Un dictionnaire ambitieux
Parmi tous les genres cinématographiques, le documentaire est sans aucun doute le plus méconnu, voire le plus méprisé. Pas spécialement par le public, qui répond plus ou moins présent selon la qualité de ce qui lui est proposé, mais surtout par les gros exploitants type UGC qui ont clairement choisi de promulguer le cinéma business, et non le septième art dans son pluralisme. A force d’être cloisonné à la vidéo et la télé, à de plus en plus rares exceptions près, l’aura de ce genre en a pâti, mais il est toujours vivace. D’ailleurs, certains grands noms sont montés au créneau pour signaler l’injustice de ce traitement, notamment Chris Marker, Louis Malle, Michelangelo Antonioni ou Werner Herzog. Preuve ultime que le documentaire n’a que très rarement su essayer de sortir de son ghetto, aucun ouvrage à destination utilitaire n’a été édité. Enfin, jusqu’à aujourd’hui…
C’est grâce à Jean-Pierre Carrier (et son éditeur Vendémiaire), titulaire d’un doctorat de Sciences de l’Éducation, et auteur d’ouvrages de fond, notamment Le Petit Ecran des Enfants (Actes Sud, Octobre 2000), que nous devons l’existence de ce Dictionnaire du Cinéma Documentaire. Une démarche inédite pour ce genre, qui prouve à quel point son potentiel est éclatant au-delà d’un intitulé qui, visiblement, ne lui rend pas grand service. La citation de Chris Marker en ouverture de l’œuvre est d’une pertinence à toute épreuve : « Personne n’aime le mot documentaire. Le problème, c’est que l’on n’a pas trouvé mieux pour désigner un ensemble de films dont on sent qu’ils ne sont pas tout à fait comme les autres.« .
Indispensable pour les cinéphiles
Bien évidemment, l’auteur de ce Dictionnaire du Cinéma Documentaire a dû trancher sur certaines possibilités, histoire de proposer un ouvrage et non une gigantesque encyclopédie. Tout d’abord, aucune des 500 entrées ne sont des programmes destinés pour la télévision. Le bien-fondé de cette élection est évident, et tend aussi à marquer une véritable différence entre documentaire et reportage, écran plat et salles obscures. Le Dictionnaire du Cinéma Documentaire gagne ainsi un ton solennel, évite de se perdre en abordant des produits de commande qui, il faut bien l’avouer, n’ont pas grand chose à voir avec le shmilblick. On est en présence d’une œuvre ambitieuse, et Jean-Pierre Carrier évite soigneusement les pièges des entrées funs, à destination d’un public qui n’est pas celui de ce livre.
D’ailleurs, quel est le public de ce Dictionnaire du Cinéma Documentaire au juste ? Disons qu’il devrait rejoindre au plus vite, c’est une urgence, la liste des ouvrages à posséder obligatoirement pour tout cinéphile. Et plus ce dernier est pointu, plus il aura intérêt à avoir ce dictionnaire sous la main. On est clairement en présence d’un livre mûrement réfléchi, incroyablement garni, qui n’existe que grâce à la passion débordante de son auteur. Que l’on soit clair : le contenu n’est pas exhaustif. Comment serait-ce possible puisque chaque entrée est accompagné d’un texte explicatif et pas seulement des caractéristiques de l’œuvre ? Mais l’ensemble couvre l’entièreté du spectre du genre. De 9-3, Mémoires d’un Territoire, jusqu’au mythique Ziggy Stardust and the Spiders from Mars, le Dictionnaire du Cinéma Documentaire ne fait pas que classer : il entreprend de donner au genre un écho que beaucoup attendaient.
Dictionnaire du Cinéma Documentaire, par Jean-Pierre Carrier. Aux éditions Vendémiaire, 576 pages, 28 euros. Sortie le 3 Mars 2016.