Un album « maison »
Après avoir sorti trois albums davantage orientés « classique » et une comédie musicale dont les représentations se sont achevées à Londres en début d’année, voici Tori Amos de retour avec un quatorzième album studio, Unrepentant Geraldines, sur le label Mercury Classics. Une galette de quatorze titres de styles différents, avec néanmoins une nette prédominance de morceaux intimistes et piano-voix, enregistré avec son mari Mark Hawley, son ingénieur du son et… guitariste (sous le pseudo Mac Aladdin). En effet, hormis son piano Bösendorfer et son orgue Hammond, on ne trouve sur cet album que des guitares et de la programmation. Exit donc le batteur Matt Chamberlain et le bassiste Jon Evans ou encore l’arrangeur John Philip Shenale. Tori, qui a écrit les chansons en catimini entre deux projets ces 5 dernières années, a fait un disque maison, à la production assez sobre et épurée, dominée par sa voix et l’utilisation assez prononcée de réverbération qui ne sera peut-être pas du goût de tout le monde… du moins de prime abord, Unrepentant Geraldines faisant partie de ces albums faussement simples qui ont besoin d’un certain nombre d’écoutes pour se laisser apprécier.
Première remarque : avec des titres comme « Wedding Day » et « Unrepentant Geraldines », Tori a tiré une partie de son inspiration des années 80 et certains y entendront comme un petit air de Kate Bush à laquelle on l’a souvent comparée à son désavantage. Je ne dirai jamais à quel point ces critiques sont non-fondées et ces comparaisons fortement exagérées mais oui, sur « Wedding Day » et « Maids of Elfen-mere », l’influence de l’Anglaise se fait sentir, tandis que la deuxième partie du très beau « Oysters » rappelle un peu les arrangements et le son éthéré des Cocteau Twins, que la rouquine adore. Les mauvaises langues diront que ces chants doublés et cette réverbération font rock FM, mais, alors qu’au départ j’étais assez loin d’être convaincue, j’ai fini par me laisser séduire. La production, comme toujours chez Amos est soignée et la pertinence de tel arrangement se révèle au fil des écoutes. Seul reproche véritable : un son trop lisse, qui est devenu la règle chez elle depuis le magnifique Scarlet’s Walk en 2002. Alors qu’elle nous avait habitués précédemment à un son à la fois brut et travaillé, à partir de cette date, elle a commencé à lisser le son de ses albums, parfois au désavantage des morceaux, dont certains se laissent davantage apprécier en live. C’était le gros problème de The Beekeeper (2005), dont les arrangements étaient restés assez basiques, ce qu’elle avait regretté par la suite. Si sur ce dernier album aucun morceau ne semble inabouti, cet aspect du son enlève un semblant d’émotion à des titres piano-voix comme « Selkie », qui auraient mérité d’être plus bruts.
Un album concis et cohérent
Cependant, ne crachons pas dans la soupe, si on peut entendre quelques accents à la Beekeeper dans le pont du morceau d’ouverture « America », Unrepentant Geraldines est un album concis, cohérent et abouti, où rien n’est à jeter. Exit donc la tendance de miss Amos à inclure dans ses opus quelques titres de seconde zone qui auraient davantage eu leur place en tant que B-sides et qui rallongeaient inutilement ses albums depuis 2005. Le titre le plus dispensable ici est le duo avec sa fille Tash, « Promise », une chanson aux accents soul/R&B qui s’avère plutôt mignonne et qui ne jure pas avec l’ensemble. Pour le reste, on trouve du bon et du très bon, avec des titres relativement courts pour du Tori Amos, ce qui aura pour effet de faire s’écrier aux fans « C’est déjà terminé ? » et non « C’est trop long ! » Pour le style, on passe de titres à la structure complexe comme « Unrepentant Geraldines » à un morceau aux accents électro (une veine à part chez l’artiste) comme « 16 shades of Blue », au plus celtique « Maids of Elfen-mere », en passant par les très comédie musicalesques « Giant’s Rolling Pin » et « Rose Dover » et, bien sûr, les ballades piano-voix « Weatherman », « Selkie », « Wild Way », « Oysters » ou encore « Invisible Boy ». Sur l’édition deluxe, le titre bonus « Forest of Glass » est très bon, mêlant le piano à un aspect assez expérimental qui réussit toujours bien à l’artiste. « Weatherman », avec son piano sublime et ses paroles oniriques autour de la nature, est pour nous le meilleur titre de l’album, un vrai petit bijou qui se distingue véritablement.
En ce qui concerne les textes, on retrouve la tendance humoristique et politique de Tori Amos dans le titre « Giant’s Rolling Pin » qui parle avec humour de l’affaire Snowden, la veine intimiste, assez proche de Little Earthquakes, dans « Oysters », son amour de la mythologie celtique dans « Maids of Elfen-mere », les thématiques autour de l’enfance dans « Rose Dover », les histoires fantastiques métaphoriques dans « Invisible Boy » ou encore sa critique religieuse dans « Trouble’s Lament » ou « Unrepentant Geraldines ». Avec toujours cette capacité à faire le point sur elle-même et à ne pas se prendre au sérieux, qu’on retrouve respectivement dans « 16 Shades of Blue » et la B-side iTunes « White Telephone to God » (qui est surtout marrante).
Car Tori Amos a passé le cap symbolique et ô combien délicat des 50 ans en août 2013, ce qui lui a inspiré ces deux chansons, la première sur la difficulté de vieillir pour les femmes et la seconde sur les effets de la ménopause. On aura beau lui reprocher d’avoir eu un peu trop recours au Botox, on ne pourra jamais lui reprocher de se défiler devant le sujet du temps qui passe et de la pression que cela met sur les femmes, et plus particulièrement dans l’industrie musicale. Souvenez-vous, elle évoquait déjà le sujet en 2007, dans le très beau « Girl Disappearing », où elle chantait : « Délaissant cette coquille blonde qui se démène sur tapis rouge. » La chanson dans son ensemble traitait de l’image déformée qu’une femme peut avoir d’elle-même et de son corps et on sentait poindre les démons et réflexions de Tori dans ces lignes. Contrairement à d’autres disques qu’elle a pu sortir, il ne s’agit nullement d’un concept-album, aussi les chansons peuvent-elles être vues comme de petites histoires indépendantes. On remarquera malgré tout que Tori semble toujours inspirée par son histoire avec son mari, qu’on devine au travers de « Wild Way » ou « Wedding Day ».
Au final, Unrepentant Geraldines est un très bon album, auquel on reprochera seulement de ne pas avoir une plus forte identité au niveau du son. Pas son meilleur album (aucun titre, mis à part « Weatherman », ne se distingue suffisamment par rapport au reste de son oeuvre pour ça), mais un bon Tori Amos, honnête et bien ficelé qui se laisse apprivoiser au fil des écoutes, dévoilant sa beauté et sa complexité derrière une apparente simplicité. Des morceaux que nous aurons l’occasion d’entendre en live et en solo le samedi 17 mai prochain, l’artiste se produisant au Grand Rex. Nous sommes sûrs qu’elle saura une fois de plus nous emporter et nous étonner avec des interprétations audacieuses, où elle laisse une large part à l’improvisation.
Retrouvez les traductions des paroles d’Unrepentant Geraldines sur le site de Cécile Desbrun, Tori’s Maze.