Journaliste indépendant, déjà auteur (avec Olivier Bousquet) de l’essai Streets of London aux éditions Le Mot et le Reste en 2012, Arnaud Devillard reprend le concept de ce précédent livre pour Laurel Canyon : rue par rue, le lecteur est amené à découvrir les nombreuses et croustillantes anecdotes peuplant ce quartier résidentiel mythique ayant accueilli dans les années 60 et 70 Jim Morrison et Pamela Courson, Joni Mitchell, Frank Zappa, Carol King et bien d’autres.
Ballade à travers les légendes du canyon
De l’ambiance bohème qui émanait des lieux à l’époque, il ne reste aujourd’hui plus grand chose : le quartier est devenu très bourgeois, les caméras de surveillance et pancartes d’interdiction de passer sont légion et les voisins n’hésitent pas à appeler la police au moindre bruit. Autant dire que le temps des orgies et des bœufs improvisés est à présent bien loin !
C’est donc à un véritable voyage à travers le temps que nous convie Arnaud Devillard, qui s’est rendu sur les lieux pour écrire ce livre et ne manque pas de dresser un parallèle entre le Laurel Canyon de la grande époque et ce qu’il est devenu. De nombreuses maisons ont été détruites, les numéros des rues ont souvent changé et la mémoire des témoins (il en a rencontré certains, se base sur des interviews pour d’autres) se brouille régulièrement lorsqu’ils essaient de se souvenir à quel numéro habitait tel ou tel artiste, quand bien même ils ont pris part aux événements qui s’y sont déroulés. Le journaliste pointe également certaines déformations relayées par les intéressés eux-mêmes, tandis que d’autres anecdotes sont présentées comme sujettes à caution, légende et réalité s’entremêlant intimement en ces lieux qui ont été le sujet de plusieurs œuvres à travers le temps, comme le très beau Ladies of the Canyon de Joni Mitchell (1970) ou Blues from Laurel Canyon de John Mayall (1968).
Conçu comme une ballade à travers le quartier, cartes et photos (contemporaines) à l’appui, Laurel Canyon fourmille d’anecdotes souvent drôles, parfois tragiques, qui dessinent le portrait d’une époque et l’évolution de la scène californienne, des années 60 à nos jours. Si Laurel Canyon s’est progressivement assagi, plusieurs albums célèbres ont néanmoins été enregistrés là-bas dans les années 90 et 2000 : Blood, Sugar, Sex, Magik des Red Hot Chili Peppers (1991), Make Believe de Weezer (2005) ou encore It Won’t be Long Before Long de Maroon 5 (2007), tandis que Marilyn Manson y écrivit Mechanical Animals en 1998, dans la maison du 8803 Appian Way, située sur les hauteurs de la ville, qui appartenait à la grande actrice du muet Mary Astor.
Un guide concis et éclairé sur un lieu mythique
Arnaud Devillard nous fait ainsi découvrir les moindres recoins du quartier et revient en détail sur certaines des œuvres, cultes ou plus méconnues, qu’il a vues naître. Ecrit dans un style accessible, cet essai concis se dévore rapidement et pose un regard tout autant éclairé que passionné sur son sujet. Si la succession d’anecdotes aurait pu n’être qu’un simple bout à bout d’histoires glanées ici et là, l’auteur parvient à donner une vraie cohérence à l’ensemble par la manière dont il présente les différentes ambiances qui se dégagent des rues de Laurel Canyon, ainsi que les nombreux artistes que nous retrouveront au fil des pages.
Le lecteur n’a ainsi jamais le sentiment de lire un ouvrage à la trame décousue et ne s’y perd pas, même sans être familier de tous les artistes évoqués, ce qui est fort agréable. La dernière partie du livre est quant à elle consacrée à Sunset Boulevard, que l’auteur présente comme « le pendant urbain indissociable de Laurel Canyon ». L’occasion de revenir sur l’aura du Château Marmont et les studios d’enregistrement Sunset Sound Recorders, Sound Factory ou Record Plant Studios, où de nombreux albums des artistes ayant fréquenté ou habité Laurel Canyon furent enregistrés, notamment les deux premiers albums des Doors. Autres lieux, autre ambiance, mais où l’esprit rock n’en est pas moins présent. On referme Laurel Canyon avec l’envie de réécouter les albums que le quartier a vu naître, et de découvrir ceux que nous ne connaissons pas forcément. Si les temps et l’industrie musicale ont changé, l’influence de cette époque se fait encore sentir aujourd’hui et flotte, tel un fantôme, sur ces lieux où la légende se superpose en permanence au regard.
Laurel Canyon ou comment se perdre dans les collines d’Hollywood d’Arnaud Devillard, Le Mot et le Reste, 19 mai 2016, 160 pages. 15€