26 titres après 7 ans de silence
Cela fait longtemps que j’entends parler de Natalie Merchant, singer-songwriter américaine de pure tradition folk. Comme j’aime beaucoup Tori Amos,
Joni Mitchell, Ani Difranco ainsi que d’autres artistes féminines classées dans la vaste catégorie « alternative », son nom et son visage de sicilienne
se présentaient régulièrement à moi sur des sites musicaux tels que Last.fm (où vous pouvez comptabiliser les titres que vous écoutez sur votre ordinateur en échange de quoi le
site vous propose d’autres artistes en fonction de vos goûts) mais je n’avais jusque-là jamais écouté un de ses albums, même si j’ai déjà dû entendre 1 ou 2 de ses compositions par le passé sans
nécessairement m’en souvenir.
L’occasion s’est présentée cette semaine lorsque j’ai appris la sortie en avril de son nouvel album, Leave Your Sleep, après sept ans de silence. Un double-album de 26
morceaux tissés à partir de poèmes et comptines anglo-saxonnes de l’ère victorienne pour la plupart. Le tout dans un pur style Americana, entre folk et blue-grass. Une musique que
j’apprécie mais le plus souvent à dose modérée, car malheureusement, la plupart de ces folk singers, s’ils sont talentueux, ont tendance à rester trop attachés à la tradition à mon goût,
d’où le sentiment parfois d’entendre un peu toujours la même chose, même si ces disques me font passer un agréable moment. J’étais donc curieuse de voir si Natalie Merchant
allait savoir maintenir mon intérêt sur une aussi longue durée…
Folk et poésie
Et le résultat est positif dans l’ensemble, même si les reproches que je ferais à cet album sont les mêmes que je viens de citer : il y a de très beaux morceaux mais à un moment, le côté
traditionnel lasse et les titres se font plus ordinaires, moins inventifs, trop plan-plan et trop respectueux, en fin de compte, de leurs origines.
L’album démarre ainsi sur les chapeaux de roue avec deux titres excellents, « Nursery Rhyme of Innocence and Experience » et « Equestrienne » pour se poursuivre avec des
titres enthousiasmants dans une veine traditionnelle (avec notamment un passage par la musique yiddish sur « The Dancing Bear ») qui, s’ils ne renouvellent pas le genre mais le
maintiennent, sont ciselés avec finesse et conviction. L’artiste (qui possède une très jolie voix) est accompagnée par de nombreux musiciens jouant d’instruments traditionnels et les
arrangements, très sobres, sont de toute beauté.
En consultant les paroles, j’ai été étonnée de voir qu’il s’agissait pour la plupart de poèmes ou comptines pour enfants. Les critiques que j’avais entendues sur cet album mentionnaient en effet
un disque au contenu engagé et critique envers l’Amérique, comme Merchant en a l’habitude. Cet aspect est en effet présent, mais n’est vraiment révélé qu’au bout d’une dizaine de
titres. Cependant, le choix de ces poèmes s’avère très bon pour la majorité, ceux-ci étant signés d’auteurs possédant une jolie finesse d’écriture (on est très loin des comptines qu’on apprend en
maternelle, rassurez-vous) et cette découverte m’a stimulée et donné envie de me replonger dans la poésie anglo-saxonne. Nombre d’auteurs ne vous évoqueront pas grand chose puisqu’ils sont peu
connus en France (il y a aussi plusieurs poèmes anonymes dans le lot) mais parmi les références, on trouve tout de même e.e. cummings (très beau « Maggie and Milly and Molly
and May ») et Robert Louis Stevenson (« The Land of Nod »).
Des comptines pas si enfantines
Notre attention commence à se relâcher avec le 13ème titre, « The Blind Men and the Elephant » et c’est d’autant plus dommage qu’il s’agit d’un excellent poème, faussement enfantin, de
John Godfry, qui inaugure la veine plus politique de l’album. Le texte, à la manière d’une comptine, met en scène six aveugles qui se retouvent face à un éléphant et en touchent
chacun une partie différente (les pattes, la queue, l’oreille, la trompe, les défenses…), ce qui leur donne évidemment une vision radicalement différente de l’animal, si bien qu’ils se mettent à
se chamailler en prétendant que leur définition de l’animal est la seule et unique possible, ce qui sert à l’auteur de métaphore aux débats théologiques où les représentants de différentes
confessions, « aveugles », prétendent que « leur » Dieu est le vrai alors qu’ils n’ont jamais vu cet « animal » en entier et de leurs yeux. Malheureusement, la
musique est conventionnelle et répétitive, d’autant plus que le poème est long et les titres suivants sont à cette image.
Il est regrettable que les textes les plus étonnants, les plus grinçants, aient reçu ce traitement. On peut comprendre l’envie de Natalie Merchant de créer un contre-point entre
l’innocence apparente des poèmes et leur fond bien plus sombre en leur accolant une mélodie guillerette très Americana, cependant, en faisant le choix de ne pas altérer ou décaler ce côté
traditionnel jusqu’à la lie, l’auditeur finit par se sentir agacé et passe en fin de compte à côté du texte, qu’il n’aura pas nécessairement envie de consulter. « Adventures of Isabel »
est ainsi particulièrement énervant avec sa ritournelle blue-grass aussi rythmée que répétitive qui tombe malencontreusement dans le cliché du genre alors que le poème avait tout pour constituer
un titre mémorable ( l’histoire d’une fillette qui vient à bout de manière détonante d’ours féroces, d’une sorcière, d’un géant… et d’un docteur pédophile ! )
« Topsyturvey-world » est quant à lui le gros point faible de l’album, puisque Merchant a eu le mauvais goût de mêler un arrière-fond Americana avec un air et un beat
reggae !
Au milieu de ces titres, « The Walloping Window Blind », avec son air marin traditionnel, s’avère plaisant et ne gâche pas l’ironie du texte de Charles E. Carryl,
critique mordante du capitalisme et du colonialisme qui prend une résonance particulière dans le contexte de l’histoire de l’Amérique. Mais c’est « Griselda » qui élève
véritablement le deuxième disque en rompant avec le côté plan-plan des titres précédents. Le morceau présente une progression intéressante, plus rock et laisse résonner des trompettes
entraînantes tandis que la chanteuse nous conte l’histoire sans complaisance d’une petite fille boulimique.
La dernière partie de l’album est composée majoritairement de berceuses et mettent en scène des petites gens qui se battent pour nourrir leur famille et protéger leur bébé de la rudesse du monde.
Conventionnel mais joli. Pas de titres qui se démarquent plus que ça là encore, on s’ennuie un peu, d’autant plus que 20 morceaux se sont écoulés. L’album devient plus un agréable et apaisant
fond sonore qui ne nous distraira guère d’une lecture.
Heureusement, c’est une magnifique chanson, « Indian Names » (texte de Lydia Untley Sigourney), qui clôture l’album. Une fin mélancolique et sombre à la force
tranquille sur le sort des Indiens d’Amérique, qui rappelle que les colons ne pourront jamais tout à fait effacer les traces de leur histoire, qui imprègne les terres.
En fin de compte, un bel album qui comporte de très bons morceaux mais qui n’avait pas d’intérêt particulier à s’éterniser sur deux disques, la moitié des titres étant trop ordinaires et fadasses
dans leur approche traditionnelle du genre, au risque de tomber dans le cliché et la copie.
Quelques vidéos: