Caractéristiques
- Titre : Vénus Blonde
- Titre original : Blonde Venus
- Réalisateur(s) : Josef von Sternberg
- Avec : Marlene Dietrich, Herbert Marshall, Cary Grant, Dickie Moore, Rita La Roy…
- Editeur : Elephant Films
- Date de sortie Blu-Ray : 7 février 2017
- Date de sortie originale en salles : 25 novembre 1932 (France)
- Durée : 93 minutes
- Note : 8/10 par 1 critique
Image : 4.5/5
L’image au format Cinemascope est bien restituée, avec un beau grain et d’excellents contrastes, pour un noir et blanc de toute beauté. Les quelques petits défauts de cette version restaurée — inévitables pour un film des années 30 — se remarquent peu.
Son : 4/5
Le film est proposé en anglais sous-titré français uniquement, en piste DTS-HD 2.0. Le mixage est très propre et restitue au mieux dialogues, musique et ambiances sonores, bien qu’un souffle puisse se faire entendre sur certaines scènes. Étant donné les difficultés de restauration de films de cette époque, on ne saurait en tenir trop rigueur. Cette particularité sera surtout perceptible sur un home cinema complet.
Bonus : 4/5
Elephant Films a fait appel à Xavier Leherpeur, critique de cinéma officiant notamment dans la revue cinéphile La Septième Obsession, afin d’analyser le film (12mn30) et le replacer dans le contexte de la carrière de Marlene Dietrich (12mn34), dont il propose un portrait. Des suppléments pertinents et intéressants, complétés par une présentation de la collection consacrée à l’actrice par l’éditeur, ainsi qu’une galerie photos.
Synopsis
Mariée à un chimiste américain gravement irradié, Helen se voit contrainte de reprendre son métier de chanteuse de cabaret pour payer les soins de son époux. Sous le nom de « La vénus blonde », elle obtient chaque soir un large succès, tout particulièrement auprès d’un homme politique transi par sa beauté et prêt à financer le traitement de son mari.
Le film
Cinquième film de Josef von Sternberg avec Marlene Dietrich, Vénus Blonde connut un moindre succès lors de sa sortie en salles en 1932 en raison de l’emploi inhabituel qu’y occupait l’actrice (celui d’une mère prête à tout pour conserver la garde de son enfant, emploi auquel elle était peu habituée), mais ne cessa d’être réévalué par la suite, en faisant l’un des sommets de la carrière de la star, mais également une oeuvre forte, que l’on pourrait qualifier de « féministe » à plusieurs égards, et d’une maîtrise visuelle certaine. Quatorze ans avant Gilda de Charles Vidor, on pouvait y voir une femme désespérée se donner en spectacle sur la scène d’un cabaret, dans un numéro dont la sensualité ne dissimulait pas pour autant le tragique de sa situation.
Sauf qu’à l’inverse du personnage incarné par Rita Hayworth, que son mari jaloux obligeait à se produire sur scène afin de l’humilier, Helen Faraday fait le choix de renouer avec sa carrière de meneuse de revue afin de récolter suffisamment d’argent pour payer les soins médicaux de son mari, scientifique contaminé par des ondes radioactives. Agissant de son propre chef d’un bout à l’autre, à l’opposé de l’ingénue qui est la victime typique des mélodrames de l’époque, elle est une femme forte, presque fatale par le regard des hommes sur elle — bien que nous ne nous trouvions pas dans un film noir à proprement parler — mais dont les actions n’en demeurent pas moins liées à des contraintes financières, qui « l’enchaînent ».
Ainsi, ce n’est pas un hasard si, lors de sa première apparition sur scène, elle est déguisée en gorille enchaîné, avant de retirer peu à peu son costume, laissant d’abord apparaître une main d’une remarquable finesse — qui rappellera, là encore, le strip-tease de Gilda lorsque celle-ci retire son gant — puis sa tête, et enfin le reste de son corps. Cette mise en scène audacieuse qui signe l’apparition de son alter ego scénique, Helen Jones, dite la « Vénus Blonde », nous ramène à cette analyse du paradoxe de la femme fatale par Jean-Pierre Esquenazi dans son essai Hitchcock et l’aventure Vertigo : L’invention à Hollywood (Éditions CNRS, 2001, p. 49) qui, pour lui « résume la contradiction où est prise la star : la fatalité d’une « femme fatale » est d’être un spectacle à elle toute seule. Pourtant, elle n’a de cesse de s’incorporer au récit en y étant reconnue comme une « ingénue », autre personnage type du cinéma hollywoodien, que le mélodrame (ou » film de femmes ») a particulièrement utilisé. »
Marlene Dietrich, comme dans L’Ange Bleu ou Coeurs Brûlés deux ans plus tôt (également réalisés par von Sternberg), interprète une chanteuse de cabaret et, comme dans ceux-ci, elle est encore une fois l’incarnation de la star dans toute sa puissance, bien que son assurance et son apparente froideur dissimulent des failles et des blessures profondes. Le film tire en partie sa force de ce paradoxe auquel l’actrice, d’un magnétisme sans égal, donne corps et âme. Et puis, comment, aussi, ne pas voir une dénonciation, au passage, de Josef von Sternberg à l’égard du colonialisme, dont ce numéro musical se révèle une satire criante ? De la colonisation de l’homme de contrées étrangères à la « colonisation » de la femme, il n’y a d’ailleurs qu’un pas, puisque, après s’être placée sous la protection financière du richissime Nick Townsend (Cary Grant), avec lequel elle accepte d’entretenir une liaison sur cette base, Helen se retrouvera face à la colère de son mari, en rémission suite au traitement payé par l’argent qu’elle a ainsi obtenu, et qui se retourne contre elle en découvrant son infidélité. Menaçant de lui retirer leur fils, elle se lance dans une véritable fuite en avant, poursuivie par la police.
Pourtant, le personnage demeure « indomptable » et n’est jamais victimisé : on ressent la violence de ce qu’elle vit, de sa souffrance qui transparaît malgré son armure, mais elle n’est jamais ramenée plus bas que terre, et refuse de simplement « subir ». Si, au sein d’un mélodrame classique, on aurait arraché l’enfant des bras de l’héroïne en pleurs, il n’en est rien ici, mais le corps tendu comme un arc de Marlene Dietrich, son visage, n’en expriment pas moins son déchirement. D’ailleurs, si le personnage incarné par Cary Grant tente de la retenir en se faisant aimer d’elle à « l’expiration » de leur arrangement, si son mari, sous le coup de la colère, cherche à la rabaisser, elle demeure un être libre et fier.
Josef von Sternberg n’hésite pas, ainsi, à sortir régulièrement du cadre du mélodrame par sa mise en scène, que ce soit lors des numéros de cabaret ou lors de certains moments de la fuite éperdue d’Helen : le cadrage et la lumière de la scène où elle s’apprête de nouveau à prendre la fuite alors qu’un détective l’a repérée, font ainsi immanquablement penser à l’expressionnisme allemand et, par extension, au film noir, qui n’était pas encore caractérisé comme tel. De même, la réalité tristement sordide des femmes marginalisées est révélée dans une scène courte mais terrible vers la fin, et qui n’est aucunement utilisée de manière moralisatrice, contrairement au mélodrame hollywoodien typique de l’époque, où l’ingénue (nécessairement victime et asexuée) est opposée à la vamp, femme de la ville vénéneuse, à la sensualité agressive.
Ces films tournaient principalement autour de la Vertu, sa mise en danger et mise à l’épreuve par le Mal (le « moteur de l’action », comme formulé par Peter Brooks dans son essai The Melodramatic Imagination, p. 34) mais aboutissaient toujours à son triomphe, par un rétablissement de l’ordre moral initial. Peu à peu, ce modèle fut « perverti », nuancé et enrichi, et Vénus Blonde, en sortant très vite son héroïne du cadre domestique, y a en partie contribué, quoique le happy end pourra sans doute étonner et désarçonner les sensibilités modernes puisqu’une telle fin ne serait plus possible aujourd’hui, mais surtout plus crédible.
Cependant, même en considérant le rétablissement de la cellule familiale, la conclusion ne peut cependant être considéré comme une manière de « domestiquer » ou rabaisser le personnage incarné par Marlene Dietrich, qui ne s’excusera à aucun moment, assumant jusqu’au bout ses choix, et ne revenant pas dans le « droit chemin » par contrainte. Josef von Sterberg parvient ainsi à ne pas idéaliser le statut de star du cabaret d’Helen, qui est rapidement assimilé à de la prostitution malgré ses apparitions scéniques glamour, mais il n’idéalise pas plus son statut d’épouse, qui ne colle jamais à l’idée de « pureté évanescente » qu’Hollywood pouvait s’en faire à l’époque, ce qui colle d’ailleurs à la propre personnalité de Dietrich, mère et actrice adorant cuisiner dans la vie comme sur les plateaux (lire à ce propos Dîner chez Marlene pour découvrir cette facette méconnue), mais qui était également une femme libérée, n’hésitant pas, dans les années 30, à vivre une liaison au long cours avec Josef von Sternberg alors qu’elle était toujours mariée au régisseur Rudolf Sieber, dont elle ne divorça jamais, mais avec lequel elle avait convenu de mener des vies séparées. En revanche, si elle n’est jamais rabaissée à sa condition domestique, la condition de femme et de mère de son personnage est centrale dans Vénus Blonde, et il n’est donc pas innocent que ce soit l’enfant qui permette de faire le lien entre les deux époux à la fin.
Vénus Blonde, ce n’est donc pas uniquement un film présentant des apparitions scéniques glamour de la star Marlene Dietrich, mais aussi une oeuvre importante — et souvent sous-estimée — dans l’histoire du cinéma par son mélange des genres et, surtout, la représentation de son personnage féminin, femme forte et mère courage non repentante jusqu’au bout.