuels (mais si, vous savez, les trucs avec des humanoïdes à collants), et même prévu pour une déclinaison sur plusieurs suites, le métrage se ramasse en beauté. Oui, malgré les jouets Mattel. Il ne rapporte que 5,7 millions de dollars au box office, ce qui en fait un sacré bide, et pour des raisons évidentes à la vue du résultat. Megaforce cultive les paradoxes. Parfois à s’exploser la bidoche, tant on rigole des costumes moulants embarrassants, et des engins au design imaginé par un enfant de sept ans. Parfois d’un ennui profond, le film s’embourbe dans des séquences d’exposition de plan qui endormirait le plus insomniaque d’entre nous. C’est lent, ça parle énormément, et l’on ne peut que penser, avec beaucoup d’émotions, aux parents qui, à l’époque, ont accompagné leurs enfants voir cet échec cuisant.
Les fins connaisseurs de la culture nanar savent que le cinéma turque a su livrer des pépites parfois prodigieuses. Nous ne connaissions pas Tarkan contre les vikings, mais voilà un titre qui ne peut que confirmer cela. Pur péplum, le film est le second d’une licence qui aura perduré sur cinq œuvres. Cependant, ne vous en faîtes pas : il ne fut pas nécessaire de connaître les tenants et aboutissants des précédentes aventures. Le rôle-titre est un preux guerrier, et le sang des Huns coule dans ses veines. C’est aussi l’ami des animaux : il est accompagné de deux chiens, Kurt et son père. Ce dernier se fera tuer par Toro l’ignoble viking, ce qui va pousser notre héros à la vengeance. Un petit côté John Wick donc, mais avec des perruques ridicules et des costumes surréalistes (dont des boucliers à pompons rouges et bleus). Chaque plan de ce film paraît invraisemblable. Les séquences de combats sonnent évidemment faux, avec l’apparition multiple des mêmes figurants, qui se font trucider parfois des dizaines de fois à l’écran. Le scénario est plus ou moins clair, mais le rythme difficile. Heureusement, ce péplum sait apporter du second souffle. Notamment côté bestioles craignos, avec le kraken le plus grotesque jamais vu jusqu’ici…
Un final qui a fait grand bruit
Le dernier film fut là aussi une découverte. Black Roses s’inscrit dans le genre de l’horreur, et nous arrive tout droit de l’année 1988. Une belle cuvée pour le cinéma, avec Qui veut la peau de Roger Rabbit, Mississipi Burning et autre Piège de cristal. Bon, l’œuvre qui termina cette drôle de nuit n’a pas grand chose (rien) à voir avec ce genre de chef-d’œuvre. Mais il fut assez intéressant, même en dehors du trip nanardesque. Réalisé par un John Fasano qui a bossé sur le scénario de Color Of Night (un génie, donc), le métrage va tellement loin dans la détestation du hard rock qu’il en devient risible. L’histoire prend au mot les amateurs de ce genre musical si pêchu : puisque c’est la mélodie du diable, elle ne peut être jouée que par une troupe de démons. Ainsi, un groupe intervient, dans une petite ville tranquille, et va apporter avec elle la perdition des âmes. Si cela manque un peu de dialogues savoureux, on en prend tout de même plein les mirettes (et les oreilles, la bande originale fait le job), notamment avec des monstres en plastique bien grossiers. Et un rythme loin d’être dégueux. Du coup, et même si l’ensemble justifie la qualification de nanar, il s’agit aussi du meilleur film qui fut projeté lors de cette nuit.
Comme précisé plus haut, chaque séance fut entrecoupée d’un entracte, mais aussi de divers bonus bien sympathiques. On a pu savourer des extraits méconnus mais clairement au niveau, notre préférence allant au récent Pup Star, que l’on a très envie de découvrir en entier. l’émission insupportable, vu sous le prisme canin, on est conquis. On remercie aussi Marseille, ville dont l’un des habitants a procuré une quantité incroyable de bandes annonces de nanards oubliés. On se rappellera longtemps de « Les exitées » (non, il n’y a pas de coquille), film érotico-glauque assez gratiné, d’après son trailer. Enfin, sachez qu’une spectatrice a gagné la grande finale des concours, et fut heureuse de repartir avec l’affiche d’un chef-d’œuvre de l’art moderne : Les nuits chaudes de Cléopatre. C’est sur ces souvenirs impérissables qu’à 7h30, après un croissant et un café, on s’est dirigé vers notre bon vieux métro parisien, le fessier bien tassé mais tout de même léger. La Nuit Nanarland 2 était certes terminée, mais elle aura su nous laisser de très bons souvenirs. D’ailleurs, on sera à la troisième édition, si tout va bien !