Caractéristiques
- Titre : Les Crevettes Pailletées
- Réalisateur(s) : Cédric Le Gallo, Maxime Govare
- Avec : Nicolas Gob, Alban Lenoir, Michaël Abiteboul, David Baiot, Romain Lancry
- Distributeur : Universal Pictures
- Genre : Comédie
- Pays : France
- Durée : 100 minutes
- Date de sortie : 8 mai 2019
- Note du critique : 1/10 par 1 critique
L’éternel recyclage de la bien-pensance
Écrire la critique d’un long métrage comme Les Crevettes Pailletées peut se faire de deux manières différentes : soit on se contente de penser que c’est une comédie et on en rit (ou pas), soit on s’intéresse au fond du message pour rendre l’exercice plus compliqué. Déjà, il faut éviter dans ce cas de parler d’audace ou de courage, quand on traite de ce genre de sujet « sensible » au cinéma. Le paysage audiovisuel français (voire au-delà) ayant grandement recyclé, ces vingt dernières années, les mêmes thématiques sociales sur le racisme, l’homophobie, le vivre ensemble, souvent sans génie et rarement avec subtilité.
Certains de ces films ont connu du succès (peu) et d’autres des déceptions au box-office (beaucoup), les comédies se taillant la part du lion dans la première catégorie car au final, on en revient à cette question à travers les différents récits : faut-il simplement en rire ou s’inquiéter ?
Dans le cas des Crevettes Pailletées, on peut se permettre de rire, certains gags faisant mouche, mais on peut aussi se sentir écœuré par le fond du message, à commencer par la communauté homosexuelle, qui ne sort clairement pas grandie de l’exercice.
Une comédie qui (po)tache
Les Crevettes Pailletées, c’est l’histoire vraie d’une équipe de Water Polo gay participant aux Gay Games. Vraie car l’un des réalisateurs, Cédric Le Gallo (également scénariste), dit lui-même s’être inspiré de son expérience au sein d’une équipe qu’il fréquente depuis 2012. Peut-être aurait-il mieux valu qu’il s’abstienne d’une telle précision car, en rapprochant son métrage du biopic, Cédric Le Gallo entérine l’idée que l’homme gay est principalement un fêtard porté sur le sexe et certainement pas sur le sens des responsabilités ou de la compétition.
Beaucoup de gags du film prennent par conséquent une toute autre dimension et annihilent l’aspect caricatural du propos, ce qui est regrettable car, déjà que le message porte préjudice à la représentation des homosexuels dans notre société, mais elle se voudrait soudain référentielle et donc pratiquement unique.
Certes, le film nous montre différents profils qui pourraient ouvrir notre perspective vis-à-vis de cette communauté, mais en les unissant constamment dans les mêmes clichés (fêtes, drogues et sexe), il les unit paradoxalement dans une même idée que l »homme gay » n’est pas une personne responsable, mais une caricature tout juste bonne à amuser la galerie. Une idée gênante voire honteuse, qui retranscrit pourtant l’incapacité du cinéma actuel à porter des messages positifs sans verser dans les stéréotypes bas de gamme. Des stéréotypes qui s’avèrent finalement contre-productifs pour un métrage qui ne parviendra jamais à rendre ses personnages sympathiques ou son propos pertinent.
Une invasion de clichés
Le film raconte donc la mise à pied du vice-champion du monde de natation, Mathias Le Goff (joué par Nicolas Gob) suite à un échange insultant entre lui et un journaliste homosexuel. Ça commence mal car, au-delà de montrer dès les premières images l’ignoble « boyau vert » sur les quais de Seine près de la Gare d’Austerlitz (symbole des architectes progressistes du nouveau Paris), on constate vite que l »offensé » ne porte pas son orientation sexuelle en bandoulière, mais plutôt le profil agaçant du contrôleur fiscal du film Les Trois Frères.
