Le retour de Kate Bush ?
Après six ans d’absence, Kate Bush nous revient enfin… dans un album où elle revisite une sélection de chansons de ses albums The Sensual World (1989)
et The Red Shoes (1993). Pas de nouveaux titres donc, mais une « actualisation », plus ou moins prononcée, de titres existants pour lesquels sa perception avait changée et
qu’elle voulait enfin trouver « parfaits ».
L’artiste, surnommée la « Stanley Kubrick de la musique », a toujours été connue pour son perfectionnisme poussé à l’extrême. A tel point qu’entre The Red Shoes et
Aerial, douze ans se sont écoulés, et qu’elle a régulièrement déclaré ne pas vouloir faire de tournées car le risque est trop grand de ne pas pouvoir donner des
performances aussi parfaites d’un soir à l’autre. C’est donc avec une certaine appréhension que l’on attendait ce Director’s Cut : les nouvelles versions seraient-elles
à la hauteur ou, simplement, vraiment différentes des originales, ou bien s’agirait-il de corriger de petits détails dont seule l’artiste pourrait s’émouvoir ?
Entre réinvention et dépoussiérage
Après avoir écouté l’album et comparé chaque titre à son original, on peut dire que la réponse se trouve à mi-chemin : d’un côté, certains titres tiennent véritablement de la réinvention,
justifiant pleinement leur présence sur un tel disque. De l’autre, un certain nombre d’autres titres tiennent plus du dépoussiérage, gommant des arrangements parfois un peu trop datés 80’s pour
les remplacer par des sons plus neutres, etc. Une autre partie des titres, enfin, se situe entre les deux : ni complète réinvention, ni dépoussiérage minime, ils conservent généralement le ton de
l’original mais en apportant des changements (au niveau de la voix, des arrangements, du rythme) qui permettent d’avoir une vision différente des chansons, tout aussi valide que l’original.
Parmi les réinventions véritables, on retrouve surtout « This Woman’s Work » et « Rubberband Girl », dont le changement radical surprendra bien des fans mais devrait néanmoins les enthousiasmer, à
condition de les accepter comme des versions véritablement indépendantes des titres originaux. « This Woman’s Work » a ainsi été entièrement réenregistrée. Kate Bush joue non plus
du piano mais du Wurlitzer (un clavier électrique au son distinctif), le rythme est beaucoup plus lent, la voix se rapproche plus du murmure empli d’une émotion contenue mais sensible.
Déstabilisante de prime abord, cette nouvelle version est néanmoins d’une belle force, qui devient plus perceptible écoute après acoute.
« Rubberband Girl » choquera peut-être plus les fans attachés à la voix de l’artiste, puisque celle-ci est radicalement différente que sur l’originale… et radicalement différente que sur
l’intégralité de ses albums précédents. Cette petite voix un brin gouailleuse rappellera en effet une chanteuse qui ne viendrait jamais à l’esprit en évoquant Kate Bush :
Vanessa Paradis ! Le côté années 80 et un peu tropical présents dans le son de la version originale ont été complètement gommés par ailleurs, pour une version plus pop-rock, avec
une guitare prédominante et plus sèche qu’à l’origine. Cela dit, une fois le choc passé, cette version suscite l’enthousiasme, même si elle ne supplante pas nécessairement l’originale.
De « The Sensual World » à « Flower of the Mountain »…
Le titre qui souffre le plus de ses changements francs, en fin de compte, est « Flower of the Mountain » (« The Sensual World » sur l’album du même nom) : la chanson est ralentie, avec des sons (de
cloches, de cornemuse) inutilement prolongés, qui font perdre au titre de la force. La voix de Kate Bush, vieillie et bien moins éthérée que sur le titre original , posera
problème à beaucoup de fans, surtout. Le titre perd du coup en fraîcheur. Musicalement, le titre est assez similaire, mis à part les différences notées, qui rallongent inutilement le titre, bien
plus ramassé dans sa version originale.
L’autre grosse différence, qui a semble-t-il justifié cette nouvelle version, est à chercher au niveau des paroles : Kate Bush s’était inspirée d’un passage
d’Ulysse de James Joyce et souhaitait intégrer directement le texte original dans sa composition, ce que les ayants droits avaient refusé. Après avoir
cette fois-ci obtenu l’aval de ceux-ci, elle a donc changé les paroles de tous les couplets. Il est intéressant de voir comment l’artiste s’était clairement inspirée du texte de
Joyce, en reprenant la trame sensuelle et certains mots-clés, pour écrire des paroles originales. Cependant, on est en droit de préférer les paroles de 1989, bien plus explicites
et audacieuses…
Un caprice de perfectionniste ?
Parmi les réactualisations les plus mémorables, il faut rendre grâce à « Lily », « Deeper Understanding » et « Moments of Pleasure ». Le premier, qui contient de nouveaux arrangements et une nouvelle
piste vocale, témoigne d’une belle énergie, notamment dans le côté plus énervé et déjanté dans la deuxième moitié de la chanson. « Deeper Understanding » (le premier single officiel, accompagné
d’un clip réalisé par Kate) réussit à dépoussiérer la version originale (un peu datée
pour certains arrangements, notamment le passage musical à 3mn) de manière tout à fait convaincante, en gardant sa cohérence. Quant à « Moments of Pleasure », il s’agit d’une version ralentie et
dépouillée, très distincte de l’originale tout en en conservant la force. Le côté très lyrique, un peu mélo de l’original a été gommé et la chanson y gagne. Quant à l’arrivée des choeurs
fredonnant sans jamais déferler, elle est belle à en donner des frissons.Une des grandes réussites de l’album.
En revanche, les nouvelles versions de « Top of the City » et And So Is Love » apparaissent des plus inutiles : les titres sont quasi-identiques aux originaux, dont ils se différencient simplement
par un très léger dépoussiérage, gommant les accents trop 80’s et atténuant la réverbération sur la voix de Kate Bush pour « And So Is Love », modifiant si subtilement les arrangements de « Top of
the City » que les différences entre les deux versions sont presque imperceptibles, donnant une impression de simple remplissage (le disque contient 11 titres au total, ce qui est assez peu au
final).
Il n’est donc pas dit que les avis sur ce Director’s Cut soient unanimes auprès des fans de Kate Bush, qui attendent bien sûr avec impatience un nouvel album de chansons
originales. Cependant, même si, par certains côtés, cette modification d’anciens titres pourra passer pour un caprice de perfectionniste tatillone, l’album apporte une vision véritablement
renouvelée et puissante de certains titres phares tels que « This Woman’s Work », « Moments of Pleasure » ou encore « Rubberband Girl ». Et l’édition collector, qui comporte également les albums
originaux The Sensual World et The Red Shoes (remasterisé pour la première fois), est un très bel objet, rempli de photos aussi belles qu’originales,
qui fera la joie des admirateurs et justifie pleinement de payer 25 euros. Quant à un véritable nouvel album de Kate Bush, bien qu’aucune date de sortie n’ait été annoncée,
elle a fait savoir via son communiqué officiel qu’elle y travaillait. Peut-être peut-on espérer une sortie en 2012… Par ailleurs, elle a laissé entendre lors d’un entretien ce mois-ci dans la
revue musicale Mojo qu’elle ne serait pas opposée à remonter enfin sur scène (son unique tournée date de 1979) ! De quoi se réjouir, donc.