[Critique] Vinyan de Fabrice du Welz (2008)

Caractéristiques

  • Titre : Vinyan
  • Réalisateur(s) : Fabrice du Welz
  • Scénariste(s) : Fabrice du Welz
  • Avec : Emmanuelle Béart, Rufus Suwell & Julie Dreyfus
  • Distributeur : Wild Bunch Distribution
  • Genre : Horreur, Drame
  • Pays : France, Belgique
  • Durée : 1h36
  • Date de sortie : 1er octobre 2008
  • Note du critique : 8/10

Après le tsunami…

Jeanne et Paul Bellmer ont perdu leur jeune fils dans le tsunami qui a touché l’Asie en 2004. Six mois après le drame, ils sont toujours en Thaïlande lorsque Jeanne croit apercevoir son enfant (dont le corps n’a jamais été retrouvé) sur une vidéo au milieu d’enfants victimes d’un trafic lors d’une soirée de charité. Persuadée qu’il est toujours en vie, elle convainc son mari, de prime abord réticent, de partir à sa recherche en faisant appel à Taksin Gao, un gangster notoire qui était une des sources d’informations de la réalisatrice qui a filmé la vidéo. Le couple s’enfonce avec leur guide dans la jungle thaïlandaise, sauvage et dévastée, et perd prise …

J’avais raté Vinyan au cinéma il y a deux ans et j’avais vraiment hâte de le voir. Non seulement j’adore Emmanuelle Béart, mais surtout Fabrice du Welz semblait avoir des partis pris esthétiques singuliers et une mise en scène maîtrisée. Le fait de plonger des personnages dans une nature sauvage aussi belle qu’impitoyable qui se change en espace mental à la dimension mythique ne pouvait également que m’attirer. Et à ce niveau-là, je n’ai vraiment pas été déçue.

Voyage sans retour

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Vinyan est en effet d’une beauté et d’une maîtrise à couper le souffle, mais il ne s’agit pas que d’un bel objet cinématographique (comme de nombreuses critiques le lui ont reproché) : certes, on  ne sait presque rien de ce couple, certes, on passe plus d’une heure à les suivre à travers les rues, les villages et la jungle thaïlandaise sans qu’il se passe d’événements vraiment marquants (qui surviennent donc dans la dernière demi-heure), mais ce serait un faux procès que de reprocher à du Welz de ne pas en avoir fait plus de ce côté-là.

Car ce n’est en effet ni par prétention ni par manque d’imagination qu’il ne nous a pas offert une intrigue plus alambiquée : il nous donne l’essentiel et le film n’a guère besoin d’en dire plus. Jeanne et Paul ont perdu leur fils et c’est ce deuil impossible qui guide tout le film, les détails biographiques importent peu et j’ai pour ma part trouvé que cela était plus que suffisant pour s’identifier aux personnages.

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Emmanuelle Béart et Rufus Sewell portent le film et prennent leurs personnages à bras le corps et leurs regards perdus, leurs sentiments et émotions contradictoires qu’on devine derrière leurs cris ou leurs silences valent bien plus que de longues scènes explicatives pour nous expliquer « qui ils sont ». Il s’agit par ailleurs d’occidentaux
restés en Asie après le tsunami qui a bouleversé leur vie, et on peut aussi considérer que lorsque le film commence, ils ont déjà laissé ce qu’ils étaient derrière eux : ils ne peuvent que s’enfoncer dans ce voyage sans retour condamné d’avance.

Un drame onirique teinté d’horreur

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Vinyan s’avère également prenant et assez flippant sans être vraiment un film d’horreur. Pour ceux qui ont vu Calvaires, le premier long-métrage du cinéaste ou qui s’attendaient à un pur film de genre gore et terrifiant, c’est utile à savoir car le film a été vendu comme tel aux Etats-Unis, ce qui lui a porté préjudice.

Tout en étant indéniablement un film de genre, il s’agit principalement d’un drame, mais un drame moite, sourdement angoissant : la tension monte à mesure que les personnages font des choix qui les isolent un peu plus (donner tout leur argent à des « guides » qui se soucient bien peu de leur quête entre autres). Nous les voyons s’enfoncer dans leur esprit à mesure qu’ils s’éloignent de la nature civilisée, ce qui donne lieu à des scènes oniriques assez frappantes : si certaines ont lieu dans la tête de Paul Bellmer, la plupart se déroulent dans la réalité, dans ces paysages à la beauté entêtante.

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C’est le cas notamment de la veillée nocturne mortuaire où des dizaines de personnes sur la plage allument des bougies et des lampions géants pour guider les défunts vers l’au-delà afin qu’ils y trouvent la paix. Taksin Gao a en
effet fait massacrer le guide qui avait mené le couple jusqu’à lui et la veillée a pour but d’apaiser l’esprit car « lorsque quelqu’un souffre d’une mort horrible, son esprit est désorienté, il ne sait pas où aller, il est en colère et devient vinyan« . Lorsque plus tard le couple et leur guide s’aventureront dans le village peuplé d’enfants sauvages et cruels, Jeanne acceptera d’eux une infâme pâte blanche qui la défonce instantanément (scène aussi « simple » que flippante) et nous comprendrons alors que les morts ne sont en fin de compte pas ceux qu’on croit…

Vers le monde des morts

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Si sur un plan physique les personnages sont bel et bien en vie, ils ne sont déjà plus de ce monde et ce sont bien eux qui errent au milieu d’une nature crépusculaire, se débattant avec leur rage et leur douleur. Une belle métaphore du deuil qui rend le film particulièrement fort sans que jamais celui-ci tombe dans le pathos. Une des questions que l’on pouvait se poser, connaissant le contexte choisi, était comment Fabrice du Welz allait réussir à représenter ou tout du moins à aborder la tragédie du tsunami de 2004.

Il lui suffit en fait d’une séquence d’ouverture glaçante et épurée : un long plan sous l’eau où l’on devine, à son agitation, une forte pression, celle-ci se teintant peu à peu d’un rouge qui envahit l’écran tandis que des cris étouffés par le bruit de l’eau, résonnent. Le réalisateur ne nous montre pas directement l’immontrable, mais avec cette scène tout est dit. D’où le choc du raccord sur Jeanne sortant de l’eau en bikini des mois plus tard, alors que tant de personnes (dont son fils) n’ont pas pu échapper à la vague.

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Les dernières quarante minutes, dans ce que l’on pourrait nommer « le village damné » sont terriblement efficaces et flippantes (mais là encore, il ne faut pas s’attendre à un gros thriller made in US) et rappellent beaucoup
Apocalypse Now : la jungle bien entendu, les indigènes, la progression vers la folie… La fin réussit à apparaître comme particulièrement glaçante, terrible et belle à la fois.

Vinyan est donc un film surprenant à la beauté terrible, hypnotique et glaçante qui se démarque singulièrement du film de genre tout en étant nourri de références à celui-ci (la scène de la boîte au début est un clair clin d’œil à Gaspard Noé, notamment). La réalisation de Fabrice du Welz et la photographie du film valent le détour et font plaisir à voir dans un film  « francophone » (comprendre un film d’un cinéaste belge francophone avec une actrice française mais tourné en anglais). Un film fort et singulier à voir, mais qui ne plaira peut-être pas aux amateurs d’horreur purs et durs.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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