On serait tenté de lui demander comme les Inconnus si, afin de calmer le jeu, « sac à merde » serait une insulte plus acceptable pour lui. Mathias Le Goff, puni pour son écart, se voit obligé d’entraîner la fameuse équipe de Water Polo dans le cadre d' »une mission d’intérêt public » (!) et va basculer avec le spectateur dans une variable aquatique de Priscilla folle du désert. Les situations gênantes vont alors s’enchaîner, comme lorsque l' »équipe » passe son temps à mimer le coït avec les bouées d’entraînement ou à se foutre à poil en toute occasion, de même que les dialogues du genre « Quand je pense qu’il y en a qui n’ont pas la chance d’être homo » ou bien, suite à une remarque très homophobe d’un membre du groupe qui rétorque à un Nicolas Gob médusé, que eux ont le droit mais pas lui (ce que confirme certaines anecdotes, comme la mésaventure de Cyril Hanouna qui, suite à l’imitation caricaturale d’un homosexuel, s’est attiré les foudres de la censure alors que les Crevettes Pailletées multiplient ce genre de propos sans que cela semble gênant). Du deux poids, 2 mesures.
Donc, plus besoin d’ostraciser une communauté, le film semble nous dire qu’elle le fait très bien elle-même et y prend même plaisir au nom de la liberté d’expression. La bêtise de ce raisonnement est telle que ça se passe de commentaire.
Le profil des personnages, qui se voudrait varié, se heurte lui aussi à l’écueil du cliché, que ce soit le vieux gay communiste acariâtre et anti-trans, le trans en question qui renforce son lien avec la Priscilla du film de Stephen Elliot ou le gay en rut (du moins encore plus que les autres) qu’on aurait qualifié immédiatement de prédateur sexuel s’il avait eu le malheur d’être hétérosexuel. Ajoutons à cela des tentatives maladroites de provoquer l’émotion avec Alban Lenoir trichant sur la pseudo rémission de son cancer ou ce père de famille qui ment à son conjoint pour continuer les « Gay Games » (qu’il passera comme les autres à surtout faire la fête et se droguer, y compris à la veille d’un match) ou la caution « black de service » en amoureux éconduit. Bref, que du beau monde.
Sauvons le soldat moral
Bien sûr, malgré tous les manquements à l’éthique et à la logique, le film se doit de défendre in fine ses personnages et c’est sans surprise à travers ceux d’Alban Lenoir et de Nicolas Gob que l’opération marketing va se conclure. Le premier poussant le second à continuer à les soutenir afin qu’il puisse mourir en paix au milieu de ses amis, et le second, qui joue pourtant sa carrière à perdre du temps avec eux, va bizarrement s’y attacher (sans doute sa fille délaissée y est elle pour quelque chose en représentant cette jeunesse qui trouve ça « super cool » d’être gay). Bref, le match final finit par tourner à leur avantage (sans doute parce que l’équipe adverse est au moins aussi défoncée qu’eux) et Alban Lenoir meurt (surprise !) d’une crise cardiaque à son issue.
On enchaîne donc avec l’enterrement censé représenter le pinacle émotionnel du film, mais qui réserve une séquence humoristique où le gag ne se trouve pas exactement là où on pourrait le croire.
Décidée à rendre hommage à la joie de vivre de leur compagnon disparu, l’équipe se lance en pleine église dans un show dansant en tenue made in Gay Pride sous l’œil bienveillant d’un curé un peu louche (sans doute Emmanuel Macron). D’abord surpris, le public finit par être conquis (sauf quelques « irrécupérables » manquant sans doute d’ADN progressiste) et tout le monde finit par pleurer à chaudes larmes. Y compris Mathias Le Goff qui, revenu dans le droit chemin, envoie paître le Leader de la Fédération qui venait pourtant de lui proposer une place de dernière minute aux Jeux Olympiques. La morale est sauve, mieux vaut renoncer à ses rêves qu’être considéré comme homophobe. Et mieux vaut également être catholique car, quand il s’agit de se foutre de la gueule du monde, on est de loin le client idéal, cette tolérance semblant être particulièrement réservée au catholicisme, vu que ce genre d’irrévérence serait fort mal perçu dans les autres lieux de culte.
Au final, peut-on en rire ? Oui pourquoi pas. Doit-on s’en inquiéter ? Oui sûrement. Le ridicule prouve une fois de plus qu’il ne tue pas, au point que nous vivons une époque dans laquelle il n’est pas rare que des films nuisent aux communautés qu’ils prétendent défendre.