Caractéristiques
- Titre : Brooklyn
- Réalisateur(s) : John Crowley
- Avec : Saoirse Ronan, Emory Cohen, Domhnall Gleeson, Jim Broadbent, Julie Walters…
- Distributeur : 20th Century Fox France
- Genre : Drame, Romance
- Pays : Irlande, Grande-Bretagne, Canada
- Durée : 113 minutes
- Date de sortie : 9 Mars 2016
- Note du critique : 6/10 par 1 critique
Après le très beau Boy A (2007) ou Closed Circuit (2013), le réalisateur irlandais John Crowley est de retour avec ce mélodrame 50’s adapté du roman à succès éponyme de Colm Tóibín, publié en 2011 aux Éditions Robert Laffont. Brooklyn raconte le cheminement d’une jeune femme, contrainte de quitter son Irlande natale pour trouver du travail à New-York. Confrontée au mal du pays, elle lutte pour s’adapter à sa terre d’adoption, jusqu’au jour où elle rencontre Tony, un jeune plombier italo-américain. Amoureuse pour la première fois, un drame va cependant l’obliger à retourner quelques temps en Irlande, où elle fait la rencontre d’un autre homme. Eilis va devoir choisir entre deux hommes, mais également deux pays, deux cultures…
Avec Brooklyn, John Crowley s’attaque donc, sous la forme d’un mélodrame classieux, à la question de l’immigration irlandaise aux États-Unis. L’originalité principale de l’intrigue (très classique dans le fond), résidant dans le fait de s’intéresser à la période d’émigration d’après-guerre plutôt qu’à celle du début du 20e siècle. Les États-Unis ont en effet connu une vague d’émigration massive en provenance de l’Irlande, qui était alors touchée par une grave crise alimentaire, après la Seconde Guerre Mondiale. Cependant, ce sujet n’est finalement que la toile de fond du film, qui s’intéresse au dilemme amoureux de son héroïne, incarnée par une Saoirse Ronan inspirée, rendant compte de l’évolution de son personnage avec beaucoup de subtilité. De timide jeune fille se pliant aux décisions que l’on prend pour elle à jeune femme affirmée, l’actrice déploie une belle palette de jeu, nous permettant de nous identifier à ce personnage discret et peu démonstratif. Il n’est donc guère étonnant que l’actrice irlandaise, véritable valeur montante depuis quelques années, se soit retrouvée nominée aux Oscars cette année…
De l’Irlande à l’Amérique
Brooklyn suit le parcours de cette jeune femme tout ce qu’il y a de plus normal, qui ne sait pas bien ce qu’elle veut et semble subir ce qu’il lui arrive. De ses premiers pas difficiles dans son nouvel environnement, à son coup de coeur inattendu pour Tony (Emory Cohen), en passant par son retour en Irlande et l’inévitable choix final, John Crowley filme son héroïne avec beaucoup d’empathie, dans une mise en scène sobre et élégante. Surtout, la très belle photographie d’Yves Bélanger (Dallas Buyers Club, Laurence Anyways…), avec ses douces teintes pastel, rappelle les meilleurs mélodrames des années 50. Du côté de la narration, on appréciera que certains pièges tire-larmes soient habilement évités, notamment dans le derniers tiers du film.
Cependant, Brooklyn se révèle également maladroit par certains aspects, avec quelques effets appuyés dont le film aurait pu faire l’économie. Comme cette musique signée Michael Brook, que l’on a connu plus inspiré (dans Le monde de Charlie, Into the Wild ou Heat, par exemple), qui souligne avec une émotion forcée les séquences les plus dramatiques du film, y compris des passages où la réalisation et le jeu des acteurs expriment une émotion pourtant contenue. Les larmes de la soeur aînée d’Eilis lorsqu’elle reçoit une lettre de celle-ci et certaines séquences où l’héroïne pleure beaucoup, paraissent également assez artificielles.
Un dénouement en pointillé
Malgré tout, en faisant régulièrement appel à l’humour, le scénario de Nick Hornby apporte une certaine fraîcheur, voire un certain mordant, donnant un ton particulier au film. Le personnage incarné par Julie Walters, Mrs Keogh, avec son franc parler, y est pour beaucoup. L’intrigue amoureuse se suit sans déplaisir et c’est finalement de ce côté-là qu’on sent que le scénariste et le réalisateur ont fait beaucoup d’efforts pour ne pas tomber dans un sentimentalisme trop appuyé. Néanmoins, si des éléments nous permettent de comprendre le dilemme auquel l’héroïne se trouve confrontée, qui n’est pas tant un choix entre deux hommes qu’entre deux pays et deux vies, on aurait apprécié que ces enjeux soient exprimés avec plus de panache. Le film tire quelque peu en longueur dans sa deuxième partie et le personnage incarné par Domhnall Gleeson, tout aussi charmant soit-il, pâtit un peu d’un certain manque d’espace.
La résolution du dilemme, attendue, est réalisée de manière simple et assez touchante, mais le dénouement aurait mérité d’être mieux amené. C’est en effet un élément déclencheur assez conventionnel qui décide l’héroïne, dans le déni, à faire son choix. Pendant toute la deuxième partie du film, Eilis se comporte comme si sa vie en Amérique et celle en Irlande étaient deux mondes étanches, qui ne peuvent cohabiter : impossible pour elle de penser à ce qu’elle a laissé à New-York lorsqu’elle se trouve en Irlande. Que cette compartimentalisation prenne fin à cause d’une contrainte extérieure et non d’un cheminement intérieur peut laisser perplexe. L’héroïne fait-elle un vrai choix, à la fin, ou l’accule-t-on à en faire un ? La scène finale semble pencher pour la première option, mais ce dénouement précipité, maladroitement négocié, laisse un petit goût d’inachevé. Reste un mélodrame plaisant, visuellement abouti, porté par la performance incandescente de Saoirse Ronan, enfin débarrassée des rôles de gamine qui lui collaient à la peau.